La politique actuelle du gouvernement Recep Tayyip Erdogan ne permet pas de relancer le processus de paix, bloqué depuis le mois d’octobre. Si le gouvernement turc persiste sur cette ligne, la confrontation est inévitable, d’une manière ou d’une autre.

Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a déjà annoncée l’arrêt du retrait de ses combattants, accusant le gouvernement de ne pas agir selon l’esprit du processus de paix, lancée en mars par le leader kurde Abdullah Ocalan depuis sa prison d’Imrali.

Pourquoi on en est arrivé là et qu’arrivera-t-il après? Etant une force anti-démocratique dans sa nature, le gouvernement Erdogan cherche toujours à faire accepter aux Kurdes un deuxième Traité de Lausanne sur la table des négociations, toute en évitant d’établissement d’une véritable démocratie participative en Turquie pour tous les citoyens.

On observe ce caractère anti-démocratique dans chaque action du gouvernement. Il est confronté à l’intérieur du pays à une contestation sociale grandissante, tandis que sa politique formulée comme « zéro problème avec les voisins » a été un fiasco total. Le gouvernement est tombé dans une impasse, surtout en Syrie. Face aux échecs et la politique de répression du gouvernement, la force croissante du PKK dans toutes les parties du Kurdistan (Irak, Iran, Syrie et Turquie) a poussé Erdogan à changer sa politique et son langage vis-à-vis des Kurdes.

Sa politique négationniste, répressive et anti-Kurde n’est plus tenable. Il a été vaincu dans sa guerre contre les Kurdes, via les jihadistes d’Al-Qaida en Syrie. Jusqu’ici, ses bonnes relations avec le Kurdistan irakien n’ont pas non plus réussi à isoler les Kurdes syriens et le PKK.

Lors de l’hiver 2011-2012, le gouvernement AKP a parié sur la défaite militaire du PKK, comptant sur un scenario sri lankais. Mais il s’est trompé dans son calcul. L’été 2012 est devenu un cauchemar pour le gouvernement quand les combattants kurdes ont frappé sur tous les fronts et ont pris le contrôle d’une large zone.

GAGNER DU TEMPS JUSQU’AUX ELECTIONS

Ce sont les faiblesses du gouvernement Erdogan et la forte volonté du peuple kurde qui sont les éléments déterminants pour la poursuite du processus de paix. Mais ce que Erdogan entend de ce processus, c’est de gagner du temps jusqu’aux élections municipales de 2014.

Les déclarations d’Erdogan qui fait semblant de vouloir trouver une solution démocratique et durable à la question kurde, sans toutefois reconnaitre les revendications légitimes du peuple kurde, et son alliance avec le parti dominant du Kurdistan irakien, le PKD de Masssoud Barzani, pour marginaliser le PKK montrent ainsi les vraies intentions de l’Etat turc.

Son paquet des réformes « démocratiques » n’a satisfait personne, ni les Kurdes, ni les Alevis. L’éducation en langue maternelle a été limitée dans les écoles privées qui sont chères. En bref, aucune revendication kurde n’a été satisfaite.

LES REVENDICATIONS KURDES

Trois principales demandes sont formulées par la partie kurde, soit par le BDP et le KCK, le système politique du PKK. Il s’agit de la reconnaissance de l’identité kurde dans la nouvelle constitution, l’éducation en langue maternelle dans les écoles publiques, et une autonomie démocratique, soit le droit à une autogestion dans la région kurde.

Par ailleurs, les Kurdes exigent notamment le démantèlement du système du gardien de village, utilisé par l’armée turque dans cette sale guerre de 30 ans. Mais aussi la modification du système électoral de 10 % et la libération des prisonniers politiques dont des élus, maires, journalistes, avocats, syndicalistes et étudiants.

Fin octobre, cette approche du gouvernement à amener le responsable du PKK, Cemil Bakik, à dire : « Le processus de dialogue est terminé. Il n’y a plus rien à discuter. Continuer ce dialogue ne serait que de bavarder. Nous devions passer à la phase des pourparlers le 1er juin. Le processus est désormais terminé par l’AKP. »

L’EXPERIENCE SUD-AFRICAINE

Un processus de paix ne peut pas être unilatéral. Pour avancer dans la voie de la résolution politique et pacifique, le chef du PKK Abdullah Ocalan exige maintenant de passer à une autre phase dans les négociations, soit des pourparlers profonds avec des résultats. Pour les kurdes, la première phase est terminée le 15 octobre. Ocalan rappelle notamment l’expérience Sud-africaine qui a conduit à libération de Nelson Mandela. La phase de « pourparlers profonds » peut être interprétée comme une liberté partielle tout comme Mandela qui a été mis en résidence surveillée en décembre 1988. Maintenant la balle est dans le camp d’Erdogan et l’Etat turc. Il faut donc sortir du cadre illégale et renforcer ces négociations sur une base légale.

Si le gouvernement rompe les négociations, ce sera une erreur historique pour la Turquie. Car les kurdes cherchent toujours une solution à l’intérieur de la frontière de la Turquie, mais dans un pays démocratique avec une autonomie pour préserver l’identité et la culture kurde. Toutefois, il est clair que le gouvernement ne voit aucun pour le moment à rompre avec ce processus qu’il considère comme son sauveur.

UNE TROSIEME PARTIE EST EXIGEE

Parallèlement, l’appel des autorités turques pour déposer les armes n’a aucun sens dans les conditions actuelles, car le terrain n’a pas été préparé avec des lois, pour officialiser le processus de paix. Ce qu’on doit comprendre du mot « officialiser », c’est un vote au parlement et un accord écrit.

Le PKK a récemment annoncé trois conditions pour passer aux pourparlers. Car, pour le mouvement populaire kurde, les conditions actuelles des négociations ne sont pas égales pour les deux parties. Le gouvernement n’accepte ni la supervision d’une troisième partie, ni l’amélioration des conditions de détention d’Ocalan. En bref, le PKK exige un allègement des conditions de détention d’Abdullah Öcalan, des lois pour garantir les droits et des pourparlers sous supervision d’une troisième partie.

« Les journalistes, académiciens et tous ceux qui veulent jouer un rôle doivent également pouvoir rencontrer Ocalan. Nous voulons la participation d’une troisième partie. M. Ocalan considère que la supervision d’un pays de l’Occident peut relancer le processus » a déclaré Gultan Kisanak, co-présidente du principal parti kurde BDP, lors d’une conférence de presse en Allemagne, le 15 novembre.

IL FAUT ARRETER DE DEMANDER A L’AKP DES DROITS

Que se passera-il maintenant puisque le gouvernement ne veut pas satisfaire les demandes kurdes tout en évitant d’une confrontation armée dans la conjoncture actuelle défavorable pour le régime turc ?

M. Ocalan a déclaré lors d’une rencontre avec deux députés BDP, « il faut arrêter de demander des choses à l’AKP comme des mendiants. Le BDP a un grand soutien du peuple, il y a une centaine de mairie et d’importants moyens. Donc, il doit réaliser sa revendication avec ses propres moyens, sans frapper la porte de l’AKP. »

Ce qui veut dire que les Kurdes n’ont pas besoin de l’autorisation des autorités turques pour obtenir leurs droits légitimes. C’est l’AKP qui doit venir frapper la porte du BDP.

UNE AUTONOMIE DE FACTO

Les Kurdes pourraient ainsi mettre en œuvre leur projet d’autonomie démocratique avec des moyens légaux, évitant une confrontation directe avec l’Etat turque. De cette approche, il incombe notamment aux maires kurdes du BDP de réaliser ce projet en créant une économie alternative, privilégiant notamment les coopératives, avec d’autres piliers importants de l’autonomie démocratique, comme la justice, la sécurité, soit auto-défense, culturel, sociale etc.

Le gouvernement et l’Etat turc ont tort de croire que les kurdes resteront sans réactions et ouvreront leurs mains pour se supplier, pour se mendier afin d’obtenir quelques droits proposés goutte à goutte. Les Kurdes croient maintenant en leur force qui est le véritable moteur du processus de paix et ont bien l’intention de créer de facto leur autonomie démocratique, si le gouvernement n’annonce pas des mesures concrètes.

Le KCK/PKK et le parti légal kurde BDP sont aujourd’hui plus forts que jamais dans tous les sens, surtout après la révolution kurde en Syrie. Leur alliance avec la gauche turque s’inscrit également dans le cadre de la stratégie du mouvement kurde qui propose une confédération démocratique du Moyen-Orient. C’est le cas avec le parti de la démocratie des peuples (HDP), créé récemment, avec la participation des écologistes, féministes et homosexuelles. Une alliance fraternelle et démocratique entre les peuples est une approche stratégique chez les Kurdes.

En résumé le processus dans son état actuel est terminé. Pour passer à une nouvelle phase le gouvernement doit adopter une approche sérieuse, en mettant fin à la démagogie, son hypocrisie et sa politique répressive avec de véritables réformes démocratiques.

Par Maxime Azadi

21 NOVEMBRE 2013 | PAR MAXIME-AZADI

Article également publié sur ActuKurde.fr Article original

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