Gérard D. Khoury a fait faire paraître, peu avant sa disparition, aux éditions Albin Michel, un bel ouvrage, très complet et très documenté sur Louis Massignon au Levant (Ecrits politiques 1907-1955).

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On peut y lire de nombreux documents inédits jusqu’ici et que l’auteur a mis à contribution pour présenter un Massignon, non seulement homme de science et de culture, mais homme d’action, entièrement engagé dans ce qu’il faisait et pas si éloigné que cela de l’action : au vu des documents ici rapportés, notamment ses rapports de mission au Levant, on comprend que ce savant, certes contesté mais tout de même hors pair, a largement contribué à façonner la politique de son pays, la France, en matière de politique coloniale et musulmane.

Cela m’a aussitôt fait penser au livre de Madame Jalila Sbaï qui s’est occupée de tirer au clair la politique musulmane de la France tant au Proche Orient qu’en Afrique du nord.

Massignon se voulait le champion de la cause arabe et du rapprochement islamo-chrétien, allant jusqu’à établir des rapprochements, voire des similitudes, contestées par nombre de ses collègues musulmans.

Les éditions Michel Laffont avaient publié ; il y a peu d’années, deux volumes sur les Ecrits remarquables de Massignon où l’on pouvait lire une synthèse de la vie et de l’œuvre de ce grand islamologue du XXe siècle.

Ici, dans ce livre de Khoury, les archives sont à portée de main, notamment les confessions du savant sur ce qui lui était arrivé en 1908 alors qu’il se trouvait sur un bateau le transportant vers une destination où pesait sur lui l’accusation d’espionnage.

Massignon qui, au grand désespoir de sa mère croyante, s’était éloigné du christianisme a eu une sorte de révélation, lui permettant de revenir dans le giron de la foi et de mettre fin à des mœurs que cette époque-là jugeait dissolues…

Entièrement captivé par ce qu’il faisait, envoûté par le grand mystique musulman auquel il s’identifiait de plus en plus lors de ses moments d’exaltation et auquel il consacrera une brillante thèse de doctorat (Al-Hallaj), Massignon frôlera maintes fois la mort et sombrera dans de très graves maladies.

Cette révélation qu’il eut en 1908 et qui bouleversa sa vie, il la nomma d’une formule énigmatique, la visitation de l’étranger. Le contrecoup fut radical : l’orientaliste rompra avec sa vie dissolue, regrettera ses relations homosexuelles passées et voudra rompre avec tout ce qui pouvait l’Europe et ses valeurs.

Il choquera donc les diplomates français sur place en s’habillant à l’orientale… La lecture de cette confession ne laissera personne indifférent tant la quête de l’homme triomphe de tous les obstacles qui jalonneront sa route vers l’absolu.

Aux pages 90-91, Khoury dresse, en peu de lignes, un excellent portrait de Massignon, rendant hommage à la fois à son érudition et à son expertise mais aussi aux valeurs auxquelles il dédia sa vie.

Certes, notre homme suscitera aussi tant de remous et des diplomates en poste dans les capitales où il intervenait se plaindront de son attitude au ministre.

Pourtant, des lendemains de la Première Guerre mondiale au début des années cinquante (il mourra en 1962), Massignon n’en est pas moins considéré comme le plus grand intellectuel français, expert tant en islamologie qu’en matière de sociologie musulmane.

Dès 1926, il succéda à Alfred le Châtelier au Collège de France. Il dirigea aussi des revues scientifiques et fut membre de l’Académie royale de langue arabe du Caire.

Massignon s’est maintes fois entremis pour défendre la légitimité de la position des Arabes qui entendaient recouvrer une souveraineté pleine et entière dans leurs pays en proie à la voracité des puissances occidentales.

La colonisation ne savait pas encore que-‘elle vivait ses dernières années et que la donne allait changer du tout au tout. La sincérité de son engagement pour la cause arabo-musulmane le poussera, on l’a signalé plus haut, à adopter la tenue vestimentaire de ceux qu’il avait pris pour sujet d’étude.

Mais en plus des réticences de certains diplomates et de généraux, Massignon dut aussi s’accommoder des grandes rivalités franco-britanniques car chacune de ces deux puissances occidentales se souciaient d’abord de ses propres intérêts, notamment ses approvisionnements en pétrole…

On était à des années lumière des missions culturelles de Massignon. Mais, en dépit de certains obstacles dont il triomphait presque toujours, le grand islamologue français avait réussi a établir des relations confiantes avec les personnalités musulmanes les plus importantes à Damas, Bagdad, Beyrouth et au Caire. Sans oublier Alger et Rabat.

A chaque occasion qui se présentait, il rappelait aux dirigeants français qu’ils devaient honorer la promesse faite aux Arabo-musulmans de les respecter leur civilisation et d’assurer une totale liberté de leur culte.

Au sujet des rivalités opposant la France à la Grande Bretagne, si active en Irak et ailleurs, il faut signaler un rivalité personnelle entre Massignon et le fameux Lawrence d’Arabie qui s’était opposé à sa nomination au sein d’un comité interministériel.

Certes, les deux personnalités charismatiques ne se valaient pas vraiment : Massignon dépassait son correspondant ou homologue britannique en érudition et en connaissance de la vie et des culture arabes et islamiques. Cette jalousie s’est surtout fait sentir au sujet de la constitution d’un royaume arabe à Damas sous la férule du Prince Fayçal et d’une légion arabe.

La dernière partie de ce livre est consacrée aux rapports de missions concernant la création de l’Etat d’Israël. Dans certaines de ses propositions, Massignon n’hésite pas à parler du «terrorisme sioniste qui a transformé 400.000 Arabes en réfugiés».

La chose qui lui tient le plus à cœur était la préservation des lieux de culte musulmans (Jérusalem avec la mosquée Al-Aksa mais aussi des villes comme Bethlehem et Nazareth ) dont il prônait l’internationalisation. Tous ces rapports sont de la même veine. Massignon écrira même au président Vincent Auriol afin que des instructions soient données à la délégation française à l’ONU.

Tout en s’inclinant devant la compétence et l’expertise du savant islamologue, on ne peut que regrette quelque peu la passion qui le pousse dans une seule et même direction : toujours favoriser le même côté et jamais l’autre, même s’il eut quelques échanges amènes avec le représentant du sionisme de gauche de l’époque, Martin Buber.

Ce dernier se voulait partisan d’un Etat binational.

L’Histoire avec un grand H a montré qui avait raison et qui avait tort…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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Photini MITROU

je suis fascinée par la bêtise des occidentaux qui tombent amoureux de leur sujet d’étude, l’islam, et deviennent plus musulman que les musulmans. Tout d’abord je fais la distinction entre le musulman et l’islam. Le musulman est musulman comme moi je suis chrétienne. Le hasard de la naissance et il n’y a aucun mérite à être ceci ou cela. Sans dénigrer l’islam (des musulmans le font très bien) on peut quand même rester objectif sans tomber dans une duplicité imbécile comme Massignon. Il croit être l’ami des musulmans mais en réalité il les dessert.
En 1972, Toufic Fahd écrivait quelque chose de révolutionnaires sans que la rue arabe entre en éruption. « Qu’est-ce que Mahomet pourrait devoir à ces chrétiens et juifs intimement liés à la vie quotidienne des polythéistes arabes d’alors? Il leur doit en premier lieu… le désir ardent de posséder un livre révélé – livre issu de l’âme arabe – sur lequel se fonderait la réforme envisagée et tant souhaitée: mais tout cela ne devait pas aboutir à annihiler la personnalité des Arabes en l’annexant soit aux chrétiens… soit aux juifs que leur rôle économique et leur complexe de peuple élu rendaient odieux à tous les Arabes. Il ne restait donc à Mahomet que de créer un monothéisme arabe sur la base des résultats acquis par la théologie biblique mais adapté aux aspirations de l’Arabe qui ne saurait se soumettre aux innombrables prescriptions rituelles rabbiniques, ni aux subtiles distinctions théologiques des conciles oecuméniques et de présenter ce monothéisme comme un retour au monothéisme abrahamique lequel fut corrompu par les chrétiens et les juifs, de réfuter les prétentions des uns et des autres de posséder exclusivement la religion la plus parfaite et la prophétie. »
Histoire des Religions, Gallimard, La Pléiade, tome 2, pp 659-660
Sans avoir la formation académique de Massignon, il m’arrive de penser et surtout de me poser la question suivante et qui me semble être fondamentale. Qu’est-ce que la troisième révélation a apporté aux deux précédentes? Si Massignon c’était posé cette question ne relevant d’aucune intelligence particulière, son parcours aurait peut-être été différent. Pour moi cette révélation me semble décalée dans le temps, plus proche de l’Ancien Testament (Histoire des Juifs) que du Nouveau et son contenu ne me semble pas être intemporel puisqu’on nous nous: qu’il faut con-tex-tua-li-ser. On ne nous demande pas de contextualiser avec les révélations précédentes. Comment Massignon a répondu à ces questions?