Lucas, 12 ans, premier enfant au monde à vaincre un cancer incurable ?

Six ans après son diagnostic et un an après la fin de son traitement, ce préado belge, traité à Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), ne présente plus de traces d’une tumeur extrêmement agressive. Les médecins étudient son cas unique pour aider d’autres jeunes patients.

Comment nommer ce qui n’est jamais arrivé ? Ce qui n’existe pas ? À l’hôpital Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne), le docteur Jacques Grill hésite entre « rémission très longue » et « peut-être guéri ». Les parents de Lucas optent pour « quasi guéri » ou un laconique « il n’a plus rien ». Personne ne veut s’aventurer sur une conclusion définitive, au risque de s’attirer la poisse ou de provoquer le mauvais sort. Qu’importent les mots, pourvu que l’état dure.

À 12 ans, bientôt 13, Lucas est, à la connaissance des médecins, le seul patient au monde à survivre sans traitement à un cancer pédiatrique extrêmement agressif qui s’attaque à plusieurs dizaines d’enfants chaque année. Un gliome infiltrant du tronc cérébral, dont la complexité du nom porte toute sa virulence.

À l’aise dans son sweat ample, mèche de surfeur régulièrement ramenée derrière l’oreille, le préado ne connaissait d’ailleurs pas le nom entier de la maladie. « Je sais juste que c’est une tumeur », lâche, avec l’accent de sa Belgique natale, celui qui a accepté de nous parler en plein « Septembre en or », dédié depuis plusieurs années à la lutte contre les cancers de l’enfant. Quand il avait 6 ans, à la maison, en périphérie de Bruxelles, on parlait de « bobo à la tête ».

Diagnostiqué à 6 ans

C’est à cet âge-là, dans l’insouciance des vacances d’été en camping avec ses grands-parents, que la sentence est tombée. La petite gêne dans le nez, la difficulté à faire pipi, le corps qui titube légèrement cachaient un cancer bien installé dans son cerveau. « Notre chance est que l’interne en neurologie nous a tout de suite parlé de Gustave-Roussy. Elle savait qu’un grand essai clinique, Biomede, s’y déroulait », explique Cédric, le père de 45 ans, manager en informatique. Sans hésiter, mais en relevant un premier « combat administratif » pour être admis dans l’étude hexagonale, direction la France.

Après une biopsie à Necker, Lucas commence à Roussy la première de ses 30 séances de radiothérapie. Il a oublié les vomissements et préfère se souvenir, regard pétillant, du « passage secret » qui reliait la maison des parents à l’hôpital. Cédric, lui, raconte avoir failli faire demi-tour. « Nous étions plein d’espoir, mais les médecins étaient clairs. Ils nous ont donné les statistiques, qui n’étaient pas bonnes, pas bonnes du tout… » laisse-t-il en suspens.

Difficile pour un papa de prononcer des mots impensables quand son fiston est à côté. Incurable n’est pas parent. Avec Olesja, son épouse, le couple envisage d’aller aux États-Unis ou au Mexique, où d’autres familles se rendent alors en espérant trouver le graal médicamenteux. Ils renoncent, restent à Villejuif, commencent le traitement. « Ouf », résume aujourd’hui le quadra.

Car le corps de Lucas vient contrecarrer le sort, éliminant progressivement la maladie. Pendant cinq ans, fait exceptionnel, tous les signaux restent au vert, au point que la question devient évidente : faut-il continuer à donner quotidiennement des médicaments si puissants ?

Comprendre pour que ça serve à d’autres

« Je ne savais pas quand il fallait arrêter, ni comment, car il n’y avait pas de référence dans le monde… » raconte Jacques Grill. Le docteur capé se souvient de la scène, dans son bureau : il évoque l’idée de stopper, prescrit une dernière boîte, entend Lucas lui dire qu’il lui en reste une d’avance. « C’était impossible, je délivrais pile le nombre de comprimés nécessaires entre deux consultations, relève-t-il. J’ai compris qu’il ne le prenait déjà plus… »

Famille et spécialistes se mettent d’accord pour mettre fin au protocole. « C’était un moment vertigineux, lance Cédric. On se disait : pourquoi changer une équipe qui gagne ? Mais, il fallait bien avancer. » Presque un an plus tard, rien. Aucune trace. Sauf cette « bidouille », minuscule, qui persiste sur les radios et dont personne ne sait si c’est un résidu de la maladie ou une cicatrice de la biopsie.

Lucas auprès de ses parents et de sa sœur, qui veut devenir médecin.
Lucas auprès de ses parents et de sa sœur, qui veut devenir médecin.LP/Thierry Monasse

Est-ce dû aux comprimés blancs qu’il ingérait quotidiennement pendant cinq ans ? Non, malheureusement. Il n’y a pas de traitement miracle. « On pense que Lucas a eu une forme particulière de la maladie. On doit comprendre quoi et pourquoi pour réussir à reproduire médicalement chez d’autres patients ce qui s’est passé naturellement chez lui. Ça, ce serait formidable », pose le docteur Grill.

Déjà, huit autres jeunes patients de l’étude Biomede sont aujourd’hui considérés comme « longs répondants », sans rechute trois ans après leur diagnostic. Un espoir qui nourrit aussi le médecin : « Lucas nous prouve que, même lorsque la porte est toute petite, il faut mettre le pied dedans. »

« On aimerait tellement que ça serve, que Lucas ne soit pas l’exception », glisse Cédric, qui retrouve cette incompressible boule au ventre à chaque nouvel examen. Lucas, lui, en bon ado, reste peu loquace, s’envole sur son trempoline, préférant rêver à un futur de Youtubeur que parler d’un passé douloureux.

Être docteur plus tard, hors de question, il en a trop vu. C’est Tatiana, sa sœur aînée, qui ambitionne d’enfiler la blouse blanche. Il aimerait en revanche visiter Paris. Jusqu’à présent, les allers-retours n’étaient que pour l’hôpital. « On pourrait monter sur la tour Eiffel, non ? » demande-t-il à son père. Au regard rieur de Cédric, la demande semble acceptée.

Qu’est-ce que le gliome infiltrant du tronc cérébral ?

Le gliome infiltrant du tronc cérébral (GITC ou DIPG en anglais pour Diffuse Intrinsec Pontine Glioma) est une tumeur cérébrale maligne très agressive localisée dans une partie du tronc cérébral appelée le pont. Situé sous le cerveau, au-dessus du bulbe rachidien, le pont est une zone profonde et fragile liée à des fonctions vitales telles que l’équilibre, la respiration, le contrôle de la vessie, la fréquence cardiaque et la tension artérielle. Cette région est également traversée par les nerfs liés à la vision, l’audition, la parole, la déglutition et le mouvement.

Les GITC touchent des cellules à l’origine des cellules gliales, qui constituent le tissu de soutien des neurones dans le cerveau. Le gliome est qualifié d’infiltrant car la tumeur s’étend aux tissus avoisinants ; les cellules cancéreuses se mélangent et se confondent avec les cellules saines, la rendant impossible à opérer sans léser les axes nerveux indispensables à la vie.

Les tumeurs du système nerveux central sont les cancers les plus fréquents chez les enfants de 0 à 14 ans après les leucémies (25%). Parmi elles, les cancers du tronc cérébral représentent 10 à 20 % des tumeurs cérébrales pédiatriques et sont, dans leur grande majorité (80 %), des gliomes infiltrants. En France, près de 50 enfants sont concernés chaque année, autant de filles que de garçons, faisant du GITC une tumeur rare.

Depuis quelques années, les travaux de recherche de Gustave Roussy ont contribué à mieux définir le GITC qui fait partie d’une nouvelle catégorie de gliomes dite « gliomes diffus de la ligne médiane ». La ligne médiane du système nerveux est représentée par ce qu’on a eu coutume d’appeler le cerveau archaïque par opposition au cortex cérébral propre aux vertébrés supérieurs. Ces tumeurs ont en commun leur mode de déclenchement, qui est maintenant mieux connu.

Essais cliniques et innovation thérapeutique

Le décryptage de la biologie particulière de ces GITC nous a permis de comprendre que les mutations H3K27M entrainent un profond remodelage de l’organisation du génome des cellules tumorales, changeant l’expression de nombreux gènes impliqués dans la différenciation (donc la maturation) des cellules du système nerveux central. On peut ainsi considérer que ceci entraine le maintien de la plupart des cellules tumorales dans un état qui ressemble aux cellules souches du cerveau. Ces cellules souches tumorales sont alors habituellement résistantes aux chimiothérapies classiques et à la radiothérapie, sont extrêmement mobiles et échappent au système immunitaire. Ces phénomènes qui existent dans tous les gliomes malins (où ils concernent environ 5% des cellules tumorales) se trouvent amplifiées dans les GITC où plus de 80% des cellules tumorales se trouvent dans cet état indifférencié. Et contrairement aux cellules souches normales, elles ne peuvent plus entrer en différenciation et devenir des cellules normales du cerveau (neurone, astrocyte ou oligodendrocyte).

Aujourd’hui, nous ne savons pas bloquer l’effet de la mutation H3K27M même si de nombreuses recherches s’y attachent, nous pouvons cependant agir sur un certain nombre de conséquences de l’effet de cette mutation et sur les anomalies associées qui participent à la progression de la maladie. Ainsi, la plupart des GITC présentent une activation d’une voie importante pour la survie des cellules appelée mTOR. C’est pourquoi une des familles de médicament les plus activement étudiées est celle de l’everolimus qui est donc un inhibiteur de cette voie qui sensibilise aux effets de la radiothérapie.

D’autres médicaments peuvent être proposés, guidés par le profil des anomalies retrouvées avec l’analyse (séquençage) de la biopsie. Selon les caractéristiques du GITC, les médecins de Gustave Roussy peuvent proposer aux patients de participer à des protocoles de recherche clinique qui visent à établir l’efficacité et l’innocuité de nouveau traitement. Si elle est adaptée, l’orientation vers un essai thérapeutique sera évoquée avec les familles par le pédiatre oncologue référent, leur permettant d’accéder à des traitements innovants pour cette maladie orpheline de traitement.

Les médecins de Gustave Roussy seront disponibles pour discuter avec les familles des options thérapeutiques possibles soit au diagnostic, soit en cas d’effet insuffisant du premier traitement qui sera proposé.

La recherche sur le GITC à Gustave Roussy

Gustave Roussy est le seul hôpital français qui dispose d’une équipe de recherche labellisée en 2020 par l’Inserm pour l’étude de cette maladie. Une quinzaine de chercheurs sont réunis dans l’équipe Génomique et oncogénèse des tumeurs cérébrales pédiatriques de l’Unité Inserm U981, pour comprendre cette maladie et découvrir de nouveaux traitements.

Nos découvertes des principaux types de GITC ont servi à l’élaboration de la classification de ces tumeurs par l’Organisation Mondiale de la Santé en collaboration avec l’équipe du Pr Varlet à l’hôpital Sainte-Anne. Nous utilisons également un fragment de la biopsie pour fabriquer des avatars cellulaires, tissulaires (organoïdes tumoraux en trois dimensions) et murins qui miment les caractéristiques de la maladie chez les patients. La banque d’avatars disponibles recouvre la plupart des types de GITC rencontrés et permet de tester de nouveaux traitements de façon plus exhaustive dans des essais précliniques. De plus amples informations sont disponibles en français sur le site internet de l’équipe de recherche.

JForum.fr & Florence Méréo

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