Malgré toutes les divergences qui opposent les différents commentateurs de la crise syrienne, ils s’accordent généralement sur un point : sans le soutien de la Russie et surtout de l’Iran, le régime Assad serait probablement tombé.
Ce soutien est d’abord de nature diplomatique. Il a permis au régime d’éviter l’isolement total sur la scène internationale, mais également économique, logistique et militaire. Moscou fournit les armes et l’énergie tandis que les pasdaran iraniens sont présents sur le terrain, conseillent et encadrent les combattants loyalistes.


Ayant subi une série de défaites sur plusieurs fronts en seulement quelques semaines (Idleb, Jisr el-Choughour, Palmyre, Deraa), le régime syrien a plus que jamais besoin de ses deux alliés. Si le président iranien Hassan Rohani a encore réaffirmé le 2 juin que « l’Iran soutiendra jusqu’au bout Bachar el-Assad », il n’en reste pas moins que la guerre en Syrie commence à ressembler à une épine dans le pied pour Téhéran. Les pertes sur le terrain conjuguées au coût économique de l’intervention, moins prioritaire que celle menée en Irak aux yeux de Téhéran, pèsent lourd dans la balance. Téhéran aurait d’ailleurs expressément conseillé à Damas de renoncer à reconquérir toute la Syrie et de concentrer toutes ses forces dans la défense du littoral.

Ligne rouge
La faiblesse désormais apparente du président Assad et la perspective des négociations sur le nucléaire pourraient sérieusement amener Téhéran à assouplir sa position en Syrie et chercher à trouver un consensus général avec les autres acteurs régionaux et avec les Occidentaux. Avec toutefois une ligne rouge à ne pas dépasser : le nouveau pouvoir à Damas ne devra pas entraver l’axe stratégique entre l’Iran et le Hezbollah.
Davantage encore que les Iraniens, les Russes semblent désormais convaincus de l’urgence de mettre un terme à cette guerre. C’est pourquoi la Russie a parrainé deux sommets de négociations, à Moscou puis Astana, au Kazakhstan, entre le régime et l’opposition tolérée.

Ces évolutions dans les stratégies de la Russie et de l’Iran en Syrie et en Irak ont donné lieu, mardi dernier, à une conférence organisée par le centre Carnegie au Moyen-Orient. Intervenant sur les relations qu’entretiennent Moscou et Damas, Nikolay Kozhanov, chercheur associé au centre Carnegie de Moscou, a cherché à répondre à la question suivante : pourquoi les Russes persistent-ils à vouloir soutenir le régime ?
« Les observateurs ont relevé toute une série de raisons qui expliqueraient le soutien russe en Syrie : la pression du complexe militaro-industriel, la présence en Méditerranée avec la base de Tartous, la volonté de ne pas reproduire l’erreur libyenne ou encore le rôle de protection des chrétiens d’Orient. Mais ces enjeux traditionnels ne reflètent pas l’évolution des rapports entre Moscou et Damas entre 2011 et 2015 », explique M. Kozhanov. Selon le chercheur, les intérêts russes en Syrie ne sont plus tout à fait les mêmes. Il explique ce changement par deux raisons.

Sécurité intérieure
D’une part, le nombre de Russes et même d’Ouzbeks, d’Azéris ou de tadjiks ayant rejoint les rangs jihadistes d’al-Nosra ou de l’État islamique (EI) pose un sérieux problème de sécurité intérieure pour Moscou. « 2 000 Russes ont rejoint la rébellion en Syrie (plus grand contingent européen), et la Russie se demande comment elle va gérer le problème de leur retour », précise le chercheur. D’autant plus que, selon lui, ces jihadistes auraient l’intention de prolonger leur combat contre le régime de Moscou mais aussi contre les pouvoirs en place en Asie centrale.
D’autre part, le dossier ukrainien, qui nécessite énormément d’énergie pour la Russie, affaiblit sa marge de manœuvre en Syrie. La Russie ne peut pas se battre sur deux fronts à la fois. « Moscou encourage le dialogue national en Syrie mais le soumet à deux conditions. Un : les institutions gouvernementales doivent rester en place, ce qui n’implique pas nécessairement Assad. Deux : l’intégrité territoriale de la Syrie ne doit pas être remise en cause. »

Pas de partition
Un consensus entre Russes et Occidentaux en Syrie apparaît donc possible dans une volonté de coopération globale contre le terrorisme. En tant qu’interlocuteurs privilégiés de Damas et de Téhéran, les Russes peuvent jouer un rôle central dans les futures négociations. Reste quelques obstacles tout de même, selon M. Kozhanov : les Russes n’accepteront pas la partition de la Syrie, ne veulent pas négocier avec les islamistes, jihadistes ou pas, et ne peuvent pas trop bousculer leur partenaire iranien. Sans compter que les tensions autour de la question ukrainienne ne mettent pas les parties dans les meilleures conditions possibles pour dialoguer.
Les Russes cherchent en outre à développer de nouveaux partenariats dans la région. Ils le font déjà avec Israël et la Turquie, et ils renouent actuellement leurs liens avec l’Arabie saoudite (Mohammad ben Salmane, vice-prince héritier, s’est rendu hier au Forum économique de Saint-Pétersbourg) et avec l’Égypte d’Abdel Fattah el-Sissi.
En mettant toutes ses cartes entre les mains de ses deux alliés, principalement entre celles de l’Iran, Bachar el-Assad a pris le risque de lier son destin à la solidité de ses alliances. Mais la Russie et l’Iran semblent aujourd’hui davantage préoccupés par la limitation de leur perte et la préservation de leurs intérêts que par le fait de sauver la tête du président syrien. Comme l’explique Khaled Hamadé, directeur général du Forum régional de consultation et d’études, également intervenant à la conférence du centre Carnegie, l’Iran voudra continuer à utiliser le territoire syrien pour lancer ses « guerres par procuration », même si le régime tombe. Selon lui, dans le pire des cas, Téhéran s’appuiera sur les milices pour préserver son influence en Syrie.

LOJ

 

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