Les excuses hollandaises à deux vitesses sont maintenant de notoriété mondiale

 

Soixante-dix ans ont passé, au cours desquels les gouvernements néerlandais successifs ont tout fait pour éviter de faire officiellement mention de la mauvaise conduite grave de leurs prédécesseurs en exil durant la Seconde Guerre Mondiale à Londres, au regard de la majorité des Juifs de Hollande assassinés. Toutes les déclarations gouvernementales d’après-guerre à ce sujet, si on les réunit, ne remplissent guère plus d’une page de rhétorique vague, à côté du sujet ou pleine de désinvolture.

A chaque instant et depuis, des occasions se sont présentées, qui ont à nouveau attiré l’attention sur les omissions ou falsifications officielles de la vérité, de la part des Pays-Bas. Une de ces occasions est survenue, lorsque le gouvernement hollandais a récemment présenté ses excuses à la famille d’une femme assassinée, à cause de la propre négligence de l’Etat dans la surveillance de son meurtrier, son frère mentalement perturbé. Le gouvernement s’est aussi précipité pour présenter ses excuses à la famille de l’ancien Premier Ministre hollandais Els Borst, assassiné en février 2014, apparemment par le même suspect. Il n’a, cependant, ni avoué son meurtre, ni été condamné par aucun tribunal.

Le contraste entre ces excuses précipitées à cause d’une possible responsabilité indirecte du gouvernement et l’absence continuelle d’excuses de ce genre envers la communauté juive parle de lui-même et il éclaire le type même de double-standards qui sont engagés par cette attitude. D’un côté, des excuses concernant une personne probablement tuées à cause d’une négligence de la part du gouvernement. De l’autre côté, soixante-dix ans de baratin sur les environ 100.000 Juifs de Hollande assassinés par les occupants allemands, alors que le gouvernement néerlandais n’a démontré, pour ainsi dire, aucun intérêt envers ces citoyens et n’a fait aucun effort pour un sauver ne serait-ce qu’un seul d’entre eux.

Le Rabbin Abraham Cooper, Doyen associé au Centre Simon Wiesenthal a relevé l’intérêt porté par le Wall Street Journal à ce sujet. Ce journal nous a offert (au Rabbin Cooper et à moi-même) l’opportunité de publier un article co-écrit à propos de cette morale à deux vitesses qui sévit en Hollande, en matière de reconnaissance et d’excuses[1].

Dans notre article, nous avons souligné que les Pays-Bas sont le seul et unique pays d’Europe de l’Ouest et de loin, où le plus grand pourcentage de Juifs a été exterminé au cours de la guerre. Parmi les 140.000 Juifs présents en Hollande au moment où la Seconde Guerre Mondiale a éclaté, 107.000 ont été déportés, la plupart vers les camps d’extermination Nazis en Pologne. 102.000 d’entre eux y ont trouvé la mort dans les conditions ignobles que l’on sait.

A la suite des excuses récemment présentées par le Luxembourg[2] et Monaco[3], aujourd’hui absolument tous les pays de l’Ouest de l’Europe ont, soit présenté des excuses officielles, soit ont reconnu la responsabilité et les délits de leurs prédécesseurs durant la période de la guerre, qui ont été exposés avec le souci du détail.

Dans notre article, nous nous sommes uniquement concentrés sur les forfaitures principales du gouvernement hollandais en exil. Ce gouvernement ne s’est enquis du sort des Juifs déportés qu’un an et demi après le début des déportations, malgré le fait que les gouvernements hollandais et polonais en exil se situaient à l’intérieur du même bâtiment à Londres[4].

Au même moment, dans les Pays-Bas occupés, les Juifs qui devaient être déportés vers les camps de la mort étaient arrêtés par des policiers hollandais, transportés par les Chemins de fer néerlandais et gardés par la police militaire des Pays-Bas.

En 1943, Henri Dentz, un employé du gouvernement hollandais en exil s’est vu confier la mission d’écrire un rapport sur les déportations. Il a estimé que 90% des déportés avaient été exterminés. Il a déclaré devant une commission du Parlement néerlandais d’après-guerre, que personne au sein du gouvernement n’a daigné lire son rapport[5].

Nous avons alors insisté sur ce contraste entre les récentes excuses du gouvernement hollandais envers la famille de Mme Borst et l’absence totale d’un tel aveu toujours repoussé, en ce qui concerne les Juifs. Le lendemain de la publication de notre article, le quotidien national NRC Handelsblad nous a contactés, parce qu’il voulait republier cet article[6]. Cette traduction en néerlandais a débouché sur un débat, aussi bien dans ce journal que dans d’autres médias aux Pays-Bas.

Quelques jours plus tard, le dernier Grand Rabbin résidant encore aux Pays-Bas, Binyomin Jacobs a appelé le Premier Ministre néerlandais à présenter des excuses publiques, pour la première fois, au cours d’une interview avec l’Agence Télégraphique Juive[7]  (JTA). Cet article a été republié par des médias juifs en plusieurs langues.

Le NRC Handelsblad m’a aussi permis de répondre aux lettres envoyées au rédacteur en chef qu’il a diffusées en réaction à notre article original[8].  Au début de l’année, les Députés Joram van Klaveren and Louis Bontes, du petit parti Voor Nederland, ont demandé au Premier Ministre Mark Rutte de faire ses excuses à la communauté juive pour les défaillances du gouvernement hollandais du temps de guerre[9].

Dans sa réponse, Rutte a brièvement fait référence au communiqué désinvolte de la Reine Béatrix, devant la Knesset en 1995. Dans ma réaction publiée par NRC Handelsblad, je me suis focalisé sur ce que la Reine avait réellement dit et suggéré ce qu’elle aurait pu dire.

Dans son discours devant la Knesset, la Reine Béatrix a résumé la persécution des Juifs en un petit paragraphe disant : “Nous savons que beaucoup de nos fidèles concitoyens ont fait preuve de beaucoup de courage et parfois d’une résistance acharnée et qu’ils se sont souvent exposés à un danger mortel pour se tenir aux côtés de leur prochain menacé. Au cours de notre visite à Yad Vashem, nous avons vu leurs noms parmi ceux dont le souvenir est conservé à jamais sous les arbres qui y sont plantés. Mais nous savons aussi qu’ils ont été exceptionnels ; que le peuple des Pays-Bas n’a pu empêcher la destruction de leurs fidèles concitoyens juifs[10][11]

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Ce texte n’était pas seulement vague. Il s’est obstiné à mettre l’accent au mauvais endroit. Ce texte résonne même comme manquant totalement de sincérité si on le compare à la reconnaissance détaillée des faits par celui du Président français Jacques Chirac, sur la collaboration française avec les Allemands, en temps de guerre, qui est survenu quelques mois plus tard[12].

Après avoir rappelé les paroles exactes de la Reine, j’ai ensuite écrit ce que je pense que la Reine aurait véritablement dû dire : “Le gouvernement hollandais en exil à Londres et sa bureaucratie aux Pays-Bas occupés ont été gravement défaillants, en ce qui concerne leurs fidèles citoyens persecutés jusqu’à la mort.

Le gouvernement n’a carrément démontré aucun intérêt pour leur sort. Il ne s’est même pas présenté une seule fois où le gouvernement ait fait appel à ses citoyens des Pays-Bas occupés pour qu’ils aident les Juifs qui cherchaient à se cacher. Même si un seul des 102.000 Juifs assassinés avait pu être sauvé par un tel appel, cela en aurait valu la peine. Grâce à l’initiative de certains rares individus de nationalité hollandaise, 24.000 Juifs ont réussi à se cacher. Cette petite minorité de personnes secourantes n’en sera jamais suffisamment remerciée. Malheureusement, 8.000 de ces Juifs cachés ont été arrêtés, en partie trahis par d’autres citoyens hollandais.

 “Il existe une continuité entre les gouvernements des Pays-Bas. Par conséquent, à la requête de notre gouvernement actuel, je présente mes excuses à la communauté juive des Pays-Bas pour cette défaillance massive de son prédécesseur à Londres. C’est une dette d’honneur néerlandaise, et non quelque chose que les Juifs survivants doivent réclamer sans cesse.

 “Il est facile pour moi de parler de l’attitude de ma grand-mère (la Reine Wilhemine) envers la communauté juive de la Seconde Guerre Mondiale. Avant que la guerre n’éclate, elle avait déjà protesté contre l’asile accordé aux réfugiés juifs d’Allemagne dans des baraquements de l’armée, dans la ville d’Ermelo. Elle sentait que c’était trop près de sa résidence d’été du Palais d’Het Loo ( qui était au moins à dix kilomètres de là). Par conséquent, on a dû construire un camp pour eux à Westerbork, dans une zone isolée des Pays-Bas. On a exigé que les frais occasionnés par la construction de ce nouveau camp soient entièrement payés par la communauté juive de Hollande.

 “Nous tenons de celui qui préparait les discours de ma grand-mère, que dans ses projets de discours sur la radio Oranje adressés aux citoyens néerlandais des Pays-Bas occupés, qu’il mentionnait régulièrement le sort réservés aux Juifs. Il nous a confié que presque toujours, elle supprimait ces passages[13]”.

Tout ce qui est mentionné ci-dessus contraste grandement avec l’image internationale du passé bénin de la Hollande durant la guerre. Nous ne pouvons qu’espérer que les Députés hollandais se confronteront au Premier Ministre Rutte, quant à ses réponses non-pertinentes et ses références faites à un discours manquant totalement de sincérité devant la Knesset.

Cela ne devrait pas être trop difficile pour M. Rutte de changer d’état d’esprit, de dire la vérité et de présenter ses excuses publiques. On le connaît pour avoir changé d’idée, comme il l’a montré lors de sa récente pirouette, concernant l’assurance électorale importante de ne plus verser un centimes pour la Grèce, une promesse qui lui a certainement valu suffisamment de scrutins pour devenir Premier Ministre des Pays-Bas.

Un Postcriptum, peut-être, concernant le débat médiatique sur les excuses à la communauté juive qui s’est poursuivie : Gert Oostindie, directeur de l’Institut Royal pour la Connaissance de la Langue, de la Terre et du Peuple (KITLV) a préféré s’exprimer en faveur de la demande que les Pays-Bas ordonnent finalement une enquête complète et systématique sur la guerre coloniale qui a conduit à l’Indépendance de l’Indonésie, en 1948. C’est la guerre la plus importante que la Hollande ait jamais faite, qui a causé la mort d’au moins une centaine de milliers d’Indonésiens.

Par Manfred Gerstenfeld

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Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

[1] Abraham Cooper and Manfred Gerstenfeld, “It’s time for the Netherlands to Apologize,” the Wall Street Journal, 29 July 2015.

[2] “Luxembourg apologizes for role in WWII persecution of Jews,” Haaretz, 12 June 2015.

 

[3] Associated Press, “Prince Albert apologizes for Monaco’s role during the Holocaust,” The Guardian, 28 August 2015.

[4] Dienke Hondius, “A Cold Reception: Holocaust Survivors in the Netherlands and Their Return,” Patterns of Prejudice 28:1 (1994): 0031-322x/47-65, based on quotation from L. de Jong, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, vol. 9: Londen (The Hague: Staatsdrukkerij, 1979), 501-503. [Dutch]

[5] Report H. Dentz, London, 30 March 1944.  [Dutch]

[6] Abraham Cooper and Manfred Gerstenfeld, “Tijd dat Nederland excuses aanbiedt voor lot van Joden,” NRC Handelsblad, 31 July 2015. [Dutch]

[7] “Dutch chief rabbi: Netherlands should apologize officially for Holocaust-era complicity,” JTA, 9 August 2015.

[8] Manfred Gerstenfeld, “Dit had ze moeten zeggen,” NRC Handelsblad, 21 August 2015. [Dutch]

[9] Vragen van de leden Van Klaveren en Bontes d.d.26 January 2015, kenmerk 2015Z01188. [Dutch]

[10] Rede van koningin Beatrix in de Knesset, 28 maart 1995, [Dutch] http://www.digibron.nl/search/detail/012de56bfdce2ee41d9aa0a6/rede-van-koningin-beatrix-in-de-knesset

[11] [English text taken from: http://www.knesset.gov.il/description/eng/doc/speech_beatrix_1995_eng.pdf]

[12] Michel Di Paz, “Chirac hailed for citing France’s role in Holocaust”, JTA, 21 July 1995.

[13] Hans Knoop, “Het verzuim van Oranje,” NIW, 3 July 2015. [Dutch]

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