Avec « Une jeune fille qui va bien », Sandrine Kiberlain passe derrière la caméra pour faire un « travail de vérité »

Pour son premier long métrage comme réalisatrice, Sandrine Kiberlain raconte le destin d’une jeunesse fauchée. Une histoire aussi personnelle que nécessaire.

Elle se dit une « actrice comblée ». Aucune frustration professionnelle ne l’a conduite derrière la caméra mais une motivation toute personnelle : tisser une histoire à partir de la sienne, revenir sur l’antisémitisme, l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un drame qui n’a cessé de la « hanter », elle petite-fille de Juifs polonais, sauvés par des justes. « C’est une injustice folle dont je ne me remets pas. Personne ne devrait s’en remettre. Quand une famille traverse cela et en ressort miraculeusement, il y a comme une volonté de ne pas en parler. Nous, les petits-enfants, nous avons hérité de ce secret, et un jour, nous éprouvons le besoin de raconter pour ne pas oublier. »

« Un travail de vérité »

Restait à trouver la manière. Le regard singulier qui légitimerait ce premier long métrage. Sandrine Kiberlain a imaginé, dans la France de Vichy, dans le Paris occupé par les Allemands, Irène, une jeune fille « dans ce qu’elle a de plus de joyeux », « une passionnée de théâtre » qui prépare le concours du conservatoire, « une amoureuse qui s’affranchit de sa famille ».

La réalisatrice ne s’en cache pas, elle s’est inspirée du mouvement que Nanni Moretti imprimait à la Chambre du fils : raconter la joie d’une famille pour rendre encore plus douloureuse la disparition du fil. « Voir Irène ainsi virevoltante, si pleine de vie, nous conduit à refuser que cela s’arrête. »

Au chapitre des références cinématographiques, elle cite aussi l’Argent de Poche de François Truffaut, « pour la lumière qui n’est ni sépia ni contemporaine », mais aussi le Van Gogh de Maurice Pialat. « Il disait : je ne veux pas d’anachronisme, mais si un tee-shirt rayé Sonia Rykiel évoque ce que j’ai envie de raconter, je l’utiliserai. » À son tour, explique-t-elle, le mot d’ordre sur son film était : « Ce n’est pas un travail de reconstitution mais un travail de vérité. »

Des éclairs dans un ciel serein

Une jeune fille qui va bien s’ouvre sur des comédiens en pleine répétition. Mais rien ou presque dans les costumes comme dans les décors ne permet d’identifier la période. Le contexte historique est déjà connu des spectateurs, estime Sandrine Kiberlain.

Elle préfère nous montrer le monde vu par son héroïne, avec sa part d’insouciance, voire d’aveuglement. Avec toutefois, ici et là, comme des éclairs dans un ciel serein, des signes qui ne trompent pas : le mot « juif » marqué à l’encre rouge sur la carte d’identité, l’étoile jaune, le poste de radio et la bicyclette confisqués…

Le choix de la musique participe du même désir d’être tout à la fois universel et sinon intemporel, du moins de parler à la jeunesse par-delà le temps. « Je me suis attachée là aussi non à l’époque mais à l’émotion qu’une musique peut procurer. Par exemple, pour la rencontre amoureuse j’ai choisi Love Letters du groupe Metronomy, un morceau que j’avais dans la tête en écrivant. »

« Être juif : le savoir et s’en rappeler »

Un tel choix désarçonnera ou charmera mais Sandrine Kiberlain signe ainsi une œuvre « un film qui (lui) ressemble ». Mais qui n’est nullement autobiographique. Se raconter lui aurait paru « violer une intimité, la sienne, celle de ses grands-parents ». La famille d’Irène est fictive. Mais « inconsciemment » des éléments personnels se sont glissés comme cette flûte traversière dont joue le frère d’Irène et qui était l’instrument du père de Sandrine Kiberlain… Au-delà c’est un héritage qui imprègne le film.

« Être juif, confie Sandrine Kiberlain, cela veut dire le savoir et s’en rappeler. Ce sont mes racines. Je tenais à ce que mes personnages fêtent shabbat à leur manière car il n’y a pas une seule façon d’être juif. Mais mille. Certains pratiquent, d’autres non. Certains allument une bougie le vendredi. Ce qui est mon cas, alors que je ne célèbre pas d’autres fêtes. Mais c’est une façon de penser à mes grands-parents, à ce qu’ils m’ont légué : des recettes, des traditions, des musiques, le yiddish… Ce sont des choses qui sont là sans être là. Cela ne m’enferme dans rien mais je le conserve précieusement. »

Par Frédéric Theobald lavie.fr

Rebecca Marder et Sandrine Kiberlain sur le tournage. La réalisatrice (à droite) signe un film imprégné de son histoire familiale. • JÉRÔME PRÉBOIS/CURIOSA FILMS/AD VITAM

À voir
Une jeune fille qui va bien, de Sandrine Kiberlain avec Rebecca Marder, Anthony Bajon
En salles le 26 janvier 2022.

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galil308

Impossible d’oublier l’inoubliable, l’inscription dans nos mémoires, dans nos gènes, dans l’histoire .. Dans ce qui n’est pas qu’une religion, mais dans un certaine manière d’être, de vivre, de survivre dans un regard vers ce sable, vers ce désert devenu jardin, qui revient chaque matin comme une image vers l’éternité..
Où que l’on soit né.