Rabbi Baer de Radoshitz adressa un jour à son Maître, le voyant de Lublin, la prière suivante: «Indique moi le chemin général pour servir Dieu.» Le Tsaddiq (Juste) répondit: «Il ne convient pas de dire à l’homme le chemin à suivre.
Car il y a un chemin où l’on sert Dieu par l’étude, un autre par la prière, un autre par le jeûne et un autre aussi par la nourriture. Chacun doit veiller avec attention sur le chemin qui lui est propre et vers lequel le conduit son coeur; il lui faut choisir cette voie de tout son coeur.»

Ceci éclaire quelque peu le culte authentique qui est pratiqué devant nous.

Certes nous devons apprendre et respecter, mais jamais imiter. Ce qui a été fait de saint et de grand est pour nous exemplaire car il nous montre ce que sont la sainteté et la grandeur mais il n’y a pas de modèle à suivre. Si petites que soient nos performances en comparaison de ce que firent nos ancêtres elles n’en sont pas moins importantes car elles reflètent ce que nous avons fait par nos propres moyens.

Un Hassid (dévot) demanda au Maggid (thaumaturge): «On dit que chaque Israélite est censé s’interroger ainsi: Quand donc parviendrais-je au niveau de mes pères Abraham, Isaac et Jacob? Comment dois-je comprendre cette phrase? Comment s’enhardir à penser que ses actions propres pourraient un jour égaler celles de ses patriarches?»

Le Maggid répondit: «De même que les patriarches créèrent chacun à sa manière une nouvelle forme de culte, chacun suivant ses capacités, à savoir l’un par l’amour, le second par la puissance et le troisième par la splendeur, ainsi chacun d’entre nous doit, selon ses moyens, apporter un renouveau, non point en faisant ce qui a déjà été fait, mais en réalisant ce qui reste à faire.»

Chaque homme apporte au monde quelque chose de nouveau et qui n’existait pas avant lui. Tout Israélite a le devoir de savoir et de méditer qu’il est unique ici-bas et qu’il n’a encore jamais eu de pareil sur cette terre; car si tel avait été le cas on n’aurait guère besoin de lui. Chaque individu est unique en ce monde et il lui incombe de se parachever durant son existence terrestre.

En réalité, si le Messie n’est toujours pas là c’est parce qu’un tel projet n’a pas encore été réalisé. C’est cet aspect unique que tout un chacun doit développer et non point reprendre ce qu’un autre, si grand soit-il, a déjà réalisé. Le sage rabbi Bunam disait dans son grand âge alors qu’il avait déjà été frappé de cécité: «Je ne voudrais pas être à la place de notre patriarche Abraham. Que pourrait bien dire Dieu du fait qu’Abraham serait Bunam et Bunam Abraham?»

Mais la même chose est rapportée avec plus de force encore de rabbi Susya au moment de sa mort: «Dans le monde à venir on ne me demandera pas : Pourquoi n’es tu pas devenu Moïse notre Maître? On me dira plutôt: Pourquoi n’es tu pas devenu Susya?»

Nous faisons face à une doctrine qui se fonde sur le point suivant: Par essence les hommes sont inégaux. Tous les hommes ont à Dieu un accès différent. Or c’est précisément dans cette diversité des hommes, de leurs tendances et de leurs capacités que se situe le grand espoir de l’humanité.

Martin Buber, Der besondere Weg des Menschen, Heidelberg, Lambert & Schneider, 1981, (8é Ed), pp 14-17. traduit de l’allemand par MRH.

Maurice-Ruben HAYOUN

Extrait II

Que tu as besoin de Dieu plus que de toute autre chose, cela ton cœur le sait de tout temps; mais ne sais tu pas aussi que Dieu a besoin de toi, oui de toi dans la plénitude de son éternité?

Comment y aurait-il un homme si Dieu n’en avait point besoin? Comment existerais tu alors? Pour être tu as besoin de Dieu et Dieu a besoin de toi, justement en raison de ce qui donne un sens à ta vie. Les leçons morales et les poésies s’évertuent à le répéter: comme il est trouble et orgueilleux ce discours du Dieu en devenir, oui mais c’est le devenir du Dieu qui est: nous le savons bien, c’est une vérité inébranlable dans notre cœur. L’univers n’est pas un jeu divin mais un destin divin. Le fait que le monde existe, que l’homme existe, que la personne humaine existe, que j’existe et que tu existes, tout ceci a un sens divin.

La création, elle se réalise en nous, nous pénètre et nous entoure ardemment, nous tremblons et nous périssons, nous nous soumettons. La création, nous en faisons partie, nous rencontrons le créateur, nous nous offrons à lui comme un aide et un compagnon.

Deux grands serviteurs traversent le temps, la prière et le sacrifice. L’orant épanche son âme dans une dépendance infinie et sait d’une manière incompréhensible agir sur Dieu sans toute fois exercer sur Lui la moindre contrainte. Quand il n’a plus le moindre désir il voit son action brûler dans une haute flamme. Et celui qui offre un sacrifice? Je ne peux le mépriser, ce loyal serviteur des temps anciens qui se figurait un Dieu désireux de sentir le fumet de ses sacrifices; il savait de manière à la fois folle et forte que l’on peut, que l’on doit, donner à Dieu. Et cela l’homme le sait qui sacrifie sa petite volonté et qui rencontre Dieu dans ce qui est grand.

« Que Ta volonté soit faite » il ne dit rien d’autre mais la vérité complète son message en ces termes: « par moi dont tu as besoin. » Qu’est- ce qui sépare la prière et le sacrifice de toute magie?

Cette dernière veut agir sans entrer dans la relation et exerce ses artifices dans le vide, les deux premières se placent « devant la face » dans l’accomplissement du verbe fondamental qui implique un effet réciproque.

Martin Buber, Ich und Du, Heidelberg, 1983, IIe Ed., pp 99-100. Traduit de l’allemand par MRH.

le chemin où l’on sert Dieu par l’étude, un autre par la prière, un autre par le jeûne et un autre aussi par la nourriture. Chacun doit veiller avec attention sur le chemin qui lui est propre et vers lequel le conduit son cœur; il lui faut choisir cette voie de tout son cœur.

Ceci éclaire quelque peu le culte authentique qui est pratiqué devant nous. Certes nous devons apprendre et respecter, mais jamais imiter. Ce qui a été fait de saint et de grand :Personal LW LSDIC PHILO IV:Buber III

Extrait III

Avec Marx nous sommes déjà en pleine réaction anthropologique contre Hegel. Et c’est en Marx que nous percevons dans toute son acuité le caractère spécifique de cette révolte: on se reporte à la limitation anthropologique de l’image de l’univers sans tenir compte de la problématique et du questionnement anthropologiques.

Le philosophe qui se révolte ainsi contre Hegel et dont le disciple fut Marx en dépit de toutes les différences et de toutes les oppositions n’est autre que Feuerbach. La réduction sociologique de Marx est précédée par celle de Feuerbach. Pour comprendre au mieux le combat de Feuerbach contre Hegel ainsi que l’importance de cette lutte pour l’anthropologie il vaut mieux partir du point suivant: Quel est le commencement de la philosophie? S’appuyant sur Hume et battant en brèche le rationalisme, Kant avait placé la connaissance en tête, au commencement même de ce que trouve l’homme qui philosophe; du coup il fit du connaître et de sa possibilité même le problème philosophique crucial.

Ce problème le conduisit par la suite à la question anthropologique: Qu’est ce donc que l’homme, cette essence qui connaît de cette manière? Hegel escamote cette première question en toute connaissance de cause. Ainsi qu’il l’affirme sans ambiguité aucune dans son Encyclopédie des sciences philosophiques (1817), aucun objet immédiat ne saurait se situer au commencement de la philosophie car l’immédiateté répugne par essence à la pensée philosophique. En d’autres termes, contrairement à ce que firent Kant et avant lui Descartes, la philosophie ne doit pas prendre l’homme qui philosophe comme point de départ, elle doit anticiper. Cette anticipation s’accomplit par la phrase «l’être pur constitue le commencement» ce que l’on explique immédiatement dans le sens suivant «l’être pur n’est autre que l’abstraction pure».

C’est à partir de ce fondement que Hegel peut faire de l’évolution de la raison universelle l’objet de la philosophie en lieu et place de la connaissance humaine. C’est ici précisément que commence le combat de Feuerbach. La raison universelle n’est qu’une appellation nouvelle pour Dieu: et de même que la théologie en disant Dieu ne faisait que déplacer l’essence humaine de la terre vers le ciel ainsi la métaphysique en recourant à la raison universelle ne fait que remplacer l’être concret par l’être abstrait.

Martin Buber, Das Problem des Menschen, Heidelberg, 1982, 5e Ed., pp 58-59. Traduit de l’allemand par MRH.
2556c

Extrait III

Nous possédons aussi la prophétie d’un contemporain qui fut probablement le disciple d’Isaïe et qui, paradoxalement, fit une prédiction concernant la destruction du temple.

Un villageois originaire du sud-ouest, c’est-à-dire de la plaine côtière, qui avait déjà, depuis son hameau natal, prédit la destruction du royaume de Juda, s’en vint à Jérusalem et reprit apparemment l’enseignement d’Isaïe que l’on retrouve dans plusieurs de ses dits (4;1-5) mais qu’il complète à sa manière. Apparemment, cela ne lui suffit pas, alors il se mit à prêcher la parole divine de manière plus radicale et impitoyable: « rempli de force par l’esprit de YHWH, d’esprit de justice et de vaillance. » (Michée 3;8).

Il dépasse son maître sur trois points: tout d’abord la critique sociale. Il fait figure non point de quelqu’un qui fait cause commune avec les opprimés mais comme un homme qui réclame aux puissants des comptes. Dans le sillage d’Isaïe (5; 8-10) mais en recourant ˆ une rhétorique plus passionnée (Malheur à vous qui dépouillez les paysans de leur champ et de leur chaumière) il dénonce les forts; traîné devant la justice (nous ne disposons que de quelques éléments de son récit 3;1s) il s’en prend « aux chefs de Juda » en leur présence et les accuse de dévorer « la chaire de mon peuple. » (5;3).

Le second point concerne l’exigence divine: dans un dialogue que certains, en raison de son style, se refusent ˆ attribuer à Michée (encore que de tels changements de langue dus ˆ des tensions paroxystiques ne soient pas rares dans toutes les littératures religieuses) il fait poser par un homme du peuple la question suivante: Doit-on aller jusqu’ˆ sacrifier son propre enfant pour s’attirer la faveur de Dieu?

Dans sa réponse le prophète accorde la préférence à une éthique religieuse, libre et universelle, par rapport au culte sacrificiel; une éthique religieuse précisément où l’essence de la croyance s’unit intimement à deux autres éléments de l’imitation de « l’authenticité » d’Amos et à la grâce de Michée. On doit cheminer aux côtés de Dieu mais avec modestie. Une croyance qui se vante de ce qu’elle est, qui est dépourvue de retenue, n’en est plus une.

Le troisième point consiste dans la punition de l’acte impie, c’est-à-dire lorsque l’on s’abstient d’accomplir le bien. La ville érigée « sur le sang » (3;10) ne saurait persister. Tous ceux « qui bafouent la justice et tordent ce qui est droit » (5;9), les chefs qui ne sont pas des chefs, les prêtres qui ne sont pas des prêtres, les visionnaires qui ne sont pas des visionnaires, tous ces hommes méconnaissent et rejettent le message d’Isaïe, ils subvertissent le noble message d’un Psaume (46;6) si proche de l’esprit d’Isaïe, qui parle de la ville de Dieu qui ne vacillera pas car Dieu est « en elle », dans sa foi puisque ses habitants se disent que JHWH séjourne « en leur sein » : Le mal ne saurait fondre sur nous (Michée 3;11). C’est précisément pour cette raison, leur crie Michée, c’est à cause de vous qui faites preuve d’assurance malgré votre blasphème que votre bastion tombera.

Martin Buber, Der Glaube der Propheten, Heidelberg, 1984, 2e Ed., pp 197-199. Traduit de l’allemand par MRH. 3242c. -:Personal LW LS DIC PHILO IV:Cardozo

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Elyethbettan

Merci Mr Maurice-Ruben Hayoun pour cet article qui resume parfaitement ce livre de Martin Buber si ce n’est que le fondement de sa theorie n’est pas l’inegalite des hommes mais leur difference . Les hommes peuvent parfaitement etre egaux en droits et devoirs , etre egaux suivant differentes echelles de valeurs et etre differents d’ou la necessite de proner le droit a la difference dans le respect des prescriptions qui s’imposent a tout juif – savoir le joug de la totah.