Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris et auteur d’un ouvrage sur les Neuf Vies d’Al-Qaeda, commente l’opération menée par la Mauritanie contre cette mouvance hétérogène qui détient encore trois otages dont un Français.

C’est sur cette route menant à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, que trois humanitaires espagnols avaient été enlevés en décembre 2009. Deux d’entre eux sont encore aux mains d’Al Qaeda au Maghreb islamique, tout comme l’otage français Michel Germaneau.

L’armée mauritanienne vient de mener un raid contre Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). Quelle est l’efficacité de ce genre d’intervention face à un groupe si insaisissable dans le désert?

Il m’est impossible d’évaluer l’impact à court et moyen terme de ce type d’opérations, car c’est une première du genre. En revanche, il faut souligner que l’armée mauritanienne semble avoir enfin décidé de prendre l’initiative dans la région, et de ne plus la laisser aux mains des terroristes d’AQMI. Et notamment à l’une des deux brigades qui le compose: la katiba d’Abou Zeid, responsable de nombreuses provocations et d’attaques contre les forces régulières, en Mauritanie, au Mali et au Niger, ces dernières années.

Est-ce ce groupe qui détient l’otage français Michel Germaneau dont la libération était l’un des buts de l’opération?

Il se trouve que c’est ce groupe qui détient notre compatriote, oui. C’est lui aussi qui détenait Pierre Camatte, libéré plus tôt cette année. Mais l’intervention mauritanienne est présentée comme une action préventive par rapport au risque d’une nouvelle agression de la part de cette katiba.

AFP
Michel Germaneau, toujours détenu par Aqmi.

Vous évoquiez une autre brigade. En quoi se distinguent-elles?

L’autre katiba, celle de Mokhtar Belmokhtar, est implantée depuis plus longtemps dans la région. Elle a multiplié attentats, enlèvements et agressions, c’est elle qui a tué quatre touristes français en décembre 2007 dans l’est de la Mauritanie. Elle est dangereuse mais moins agressive que les commandos rapides d’Abou Zeid, plus ambitieux géographiquement, et encore plus expéditifs dans leurs méthodes.

Comment expliquer cette différence?

Mokhtar Belmokhtar a contracté une série d’accords explicites ou tacites avec des réseaux de trafics divers (armes, cigarettes, drogues, migrants illégaux). Il en est même arrivé à être surnommé Mister Malboro… Les trafiquants apprécient une certaine forme d’ordre, poser des bombes en permanence ne serait pas bon pour leur activité. Ce genre de préventions embarrasse beaucoup moins Abou Zeid.

En outre, Abou Zeid cherche à se distinguer aux yeux des chefs d’Al Qaeda, au Pakistan, qui considèrent toujours Aqmi comme une formation périphérique, bien trop absorbée dans des intrigues locales. C’est lui qui a ouvert le front du Niger, avec le kidnapping de l’envoyé spécial de l’ONU, de nationalité canadienne, libéré 22 avril 2009. C’était une première. Depuis, les embuscades se multiplient dans le nord du pays. C’est cette katiba d’Abou Zeid aussi qui a procédé à la seule exécution par AQMI d’un de ses otages, le Britannique Edwin Dwyer, tué en mai 2009.

Observe-t-on une recrudescence de leur activité pour autant?

En ce qui concerne les enlèvements, non. C’est même l’inverse. Le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui est devenu AQMI en 2007, se livrait déjà à des enlèvements d’occidentaux: en 2003, ils en détenaient 32; ils en ont trois aujourd’hui un Français, Michel Germaneau, et deux ressortissants espagnols, ndlr »>Article original. Trois de trop, certes, mais on ne peut pas parler de montée en puissance.

Cette baisse s’explique par le fait que les touristes et les humanitaires évitent de plus en plus la région où plus personne n’est à l’abri. Avoir des amis locaux ne protège plus, ces terroristes sont hors du jeu traditionnel et ne respectent plus ces règles.

Quelle est l’assise d’AQMI dans la région?

AQMI profite d’une situation sociale très dégradée: la population du nord du Niger par exemple est fragilisée par la famine. Les services rendus à des réseaux délinquants permettent d’obtenir d’autres services en retour, ce qui favorise les déplacements rapides dans le désert. Quant à leurs ressources financières, ces deux katibas les tirent de ces trafics. Mais elles ne comptabilisent que 200 à 300 personnes dans tout le Sahara, on peut donc difficilement parler d’assise.

Vous parliez d’escalade régionale. Une expansion au Nigéria, pays majoritairement musulman, apparaît-elle à l’agenda d’Aqmi?

L’émir d’AQMI, depuis son repaire en Kabylie, a offert ses services aux musulmans du Nigéria, il y a quelques mois. Mais il a aussi menacé par le passé de venger les Palestiniens de Gaza ou les musulmans chinois, le tout sans conséquence directe. On est dans l’escalade rhétorique. Si une douzaine de membres d’Al Qaeda sont des ressortissants du Nigeria, ce nombre reste négligeable en regard de la population de ce pays. Quant aux islamistes du Nigéria, ils n’ont jamais mentionné Al Qaeda.

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