Entre le Hezbollah et le reste du Liban, le fossé se creuse.

Ces derniers jours ont vu des nouvelles hostilités entre Israël et le Hezbollah. En justifiant ces tirs de roquettes et en dénonçant une politisation de l’enquête sur l’explosion qui a détruit Beyrouth, le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est attiré les foudres d’une large partie du pays, alors que son parti est déjà en grande difficulté.

Au lendemain d’un raid aérien de l’armée israélienne sur le Liban-Sud en réponse à des tirs de roquettes, le Hezbollah “s’est offert une escalade avec Israël”, titrait vendredi 6 août le journal libanais francophone L’Orient-Le JourLe puissant parti chiite armé a tiré des dizaines de roquettes sur le plateau du Golan, territoire contesté à la frontière des deux pays. À son tour, cette offensive a entraîné une riposte de Tsahal.

Une “escalade” et une riposte mesurée qui ne modifient pas fondamentalement, selon les analystes libanais et israéliens, l’équilibre de la terreur entre les deux parties, dont le dernier conflit ouvert remonte à 2006. D’un côté comme de l’autre, on ne veut pas d’une nouvelle guerre, à en croire l’armée israélienne et le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a pris la parole samedi 7 août. Bien que, de son côté, le quotidien Al-Akhbar, proche du parti chiite, estime que “la riposte du Hezbollah a déjoué les plans de l’ennemi” israélien.

Échec militaire et politique

Sur le plan interne, la poussée de fièvre militaire a été totalement éclipsée par des images qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux. On y voit des villageois druzes tenter d’intercepter un camion transportant un lance-roquettes qui passait dans la localité de Chouaya, dans le sud-est du Liban, non loin du secteur d’où l’organisation chiite armée a lancé ses roquettes.

Une séquence qui signe “un échec démultiplicateur” pour le Hezbollah, selon le site libanais Al-Modon, en cela qu’elle serait “la traduction d’une tension vis-à-vis des activités du Hezbollah” dans les régions libanaises où le mouvement cohabite avec d’autres communautés. Et ce, alors qu’il se veut le fer de lance de la résistance face à Israël.

Le patriarche maronite Béchara Raï, chantre de la neutralité du Liban vis-à-vis des conflits de la région, a, lui aussi, violemment critiqué l’opération du Hezbollah, qui s’arroge le droit de décider de la guerre ou de la paix. “Les réactions libanaises aux tirs de roquettes sur Israël montrent que le soutien au Hezbollah s’érode”, affirme le journal israélien Ha’Aretz.

Perpétuer le système

Dans son discours du 7 août, Nasrallah a également dénoncé l’enquête “politisée” sur la terrible explosion dans le port de Beyrouth qui a ravagé la capitale il y a un an.

La provocation de trop pour le site libanais Daraj, alors que le Hezbollah est fortement critiqué – comme l’ensemble des partis politiques – pour sa responsabilité à la fois dans la crise institutionnelle et économique qui frappe le Liban et dans la déflagration meurtrière du 4 août 2020.

C’est le système politique qui protège le Hezbollah, son rôle et ses armes. Et comme il est à l’avant-garde de ce système, il se retrouve en position offensive pour le défendre.”

Tensions à Chouaya entre des habitants et des militants du Hezbollah

En réponse à l’interception par des habitants du village druze du caza de Hasbaya d’un camion transportant un lance-roquettes du parti chiite, des partisans du parti de Dieu s’en sont pris à des agriculteurs druzes.

Fait aussi rare que surprenant, un camion transportant un lance-roquettes à plusieurs canons, utilisé par le Hezbollah pour cibler Israël, a été intercepté par des habitants du village de Chouaya (druze), dans le caza de Hasbaya, a annoncé le parti chiite. Une information qui a été confirmée par l’armée. Une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux montre des villageois en colère, certains en tenue traditionnelle druze, bloquant le passage du camion et accusant le Hezbollah de mettre en danger des vies civiles en lançant des roquettes à proximité de zones résidentielles.

« À 11h15, la résistance islamique a répondu aux attaques sionistes sur le Liban en ciblant la périphérie de bases de l’ennemi israélien dans les fermes de Chebaa avec des roquettes lancées depuis une zone boisée, loin des habitations, de manière à protéger la sécurité des citoyens », a déclaré le parti chiite dans un communiqué. « Au retour des terroristes du Hezbollah et alors qu’ils traversaient la région de Chouaya, dans le caza de Hasbaya, des habitants se sont opposés à eux » et leur ont coupé la route, a-t-on ajouté dans le texte, qui ne précise pas comment s’est clôturé l’incident. Des vidéos montrent des militaires de l’armée libanaise prendre possession du véhicule. « La résistance continue à veiller sur les gens et à ne pas les impliquer dans ses opérations », a encore précisé le Hezbollah.

Le commandement de l’armée a confirmé ces informations, annonçant avoir « arrêté à Chouaya quatre personnes qui ont tiré, et confisqué le lance-roquettes utilisé pour mener cette opération ». Elles ont été relâchées plus tard en journée. Suite à l’incident, des unités de l’armée ont rapidement pris contrôle de la zone entourant le village, interdisant à quiconque d’y entrer.

S’éloigner des régions habitées

« Ce qui s’est passé nous a surpris. Nous sommes des habitants d’un village pacifique, nous respectons tout le monde », a déclaré le président du conseil municipal de Chouaya, Issam al-Choufi, à notre correspondant sur place Mohammad Yassine. « Mais aujourd’hui, certains habitants en ont peut-être eu assez, a-t-il poursuivi. Certains sont fatigués, alors que la région vit depuis plusieurs jours sous des tirs croisés et que la situation est tendue. Nous ne nous opposons à personne, mais les gens sont tendus. Nous suivons une politique de résistance, comme tout le monde au Liban. » M. Choufi a en outre précisé que les roquettes n’ont pas été tirées d’un lieu « à proximité des maisons », mais d’une région « en périphérie du village ».

« Nous sommes tous avec la résistance et contre l’ennemi israélien, mais nous aurions préféré qu’ils (les militants du parti chiite) s’éloignent des régions habitées, afin d’éviter que nous ne soyons la cible de représailles, a déclaré de son côté un habitant du village sous couvert d’anonymat. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent dans les montagnes et les régions boisées. Nous n’avons pas de problème. Les gens ont assez de problèmes à cause de la crise économique. »

« Privilégier la raison »

Réagissant à cet incident, le leader druze et chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a appelé, sur son compte Twitter, à « sortir de l’atmosphère tendue sur les réseaux sociaux et faire privilégier la raison et l’objectivité dans la communication ». Son rival sur la scène druze, le président du Parti démocratique libanais, Talal Arslane, a lui aussi estimé que « les campagnes lancées par certaines personnes pour critiquer ce qui s’est passé à Chouaya, ainsi que les réactions sur le terrain et les réseaux sociaux ne servent les intérêts de personne ». « Il faut qu’on soit solidaires et qu’on arrête les incitations et les provocations afin de faire front uni face aux agressions d’Israël contre le Liban », a-t-il plaidé. Sur son compte Twitter, M. Arslane, allié du Hezbollah, a en outre précisé que « l’agression au Liban-Sud (…) montre l’intention de l’ennemi de changer les règles d’engagement ». « Que personne ne croit qu’il peut tordre le bras de la résistance », a-t-il encore lancé.

Quant au cheikh Nasreddine el-Gharib, cheikh Akl druze non reconnu par l’État et proche de Talal Arslane, il a assuré se tenir « aux côtés de la résistance et soutenir son droit à défendre le territoire et la nation ». « Les représailles de la résistance contre (les frappes) de l’ennemi sont naturelles », a-t-il ajouté dans un communiqué. Il a toutefois appelé le Hezbollah à « éviter de soumettre les régions habitées aux risques sécuritaires qui pourraient survenir lors d’agressions » israéliennes.

La branche de Hasbaya au sein du Parti social nationaliste syrien a de son côté salué l’opération menée par le parti chiite et assuré que cette région et tous ses villages « resteront une épine dans l’œil de l’ennemi » et soutiendront toujours la résistance. « Ce qu’il s’est passé à Chouaya est dû à un malentendu et ne reflète pas réellement la position des habitants du village », a assuré le PSNS.

Attaque d’une centaine de vans

La réponse à l’incident de Chouaya n’a pas tardé à venir, des agriculteurs druzes ayant été chassés de plusieurs régions. À Saïda, au Liban-Sud, des hommes proches du Hezbollah ont ainsi chassé des agriculteurs druzes de Hasbaya des lieux, leur interdisant de vendre leurs récoltes. Ce qui a été dénoncé par des habitants de la ville, ainsi que par Oussama Saad, député de Saïda, qui a affirmé que la ville est soucieuse de préserver « l’union nationale ». « C’est la ville de la liberté et de l’ouverture, a-t-il insisté dans un communiqué. Elle accueille tout le monde. » Plus tard, des jeunes partisans du Hezbollah, brandissant des fanions du parti, ont coupé la route et dressé un barrage au niveau de Deir Mimass, dans le caza de Marjeyoun.

La contre-riposte a eu lieu à Sofar, dans le caza de Aley, où de jeunes druzes s’en sont pris à plusieurs dizaines de vans se dirigeant de Beyrouth vers la Békaa. Il a fallu l’intervention de l’armée et des responsables politiques de la région pour rétablir le calme et l’ordre.

Courrier International lOLJ

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