Philip Roth, J’ai épousé un communiste (suite et fin)

Maurice-Ruben Hayoun le 08.09.2020

Suite à ce qui précède, je m’arrêterai volontiers sur ce qui me paraît être l’apogée de ce livre, J’ai épousé un communiste, c’est la rencontre entre le père du héros (Nathan Zuckermann, i.e. Philip Roth) et le communiste juif, Ira Goldrinn qu’il soupçonne de tenter d’endoctriner son fils et d’en faire un adeptes de la cause prolétarienne.

PHILIP ROTH - MES LECTURES CLASSIQUES

C’est très émouvant car l’auteur épilogue sur la défaite morale subie ce jour là par un père qu’il aime mais dont il rejette les méthodes autoritaires.

Tout commence par une découverte banale et fortuite : un jour, le père surprend son cher fils en train de lire l’éditorial d’un journal syndical, infiltré par les communistes du coin, le Daily worker. C’est son mentor Ira qui lui avait recommandé de lire l’éditorial de cette revue.

Intrigué, voire courroucé, le père exige que son fils interrompe sur le champ cette douteuse lecture, au motif qu’il ne veut pas de littérature communiste dans son foyer. Le fils ne l’entend pas de cette oreille et oppose à son père un argumentaire solide.

Le ton monte lors de cet échange vigoureux, surtout lorsque le fils signale qu’il va aller passer une semaine avec son ami Ira dans la hutte que ce dernier possède au bord d’un lac.

Le père n’est pas prêt d’accepter que son fils s’y rende et exigé d’avoir, au préalable, un entretien direct d’homme à homme avec celui qu’il soupçonne d’être un rouge, désireux d’embrigader son fils, ruinant ainsi tous les plans qu’il a échafaudés pour préparer au mieux l’avenir de son enfant, alors âgé de seize ans.

L’adolescent redoute une telle confrontation et déploie des trésors d’ingéniosité pour dissuader son père de poursuivre dans cette voie. En vain, celui-ci appelle Ira au téléphone et lui dit qu’il a une question, une seule, à lui poser. Et le jeune Nathan est lui aussi convoqué pour cette confrontation qui aura lieu dans le cabinet du père.

En guise d’introduction, le père se livre à un vaste rappel de ses relations avec son fils, il souligne les devoirs d’un père, clame sa volonté d’être un bon père et pose à Ira la question suivante : Êtes vous communiste ?

Il insiste sur le modus du présent : qu’Ira ait été jadis, par le passé, dans cette mouvance politique condamnable à ses yeux, ne l’intéresse guère, ce qui compte c’est le temps présent. Sans se démonter, Ira répond par la négative, il n’est pas communiste…

Le père est, certes, soulagé mais guère rassuré, les traits de son visage montrent qu’il a joué gros et qu’il a tout perdu puisque tant son fils que son mentor politique savent ce qu’il en est au juste ; ce qui retient notre attention ici, c’est la description des remords d’un fils qui aime toujours son père sana être en parfait accord avec lui sur tous les points.

Il parle même d’une blessure –imaginaire- sur le visage de son père, conscient qu’il a perdu la confiance de son fils au profit d’un étranger qui lui inculque une idéologie anti-américaine.

Roth citera un peu plus loin une remarque désolée de son père, avouant devant des visiteurs qu’à l’âge de seize ans il avait déjà perdu la confiance de son fils : allusion à la confrontation avec ce juif communiste qui l’avait roulé dans la farine, niant l’évidence… Sans trop y croire, le père avait obtenu l’assurance que Ira ne conduirait pas son fils à des meetings communistes pendant leur semaine de vacances…

Un peu plus loin, Roth évoque ce cadeau explosif d’Ira : un disque des chœurs de l’armée rouge. Problème : il était hors de question de rentrer à la maison avec un tel objet qui aurait mis le feu aux poudres.

Après maintes réflexions, le jeune homme dissimule le disque dans un grenier où sa mère entreposait la vaisselle de Pessah (la Pâque juive où toute consommation de pain au levain est proscrite), ce qui montre que malgré tout, la famille de Roth avait le souci d’une certaine pratique juive…

Un peu plus loin, ce même Ira reconnaîtra clairement son appartenance au Parti communiste, tout en prenant soin de préciser qu’il croit en un communisme humaine, non violent et non liberticide…

Mais il est aussi un tout autre thème, celui de la haine juive de soi-même qui affleure en certains endroits de son volumineux ouvrage.

En voici un passage qui éclaire bien ce problème aussi étrange que mystérieux affectant certains juifs d’Europe depuis l’époque des Lumières :
Tu es une Américaine qui n’a pas envie d’être la fille de ses parents ? Soit. Tu ne veux pas être associée aux juifs. Soit. Tu ne veux pas qu’on sache que tu es née juive. Tu veux déguiser tes débuts dans l’existence ? Tu ne veux plus entendre parler de ce problème, tu veux te faire passer pour quelqu’un d’autre ?

D’accord, tu es bien tombée en Amérique. C’est tout de même pas la peine de détester les juifs par-dessus le marché. Ça n’est pas parce qu’on veut se sortir de son milieu qu’il faut détester ceux qui en font partie. La haine des juifs est un plaisir à trois sous qui ne s’impose pas. Tu peux fort bien passer pour non juive sans ce trait là… C’est x e qu’un bon metteur en scène lui aurait dit sur son personnage. (p 221)

Ici, on ne parle pas de l’antisémitisme mais de la haine que les juifs éprouvent envers eux-mêmes en raison de leur naissance et de leurs origines. C’est un thème qui avait illustré en 1930 à Berlin, lors de la publication d’un livre de Théodore Lessing, La haine juive de soi-même (Der jüdische Selbsthass).

Ce roman est probablement l’un des meilleurs de Roth ; il dresse le portrait d’une Amérique qui sombre dans une lamentable chasse aux sorcières avec l’agitation d’une possible prise du pouvoir aux USA par les communistes.

Le cas emblématique d’Ira, pourtant l’exemple d’une brillante ascension sociale, est édifiant. Cette chasse aux sorcières n’épargne personne, si vous êtes soupçonné de sympathie prosoviétique.

Roth met toutes analyses et ses souvenirs dans la bouche de son double littéraire, Nathan Zuckermann. Mais c’est bien de la vie et des analyses politiques de Roth qu’il s’agit.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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