Amos Oz fut probablement le premier.

Dès que les combats de la guerre des 6 jours cessèrent et que le tankiste réserviste qu’il était fut démobilisé, il fut frappé de constater le fossé entre l’euphorie de la victoire que vivait la rue israélienne et la douleur des soldats qui venaient, comme lui, de perdre des amis chers au combat.

Bien sûr, cette guerre des 6 jours lui paraissait justifiée puisqu’il s’agissait de défendre les frontières menacées une fois de plus par les pays voisins mais il ne partageait nullement la ferveur mystique qui semblait s’être emparée de tous, pour les lieux saints en général, la Vieille Ville de Jérusalem et le Kotel en particulier.

De la même façon, il était insensible à l’émotion que semblait susciter le retour aux frontières historiques de l’ancien royaume de David.

Il n’avait alors que 27 ans mais était déjà connu pour ses premiers écrits et dans le milieu littéraire, on lui reconnaissait un talent prometteur (“Ailleurs peut-être” avait paru deux ans plus tôt et “Mon Mikhaël” était pratiquement achevé).

C’était le temps où les plumes les plus célèbres d’Israël signaient le manifeste du “Mouvement pour l’intégrité d’Erets Israël”.

Autour de ses deux pères fondateurs, Nathan Alterman et  Moshé Shamir, tous deux issus de la mouvance de la gauche sioniste au pouvoir, on trouvait les noms de plus de 50 personnalités publiques ou d’hommes de lettre influents: Shay Agnon, le prix Nobel de littérature, Hayim Gouri, le grand poète du Palmah’, le mathématicien Ari Jabotinsky, homme de droite et fils de Vladimir Zeev, Itshak Tabenkin, considéré comme le maître à penser des pionniers socialistes , Rav Néria qui fut celui du Bné Akiva et le “père des kippot serougot”, le grand historien Zeev Vilnaï, le poète engagé Ouri Tsvi Grinberg, l’écrivain Hayim Hazaz et tant d’autres.

Il semblait que la victoire des 6 jours avaient redistribué les cartes : religieux et laïcs, sionistes travaillistes ou révisionnistes, tous se retrouvaient derrière les mots d’Alterman:  “cette victoire vient de gommer la différence entre l’Etat d’Israël et la terre d’Israël. Pour la première fois depuis la destruction du Temple, Erets Israël est entre nos mains. De la même façon que le peuple juif n’a pas le droit de renoncer à son Etat, ainsi nous avons le devoir de conserver ce que cet Etat vient de nous offrir : Erets Israël”.

Et pendant que tous ces grands noms signaient leur attachement inconditionnel à la terre de leurs ancêtres, Amos Oz semblait bouder la victoire.

Deux mois après la guerre, il publiait un article dans lequel il expliquait que “la situation absurde entre nos voisins et nous provient de leur volonté de nous anéantir. Ce n’est pas en élargissant nos frontières et en soumettant une population étrangère contre son gré et contre ses droits que nous régleront le problème”.

C’était le temps où il allait de kiboutz en kiboutz pour recueillir d’autres voix que celles d’Alterman et de ses amis.

Ainsi paru “Paroles de combattants” dans lequel les soldats issus des kiboutzim faisaient part de leur doute face au prix payé pour la victoire (un quart des soldats tombés au front étaient des kiboutznikim) et s’interrogeaient (déjà) sur le sort des vaincus.

Quelques temps plus tard il avouera ne pas avoir ressenti “les grandes ailes de l’Histoire” ni pendant les combats, ni après.

“J’ai bien sûr ressenti à la victoire la joie du naufragé qui vient d’échapper in extremis à la noyade. Mais, pour moi, il n’y a pas d’endroits saints. Je ne connais qu’une chose sacrée : la vie des gens et leur liberté. Si on me ramenait aujourd’hui au 4 Juin et on me montrait un moyen de sauver la vie et la liberté de mes frères et de mes amis sans avoir recours à la guerre, je renoncerais sans hésitation aux fruits de sa victoire. Le Kotel tout entier ne vaut pas à mes yeux la vie de l’enfant d’une seule mère. Ce n’est pas dans le retour aux frontières ancestrales que se trouve la justification de la guerre mais uniquement dans le combat pour la vie et la liberté, la tienne et celle des autres. “

La réponse d’Alterman ne tardera pas: “On ne peut pas dissocier l’esprit de la nation de la nation elle-même. L’esprit de la nation, c’est son histoire, sa culture, sa civilisation, y compris ses lieux saints. De quelle vie parle ce jeune prétentieux qui prétend vouloir tuer le Kotel pour mieux faire revivre son ami? Une vie sans profondeur historique, sans passé, sans croyance, sans vision, a-t-elle seulement une signification, un avenir?”

Finalement, c’est ici, sur ces deux textes écrits il y a 50 ans que repose la fracture qui divise ce qu’il est convenu d’appeler la gauche et la droite israélienne jusqu’aujourd’hui.

Alterman meurt en 1970. Oz poursuivra sa carrière littéraire comme son action politique. Il participe à la création de “la Paix Maintenant”, il soutiendra les accords désastreux d’Oslo, il aura des mots très durs pour les résidents des implantations de Judée-Samarie.

Il ira même jusqu’à dédicacer son livre à un terroriste emprisonné pour le meurtre de civils!  Cependant, il refusera toujours qu’on le prenne pour un de ces pacifistes soixante-huitards d’Europe ou des Etats-Unis.

“Si nous n’avions pas en main un énorme bâton qui fait peur, nous disparaîtrions sur le champ! ‘Faites l’amour et pas la guerre” est une gigantesque aberration !”

Oz savait aussi (parfois) écouter, malgré ses prises de position tranchées, souvent irresponsables et parfois impardonnables.

 Après la première guerre du Liban, il partit à la rencontre de la mosaïque israélienne.

Il rencontra l’ironie cinglante des harédim du quartier de Guéoula (“Si nous célébrons Yom Haatsmaout?!  Et qu’y a-t-il donc à célébrer? Quoi? Le messie est arrivé? Et entre nous, cet Etat que vous vous êtes créé ne commence-t-il pas à vous sortir par le nez à vous aussi ? “), la détermination des habitants d’Ofra en Samarie (“il n’y a qu’une alternative à notre ténacité, c’est la reculade progressive, le grignotage. Si demain, Ofra devait disparaitre, après-demain , ce sera le tour de Houlda, ton propre kiboutz!.”), l’ironie amère des juifs orientaux de Beth Shemesh (Tu me demandes à moi comment mettre fin à cette haine entre nous? A moi, le sauvage de Beth Shemesh? Pourquoi? Je suis prof à la fac, moi? C’est pas vous qui êtes censés tout savoir?”)

Alors oui, les positions d’Oz étaient extrêmes, comme celles de bon nombre de ses adversaires.

Parce que des deux côtés, nous sommes persuadés que si Israël devait appliquer les thèses d’en face, il courrait à sa perte.

Mérite-t-il pour autant les insultes dont l’ont abreuvé nombres de mes amis sur les réseaux sociaux, alors que son cadavre était encore chaud? Nos polémiques , aussi dramatiques soient-elles , doivent-elles nous empêcher de respecter le défunt au moins jusqu’à son enterrement?

On demanda un jour à De Gaulle d’attaquer Sartre en justice pour ses prises de position extrémistes, il répondit : “Sartre aussi, c’est la France”.

A la veille d’une campagne électorale qui s’annonce particulièrement vive et passionnée, il serait bon de se souvenir en choisissant les mots pour nos prochaines polémiques qu’Amos Oz et ses héritiers idéologiques, ce sont aussi Israël.

Arrêtez-moi si je dis des bêtises…….

Rav Elie Kling

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BENY

Vous auriez mieux fait de vous taire
Vous ressemblez à ces « écrivains » qui écrivent pour faire parler d’eux !
דע מה שתשיב לאפיקורוס
אפיקורוס גוי ולא אפיקורוס יהודי(רמב״ם
Ramer à contre courant comme l’ont fait Le Erev Rav dans le désert …40 ans de perdus , arrêtez d’écrire tout et son contraire ….ça marche dans tous les cas et ainsi rentrer dans « l’Histoire » du mensonge et de l’aveuglement de La gauche depuis un siècle entraînant des massacrés et des guerres dans le monde entier et le plus tristement célèbre Les (Des) accords d’Oslo