Esther Senot est aujourd’hui âgée de 92 ans. Pendant deux années d’internement à Birkenau, son identité n’était plus que le matricule 58 319.
Pyrénées-Orientales / Rescapée de la Shoah, Esther Senot raconte : « On nous a gentiment dit : ‘Vous êtes entrés ici par la porte, vous n’en sortirez que par la cheminée' »
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À 14 ans, la jeune Esther Dzik échappe par miracle à la rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942 qui a vu sa famille déportée. L’adolescente affronte alors seule la tourmente effroyable de la Seconde guerre mondiale à travers la France occupée et toute l’Europe.
Le passage de la ligne de démarcation, le camp de Drancy, le convoi 59 dans un wagon à bestiaux, la découverte de l’enfer d’Auschwitz, la marche de la mort…
Les retrouvailles inespérées avec sa sœur, le temps de quelques mois, au camp de Birkenau où celle-ci s’éteindra d’épuisement. Et sa promesse de raconter l’ineffable.
De passage chez son fils à Saint-Cyprien, où elle a habité pendant plus de 30 ans, Esther Senot, âgée de 92 ans aujourd’hui, ouvre sa porte à L’Indépendant pour que soient gravés à jamais ses souvenirs indélébiles. Rencontre avec une page d’Histoire vivante.
Au coup de sonnette, Esther se lève et vient à la rencontre de ses invités. Derrière son masque, l’œil est souriant, d’un noir lumineux, le regard direct.
Elle attend, pour s’asseoir, que chacun ait choisi une place sur le canapé de son fils. La Parisienne remontera à la capitale dans quelques jours.
Mais Saint-Cyprien, c’est un peu chez elle quand même « J’y ai habité entre 1980 et 2011…« , précise la nonagénaire. D’emblée, on comprend que les dates ne lui font pas défaut. Ne pas se fier à sa chevelure d’un blanc éclatant, sa mémoire est précise.
« Je suis née en Pologne en 1928, mes parents ont émigré en 1930 à cause de l’antisémitisme et de la crise financière. On s’est installé dans un petit appartement de Belleville. Je suis l’avant-dernière de 7 enfants. Tous les matins avant d’aller à l’école, ma mère nous faisait la morale : ‘La France nous a bien accueillis, tenez-vous tranquilles’.

Dès 1939, quand Hitler est arrivé au pouvoir, beaucoup de réfugiés allemands et autrichiens nous racontaient ce qu’ils avaient vécu, mais personne ne les croyait. En juillet 40, quand Pétain a eu les pleins pouvoirs, son principal souci a été de s’occuper du problème des juifs de France. Il a ordonné le recensement, on a dû aller se déclarer au commissariat (nom, adresse, nombre de personnes au foyer, liste des biens…) Avec les restrictions sur l’accès aux transports, au ravitaillement et aux lieux publics pour les juifs, la vie a commencé à devenir plus dure.
Les deux frères déportés dans le convoi n° 4
En mai 41, on a reçu à la maison une convocation pour « affaires de famille » (c’était la rafle du billet vert). On n’a jamais eu de problème avec la police. Mes deux frères aînés se sont présentés. Ils ont été internés au camp de Pithiviers. On faisait des économies pour leur apporter des colis. 4000 hommes en âge de travailler y étaient. Mes frères y sont restés un an. Puis, ils ont été déportés en juin 42. C’était le convoi n° 4 vers Auschwitz.

En juillet, il y avait des rumeurs de rafles, mais on ne s’est pas inquiété. Jusqu’alors, ça n’avait concerné que des hommes valides.
J’ai vu des personnes âgées sorties sur des civières
Le 16 juillet vers 6 h du matin, il y a eu des bruits de policiers dans toute la rue, ils avaient des fiches avec le nombre de personnes à arrêter dans chaque foyer. Ils matraquaient les portes, faisaient sortir les gens de force. J’ai vu des personnes âgées sorties sur des civières. Tout le monde était embarqué. Nous habitions un passage long de 200 mètres, 86 personnes y ont été raflées. Ils ne sont pas venus chez nous, on n’a jamais compris pourquoi…
À la maison, il ne restait plus que mes parents, l’un malade, l’autre invalide, mon petit frère de 11 ans, ma grande sœur de 16 et moi. Inquiète pour le reste de la famille, ma mère envoie ma sœur chez notre tante et moi chez ma belle-sœur, à République.
Quand je suis arrivée, il n’y avait plus personne, il y avait des scellés sur l’appartement
À mon arrivée, la gardienne m’informe que ma belle-sœur a été avertie de la rafle et qu’elle s’est cachée dans une chambre de bonne au 6e étage avec sa mère. Son fils était en pension de vacances dans la Marne, or le couple de propriétaires, juif, avait été arrêté et les enfants laissés livrés à eux-mêmes. Alors je suis allée le récupérer en train. À mon retour, il était 20 heures, pour ne pas transgresser le couvre-feu, je suis restée dormir. Et le lendemain tôt, je me suis dépêchée de retourner chez moi où mes parents devaient s’inquiéter.
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