En Algérie, l’annonce fin février de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat a provoqué un mouvement de contestation inédit. Ramzi Boudina, Reuters

L’inconnue algérienne et ses possibles conséquences pour la France par Maurice Ruben  Hayoun.

Il est rare que d’anciennes colonies continuent de constituer des préoccupations, voire de sérieux problèmes pour l’ancienne métropole.

Cela a été dit et redit ad nauseam : l’Algérie a réclamé (et de quelle manière) et obtenu son indépendance en 1962 après près d’un siècle et demi de domination et de présence française.

Il ne s’agit pas de revenir sur les circonstances ni sur la légitimité de telle cause ou de telle autre, il faut simplement rappeler qu’une si longe marche en commun, une si longue présence ne disparaît pas comme cela, comme après un coup de baguette magique ; il faut avoir soi-même vécu sur place, même peu de temps, pour mesurer les affres d’un tel divorce, si conflictuel et si profond.

Un exemple : l’actuel président algérien, Bouteflika, soigné chez nous, dans nos meilleurs hôpitaux français (à Paris mais aussi en province) a osé dire, de retour dans son pays, en fort bonne santé grâce à nos médecins, que la France avait perpétré en Algérie un génocide culturel ! Nous ne savions plus, a t il dit dans son discours, ce que nous étions car, je résume, on nous avait séparés de notre langue et de notre culture arabes sans vraiment nous faire une place convenable dans la culture européenne, incarnée par la France.

Je me limite à ce seul exemple, sans revenir sur une susceptibilité à fleur de peau, une envie de revanche, etc… Mais parallèlement à cette revendication permanente, à toutes ces accusations, notamment concernant une présentation jugée tendancieuse de l’histoire de la colonisation en Algérie, on voit apparaître le désir irrémissible d’obtenir des visas pour venir en France, y étudier, y séjourner, voire même en prendre la nationalité afin d’être chez soi ici, de ce côté ci de la Méditerranée.

Voilà pour le passé. Aujourd’hui, bien que le régime algérien ait jadis opté pour une arabisation de la culture et de l’éducation ce pays figure en tête de la francophonie avec d’autres pays musulmans comme le Liban ou le Maroc..

Au moins une pancarte sur deux brandie par les manifestants réclamant le départ de leur président malade, est rédigée en français sans une seule faute d’orthographe. Il y a donc vis-à-vis de la France une sorte d’amour / répulsion, un peu de haine de soi et de l’autre, assurément, cela me fait penser à la métaphore utilisée par Théodore Lessing, la plante qui hait le terreau sur lequel elle pousse et d’où elle tire ses ressources nourricières… Situation inconfortable s’il en est, et qui peut être génératrice de névrose : l’amour ou l’admiration de la France vécus comme quelque chose que l’on réprouve intérieurement.

Que va devenir l’Algérie après tous ces troubles et surtout après cette phase d’interrègne qui s’annonce ? Car on est rentré dans une période sans Bouteflika mais toujours avec Bouteflika, qu’on le veuille ou non.

Les stratèges d’Alger ont su présenter sous un autre emballage exactement ce qu’ils voulaient obtenir : préserver leur emprise et leur influence sur le gouvernement de ce pays.

Au fond, c’est exactement ce que voulait le régime : réélire Bouteflika mais pour un mandat très bref. Le peuple était vent debout contre cette mascarade. Aujourd’hui il chante dans les rues des villes et des villages, mais a fini par s’apercevoir qu’on en était au même point.

Je ne suis pas prophète pour annoncer ce qui va se passer, mais il est évident que les cerveaux du régime réfléchissent à grande vitesse à la manière de conserver le pouvoir tout en donnant l’impression de l’avoir rendu au peuple qui le réclame.

Ce peuple veut des élections libres et transparentes, or jusqu’ici ce ne fut pas vraiment le cas. Les partis d’opposition eux-mêmes n’ont pas de personnalités charismatiques à présenter pour cette élection présidentielle à venir.

Mais on nous dit que le pouvoir en place va, dans cette phase de transition, rédiger une nouvelle constitution qui définira le rôle et les pouvoirs du nouvel élu…

J’ai l’impression que le printemps arabe dont l’Algérie a su faire l’économie grâce à sa puissante armée, revient par la fenêtre alors qu’on lui avait fermé la porte au nez. Une nouvelle génération qui ne veut plus revenir à la décennie de sang (entre 150.000 et 200.000 morts) a découvert l’internet et voit donc ce qui se passe ailleurs, sans que cela ne puise arriver chez elle, dans son pays.

Encore une question : peut on croire en la sincérité du pouvoir en place ? Va t il vraiment rendre au peuple les clés du pouvoir, la manne du pétrole et du gaz ou bien aurons nous à faire à une oligarchie accrochée à ses privilèges ? Je pense vraiment que tromper le peuple une nouvelle fois serait signer son propre arrêt de mort.

Et il semble que même le chef de l’armée a fini par le comprendre : alors que sa première intervention était plutôt menaçante (les troubles seraient téléguidés de l’étranger), la seconde a rendu hommage aux valeurs communes à la fois au peuple et aux forces armées. Cet indice montre que dans les cercles dirigeants on a compris que la manière forte n’était plus indiquée , voire qu’elle serait même contre productive.

Mais les semaines qui suivent seront décisives. Le meilleur indicateur d’un véritable changement sera une répartition plus équitable de la manne pétrolière  et gazière. Comment se fait il qu’un pays aussi riche ait une jeunesse au chômage et qui ne rêve que d’une chose, partir, notamment vers l’Europe, et de préférence en France ?

Mais nous aurons à redouter des lendemains très graves si les oligarques actuels ne cédaient rien et se livraient à une forte répression. Dans ce cas précis, les deux rives de la Méditerranée risquent d’être secouées par de violents conflits. C’est ce que le gouvernement français cherche à éviter absolument. Espérons que tout se passe bien…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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