Invité d’Audrey Crespo-Mara, l’historien et géopoliticien, Alexandre Adler, qui publie Le Califat du sang(éd.Grasset), affirme, à rebours de l’opinion générale, que les islamistes sont partout en repli et que leur avenir est compromis.

Alexandre Adler publie "Le califat du sang" chez Grasset.

Alexandre Adler publie « Le califat du sang » chez Grasset. Capture d’écran LCI

Audrey Crespo-Mara : L’EI revendique l’exécution d’un nouvel otage américain et de soldats syriens. Parmi les bourreaux, il y a un Français, converti à l’islam, un Normand de 23 ans. Faire assassiner un Occidental par un autre Occidental, est-ce que ce n’est pas le comble de la perversité ?

Alexandre Adler : C’est-à-dire… il faut se mettre à leur place, toujours. Les islamistes font la distinction entre les convertis qui restent des espions des États-Unis – le travailleur humanitaire (Peter Kassig), qui était converti à l’islam, était en fait quelqu’un qui essayait d’infiltrer de l’intérieur l’islam – et, par contre, les bons, les vrais convertis qui, eux, n’hésitent pas à donner de leur personne et à combattre dans les rangs de Daesh (Maxime Hauchard). Et, c’est le symbole qu’ils ont peut-être voulu, ici, mettre en scène. En réalité, il s’agit d’une démonstration propagandiste – une de plus – pour dire « Voyez notre combat est le bon, un certain nombre d’Européens, parmi les plus conscients, nous rejoignent, et ce sera inexorable ! »

Dans votre livre Le Califat du sang, vous allez contre l’opinion générale ! Vous nous dites : « Jamais les islamistes n’ont été aussi faibles à l’échelle de l’Orient islamique. On est en train d’assister aux spasmes d’un mouvement entraîné dans une décadence irrémédiable. »

Oui, décadence. D’abord, parce que ce n’est quand même pas un mouvement majoritaire qui se livre à de telles déprédations. Et, de même que les Khmers rouges étaient la fin du maoïsme, là nous avons un peu la même situation ! Et puis, j’ai eu une grande confirmation et une grande surprise les deux dernières années. La grande confirmation, c’est l’évolution de l’Iran vers une forme de démocratisation et de réintégration de la communauté internationale. Les négociations sur le nucléaire avec les États-Unis se passent plutôt bien actuellement. Et elles vont se finir par une réintégration complète de l’Iran.

Et vous pensez justement que la résolution du problème de l’EI en Irak et en Syrie passe par un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les États-Unis…

Oui, parce qu’on ne peut tout de même pas avoir une guerre sur deux fronts où les États-Unis décréteraient finalement – parce qu’ils n’ont pas réussi cette négociation – que l’Iran, principal barrage aujourd’hui à l’avance de Daesh, notamment vers Bagdad, est également l’ennemi numéro 1 des États-Unis. C’est impossible. Et d’ailleurs, c’est ce que, précisément, le président Obama s’est efforcé d’éviter jusqu’à présent avec beaucoup de sagacité pour une fois. Quant à la grande surprise, c’est l’Égypte ! Je n’imaginais absolument pas que dans un pays où on ne manifeste pas beaucoup, dix millions de personnes envahiraient les rues du Caire pour chasser les Frères musulmans ! Et c’est comme cela que l’armée s’est enhardie et que nous avons aujourd’hui le régime du maréchal Sissi qui est de moins en moins contesté. Bref, nous avons les deux grandes puissances de l’Islam, l’Égypte et l’Iran, pour la première fois associées dans un même rejet de l’islamisme.

Pour vous, il y a un « sursaut d’énergie » des islamistes, avec ces exécutions, qui correspond en même temps à un « repli stratégique » sur toute la longueur du front, en Égypte, Syrie, Tunisie aussi, comme on l’a vu lors des dernières élections.

Ces élections (tunisiennes, NDLR) c’est évidemment un contrecoup de l’Égypte, mais avec le côté démocratique et avancé du Maghreb. C’est-à-dire que là, pour la première fois, les islamistes ont été reconduits à la porte, mais gentiment par le suffrage universel et sans violence.

Il y a beaucoup d’Arabes musulmans qui ne croient plus aux islamistes.

Je suis persuadé que si maintenant il y avait des élections libres, si on additionnait les manifestants égyptiens, les électeurs iraniens qui à 55 % ont élu l’ayatollah Rohani, connu comme le plus apte à la négociation, les 46 % de laïcs qui ont voté contre Erdogan en Turquie, et puis les peuples algériens et marocains, vous avez une majorité aujourd’hui assez large du monde musulman qui rejette l’islamisme sous toutes ses formes ! Et, donc, ce n’est pas étonnant que dans ces conditions, vous ayez un abcès de fixation très violent et particulièrement frappant. Mais, ce n’est pas parce qu’on décapite, ce n’est pas parce qu’on se conduit de la manière la plus abominable que l’on est majoritaire. Les SS qui tuaient à tour de bras en 1943, même en 1944, c’étaient des gens qui étaient battus ! Mais si on le dit, bien sûr ça va contre l’évidence et c’est bien pour cela d’ailleurs qu’ils essaient de semer la terreur, pour faire illusion !

Ceci étant, il faut résoudre le problème de l’EI en Irak et en Syrie. Vous nous dites : « Les armées irakiennes, syriennes, ont les moyens de réduire cette poche de l’EI. Mais elles ont besoin qu’on les aide. » La vraie aide, c’est d’envoyer des troupes au sol ?

Surtout pas ! Parce que cela donnerait à la bataille de l’EI un caractère anti-impérialiste, anticolonialiste. C’est une des rhétoriques sur lesquelles il joue ! Or, il existe en Irak dans la majorité chiite et chez les Kurdes, comme on l’a vu à Kobané dans sa résistance héroïque, beaucoup de bonne volonté et beaucoup de courage. Par conséquent, il faut tout simplement laisser les Russes aider la Syrie et abandonner, même si verbalement on continue à le dénoncer, toute pression sur Bachar el-Assad. Il faut encourager l’armée irakienne à se reconstituer et repasser à l’action. Et il faut aider, par de bonnes relations avec l’Iran, la solidité de cette coalition. Et donc, réconcilier les Iraniens et les Saoudiens, ce qui n’est peut- être pas impossible aujourd’hui. Et puis, pour le reste, évidemment, une aide aérienne n’est pas inutile, quelques forces spéciales par exemple, il faut guider les frappes aériennes du sol. Mais ce ne sont pas des grandes unités militaires comme dans la conquête de l’Irak. Il faut surtout éviter ça ! 

L’EI, qui s’est doté d’une police, de tribunaux, de programmes scolaires, se met à frapper sa propre monnaie, nouveau symbole de l’État qu’il s’efforce de mettre en place. Vous, vous pensez que tout ça, c’est juste de la propagande ! Et, quant aux finances – le pétrole assure à l’EI des rentrées d’un million de dollars par jour -, vous écrivez : « Les bases financières de l’EI sont compromises. »

Oui ! D’abord, vous savez que les Saoudiens – pour gêner les Iraniens et un peu les Russes – font baisser aujourd’hui systématiquement le prix du pétrole. Et ils continueront cette politique tant qu’ils la jugeront nécessaire. Donc, nos amis du Qatar eux-mêmes – puisque leur prix du gaz est indexé sur celui du pétrole – ne sont pas aujourd’hui dans leurs hautes eaux ! La même chose pour le peu de pétrole que Daesh a confisqué en Syrie : il faut l’écouler par la contrebande. Bien entendu, la Turquie est le maillon faible du dispositif, elle laissait faire cette contrebande, comme elle laissait venir nos djihadistes de banlieues pour rejoindre le territoire de Daesh. Je ne suis pas sûr qu’Erdogan puisse poursuivre éternellement cette politique. Et, la contrebande de pétrole, ça demande des infrastructures physiques. Comment va-t-on franchir les montagnes du Kurdistan alors que tout le peuple kurde est aujourd’hui dressé comme un seul homme contre Daesh ? Dans ces conditions, qu’est-ce qu’il leur reste ? L’économie intérieure ? Ce sont des plaines, parfois des déserts, encadrés de tous côtés par des forces hostiles ! Je ne suis pas persuadé que Daesh puisse survivre longtemps s’il n’arrive pas à déboucher en Arabie saoudite. C’est là, la question essentielle. Pour l’instant, les Saoudiens non seulement tiennent bon, mais n’ont jamais été aussi proches du régime antiislamique du maréchal Sissi au Caire.

Les Saoudiens qui ont financé les attentats du 11 septembre, selon Zacarias Moussaoui, l’ennemi numéro 1 des États-Unis, « le 20e pirate de l’air ». Toujours incarcéré, il écrit à la justice.

Oui, mais on sait très bien que lorsque l’on dit l’Arabie saoudite, ce sont des fortunes privées saoudiennes, et cette affaire a d’ailleurs failli renverser la monarchie saoudienne. Depuis lors, beaucoup de choses se sont passées. Et là, je peux vous garantir que le Qatar finance en effet Daesh, mais ils vont arrêter de le faire, et l’Arabie saoudite, certainement plus !*

 

Le Point

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Arie

Comment on dit « wishful thinking »?

corail

Oui Mr Alexandre Adler, je lis toujours avec grand intérêt, vos articles qui intelligemment diffèrent de ceux publiés habituellement. Cependant, je vous trouve, cette fois, très optimiste. Que D…vous entende, bien entendu. Tout d’abord, je me félicite de n’avoir jamais compris pourquoi les occidentaux se sont tous portés contre Bachar El Assad et donc en faveur des rebelles au point de vouloir les armer!
Quelle erreur !
Maintenant prévoir ce qui sortira de cet imbroglio IRAN, DAESH, SYRIE, HESBOLLAH IRAK, je prie pour que vos prévisions soient justes!

Marc

« Laisser l’armée irakienne se reconstituer » : A. Adler est, peut-être, le seul « observateur » (myope?) à ne pas savoir qu’en lieu et place de cette si fameuse armée mexicaine de Bagdad, l’Iran est en train de reconstituer un Hezbollah bis, dans le flanc des Kurdes et qu’ils menacent toute « réconciliation » future avec les quelques tribus sunnites qui tentent d’échapper aux coups de Daesh : http://rudaw.net/english/middleeast/iraq/18012015 : cette milice pro-iranienne se compose de 800. 000 hommes et attendent de faire le « ménage » de tous côtés, non pas tant contre Daesh, outre que c’est une menace pour eux, que contre toute aspiration kurde ou sunnite irakienne hors EI…

Marc

La Grande arnaco-confirmation : la République Islamique d’Iran, n’est pas, n’est plus et n’a finalement, jamais été “islamiste”. Sacré Alex! Depuis le temps qu’il essaie de nous fourguer son Iran et ses Ayatollahs fréquentables! Adler préfère vendre la peau de l’ours nucléaire avant de l’avoir, ne serait-ce qu’effleurer! de “démocratisation”!: : Ce sont les x milliers de pendus encore frais s’agitant au bout d’une grue, les femmes se faufilant entre deux milices de la vertu, les prisonniers des pénitenciers de conscience qui ont vraiment de quoi se réjouir. Adler ou le cynisme au bout de la potence!

“La grande confirmation, c’est l’évolution de l’Iran vers une forme de démocratisation et de réintégration de la communauté internationale. Les négociations sur le nucléaire avec les États-Unis se passent plutôt bien actuellement. Et elles vont se finir par une réintégration complète de l’Iran. -“

leia

Oui, un Iran nucléaire et pacifique ! C’est contradictoire et absurde ! Ils veulent le leadership sur le monde musulman et le monde tout court !