Simon Epstein: « L’antisémitisme, un phénomène sociologique mystérieux qui n’a aucune explication rationnelle »

La lutte contre l’antisémitisme est au cœur du voyage du président français en Israël, à l’occasion du 5ème Forum de la Shoah et du 75ème anniversaire de la libération des camps de concentration. Simon Epstein, spécialiste de l’Affaire Dreyfus (*) et ex-directeur du Centre international de recherche sur l’antisémitisme à l’Université hébraïque de Jérusalem, fait le point sur la nouvelle vague d’antisémitisme qui touche le monde occidental.

Par Catherine DUPEYRON Publié le 23 janv. 2020 à 7h45Mis à jour le 23 janv. 2020 à 13h11
On assiste à une résurgence de l’antisémitisme. La Shoah n’a donc pas « vacciné » l’humanité contre la haine des juifs ?

Non. Dès les années cinquante-60, l’antisémitisme relève la tête. En fait, c’est la quatrième vague d’antisémitisme qui touche le monde occidental depuis 1945. Les précédentes ont eu lieu en 1959-1960, 1974-1982 et 1989-1992, et la dernière a commencé en 2000.

Celle-ci a trois spécificités : elle est plus longue – déjà 20 ans -, elle est le fait de personnes de l’extrême droite et d’autres issues de l’immigration ou de l’extrême gauche, et surtout le niveau de violences est plus élevé puisque des juifs ont été tués parce que juifs.

Si à chaque fois, l’antisémitisme a touché plusieurs pays, cela veut-il dire que c’est un phénomène contagieux ?

Cette hypothèse a fait l’objet de nombreuses études. Elle n’explique pas tout car on a constaté que des actes antisémites avaient été commis dans des zones très isolées comme l’Etat du Milwaukee, où personne n’avait entendu parler des actions menées ailleurs. L’antisémitisme est un phénomène sociologique mystérieux, qui n’a aucune explication rationnelle.

Les Etats-Unis sont également touchés par l’antisémitisme. C’est nouveau ?

Non pas du tout. L’antisémitisme y existe depuis très longtemps. Il apparaît au grand jour dès 1877 avec l’Affaire Seligman. Cette famille se voit refuser l’entrée dans un hôtel parce qu’elle est juive. C’est le début d’une exclusion sociale des juifs, qui va durer jusqu’à la fin des années 1950. Les universités fixaient des quotas pour le nombre d’étudiants juifs, des cafétérias universitaires étaient réservées aux Gentiles (NDLD : Non juifs). Par ailleurs, dans les années vingt, le Ku Klux Klan devient antijuifs. Enfin, dans les années trente, il y a aussi une campagne des pacifistes dénonçant les juifs « qui cherchent à entraîner les Etats-Unis dans une guerre qui ne nous concerne pas ».

La situation actuelle est-elle comparable à celle des années trente ?

Sur une échelle de la haine, qui va de zéro à l’apocalypse, je pense que l’on n’est pas encore au niveau des années trente. Et puis, je pense que l’on ne peut plus arriver à l’apocalypse car il y a un Etat juif qui peut les accueillir. Dans les années trente, tous les pays d’immigration ont fermé leurs portes les uns après les autres – le Canada, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud. C’était un piège planétaire : les juifs étaient dans une nasse dont il était impossible de fuir comme ils avaient pu le faire par le passé. Au moment de l’Inquisition espagnole, les juifs ont massivement fui vers l’Empire ottoman. Mais, la création d’Israël n’élimine pas les turbulences avec des pics et des creux. Les communautés juives de diaspora doivent vivre avec ça.

L’éducation est-il un moyen de lutter contre l’antisémitisme ?

Personnellement, je n’y crois pas. Il ne faut pas chercher à extraire l’antisémitisme de la tête des non-juifs mais il faut extraire les juifs du milieu dangereux où ils vivent, autrement dit régler la question juive par le retour des juifs en Israël.

(*) « Les dreyfusards sous l’Occupation » (Ed. Albin Michel)

Catherine Dupeyron (A Jérusalem)

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Amos Zot

Je ne suis pas du tout d’accord avec l’analyse de Epstein;au contraire l’antisémitisme présent dans les populations est très logique. Les responsables en sont la plupart des journalistes, politiciens et organisations internationales usant actuellement de doubles standards à l’encontre d’ Israël quand il ne s’agit pas tout simplement de fausses informations. Personnellement, je comprends très bien le passage à l’acte d’un jeune palestinien de 17 ans nourri depuis sa naissance par ce laitage antisémite. Même des Juifs, même des professeurs juifs d’université finissent par être influencés par cette propagande antisémite. Si on veut réellement lutter contre l’antisémitisme, il faut voter des lois : d’abord adopter la définition IHRA de l’antisémitisme ( adoptée par le Parlement européen mais par très peu de législation nationale) puis prévoir des peines de prison ferme pour les « influenceurs » ( journalistes, politiciens, enseignants,…) et enfin poursuivre les criminels; en d’autres termes appliquer ladite loi. Toutes les autres méthodes ont échoué depuis plus de 2000 ans. Les beaux discours, les cours sur la Shoah,les visites à Auschwitz, les marches, les allumages de bougies, …. ne sont que des mesures peu utiles ; écoper avec un seau l’eau qui s’engouffre par une immense brèche dans le bateau ne l’ empêche pas de couler.

Edmond Richter
alexandra

L’antisémitisme est un symptôme de décomposition et d’avilissement moral et social. Il est agi par des forces obscurantistes qui veulent prendre le pouvoir pour faire régner un ordre totalitaire et inhumain. En cela, il concerne l’ensemble de la société et non ses seuls boucs émissaires désignés.