LE FIGARO – Pourquoi avoir visé le Musée du Bardo, en plein centre de Tunis?

Jean-Charles Brisard Le Musée du Bardo, haut lieu du tourisme tunisien, n’était pas forcément la première cible. Il semblerait que les terroristes visaient en premier lieu le Parlement, situé juste à côté, et où était justement débattu un nouveau projet de loi anti-terroriste. Ils se seraient ensuite ravisés pour aller attaquer le musée.

Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a indiqué qu’il s’attendait à une attaque. Pourquoi?

Plusieurs attentats ont été déjoués ces dernières semaines dans ce pays où la réponse politique au terrorisme reste fragile. Les attaques visant les forces de l’ordre se multiplient (une soixantaine de soldats et policiers ont été tués depuis 2011, ndlr). La menace provient de la Libye voisine. Ce pays est devenu l’épicentre de la menace terroriste en Afrique du Nord, un sanctuaire pour les groupes armés tels que l’État islamique, les salafistes d’Ansar al-Charia, le groupe djihadiste Al-Mourabitoun de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar (qui a revendiqué l’attentat qui a fait cinq morts à Bamako, ndlr), ou encore la brigade tunisienne d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), Okba Ibn Nafaâ, très actif en Tunisie.

Ce groupe pourrait-il être à l’origine de l’attentat en Tunisie?

Oui. Okba Ibn Nafaâ, qui compte une centaine de combattants, est implanté en Tunisie depuis 2012. Bien organisée, cette brigade a déjà lancé de nombreuses attaques contre les policiers tunisiens. Elle a d’ailleurs appelé hier dans un message audio à mener des attaques contre le pays. Jusqu’à présent, leurs opérations étaient concentrées dans la région du mont Chaambi, à la frontière algérienne. La Tunisie revêt une importance particulière pour cette organisation qui veut s’implanter dans la région, jusqu’au Sahel. Ce serait pour eux le prolongement d’une stratégie et l’envie de démontrer qu’ils peuvent, eux aussi, frapper fort.

Comme un défi à l’État islamique?

Cette attaque peut en effet avoir été perpétrée dans un contexte de concurrence avec Daech pour la suprématie dans cette zone. Deuxième hypothèse: cette attaque peut aussi avoir été lancée par l’État islamique dans une volonté d’étendre le conflit au-delà de la Libye où il a un ancrage important. Un grand nombre de djihadistes tunisiens est parti en Irak et en Syrie. Ils seraient environ 3000 – le premier contingent étranger présent dans la zone – et quelque 500 d’entre eux seraient de retour en Tunisie (après avoir été entrainés à commettre ce genre d’attaques).

L’instabilité en Libye risque-t-elle de gangréner le reste de la région?

En Égypte (pays limitrophe de la Libye), les attaques contre les forces de l’ordre sont déjà quasi-quotidiennes. La Libye étant devenu l’épicentre du terrorisme, c’est vraiment l’ensemble de la région qui est menacé.

 – Figaro

« Je suis très préoccupée par ce qui se passe dans mon pays, l’économie va être grièvement touchée et l’année 2015 sera catastrophique. Le but des terroristes, qui était d’effrayer les étrangers est atteint », lance Hanane, la trentaine, résidante en Italie, actuellement en visite familiale à Tunis. Elle s’est rendue devant le Musée du Bardo, mercredi 18 mars, espérant en savoir plus sur l’attaque qui a fait 19 morts (dont deux français et 44 blessés dont 7 français).

Aux alentours de 17 h 30, plus d’une centaine de personnes se sont spontanément rassemblées sur les lieux du drame. Les forces de l’ordre sont déployées en grand nombre à l’intérieur et à l’extérieur du musée. Les derniers véhicules des forces anti-terroristes et ambulances quittent les lieux. Puis, les forces de l’ordre évacuent le périmètre en attendant l’arrivée des députés, qui empruntent la même entrée que celle du musée et se réunissent pour une séance plénière extraordinaire à 20 h 30 à l’Assemblée nationale constituante.

« Le dernier gouvernement a laissé faire le terrorisme et la situation s’est graduellement dégradée. Je suis venue devant le musée pour soutenir le nouveau gouvernement et le président Béji Caïd Essebsi. C’est un coup dur pour le pays, juste après les élections », déplore Hanane.

« Conséquences sur le tourisme »

 

Une centaine de personnes se sont également rassemblées devant le théâtre national de Tunis, mercredi 18 mars.
Une centaine de personnes se sont également rassemblées devant le théâtre national de Tunis, mercredi 18 mars. Crédits : Eric Reidy

Loin de là, devant le théâtre municipal, une centaine de personnes scandant « Unité nationale contre la menace terroriste » se sont rassemblées à partir de 16 heures. Certains répondaient à l’appel de différentes organisations comme l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), principale centrale syndicale de Tunisie, ou le Forum social mondial, d’autres à celui du parti Ennahda, lancé sur les réseaux sociaux.

Mohamed Saida, 20 ans, a répondu à l’appel. Il est venu soutenir les forces de l’ordre et l’armée tunisienne dans sa lutte contre le terrorisme. « Nous avons beaucoup de contrôles d’identité dernièrement et c’est une bonne chose pour notre sécurité, mais je pense que cet événement aura surtout des conséquences sur le tourisme », dit-il.

Chiraz, 41 ans, se tient debout sur les escaliers du théâtre nationale avec deux de ses amis. Venue au rassemblement, à la fois par solidarité et par curiosité, elle s’étonne de ne pas y trouver plus grande foule. « Ce qui s’est passé me touche dans ma chair, je suis inquiète pour la Tunisie. A mon avis, ce n’est que le début, vu ce qui se passe aux frontières et en Libye. La baisse du tourisme est inévitable, mais les premiers touchés sont les Tunisiens. Il est normal de s’inquiéter pour l’économie du pays, car si l’économie sombre, les risques de violence sont plus importants. C’est un cercle vicieux », affirme cette architecte de profession.

L’ambiance dans la capitale est pesante. Les Tunisiens ont peur. Moins pour leur sécurité que pour les efforts de la Tunisie, réduits à néant par la menace terroriste.

Salsabil Chellali (Tunis)

La Tunisie modèle de transition démocratique

Le président tunisien a promis de « combattre sans pitié » le terrorisme après l’attaque au Musée du Bardo, en plein Tunis, dans laquelle 17 touristes étrangers, dont deux Français, et deux Tunisiens ont péri, mercredi 18 mars. « Je veux que le peuple tunisien comprenne que nous sommes en guerre contre le terrorisme […]. Je veux que le peuple tunisien se rassure […] ces traîtres seront anéantis », a également lancé le président, Béji Caïd Essebsi, dans une allocution télévisée mercredi soir.

Cet attentat est la première opération terroriste d’envergure frappant le cœur de Tunis depuis le « printemps tunisien », qui avait abouti au départ du dictateur Zine El-Abidine Ben Ali, en janvier 2011.

Péril djihadiste

La capitale n’avait pas pour autant été épargnée par des troubles — l’assaut de l’ambassade américaine par des militants salafistes le 14 septembre 2012 ; les assassinats des personnalités de gauche Chokri Belaïd, le 6 février 2013, puis Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013 —, mais l’assaut de mercredi visant directement des étrangers est le premier du genre.

Il confirme un péril djihadiste que les responsables sécuritaires du pays sentaient venir à la faveur du chaos qui ravage la Libye voisine, mais aussi en raison de la permanence de foyers extrémistes dans la région du mont Chaambi, à la frontière avec l’Algérie. « Nous nous attendions à ce qu’il y ait une action d’un degré élevé » en Tunisie, a ainsi déclaré le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, en évoquant la situation libyenne.

Cette attaque survient alors que le scénario politique et institutionnel semblait s’être stabilisé après les incertitudes qui avaient suivi le départ de Ben Ali. Après la victoire au scrutin législatif d’octobre 2014 de la coalition anti-islamiste Nida Tounes, le chef de celle-ci, Béji Caïd Essebsi, âgé de 88 ans, a été élu président de la République en décembre. Un gouvernement d’union nationale a été formé dans la foulée. Dominé par le parti Nida Tounes, il comprend également une participation minoritaire du parti islamiste Ennahda, qui avait dirigé l’exécutif en 2012 et en 2013.

Cette réconciliation entre deux camps antagonistes qui s’étaient jusqu’alors âprement combattus avait été louée à l’étranger comme une transition exemplaire. C’est probablement cette exemplarité que les terroristes ont voulu frapper mercredi au cœur de Tunis.

Le Monde

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