Covid-19 : les vaccins peuvent-ils augmenter le risque d’infection ?

LA QUESTION. Les doutes, les critiques et les interrogations persistent, un an après le début des premières vaccinations contre le Covid-19 et alors que le virus ne cesse de muter. «Les vaccins que l’on a actuellement ont très peu d’influence sur la circulation du virus. Il faut vraiment se poser la question : qu’est-ce que l’on veut avec la vaccination ? On ne peut pas éliminer cette maladie», a par exemple déclaré samedi sur LCI la directrice en charge de la gestion des risques infectieux à l’OMS (Organisation mondiale de la santé), le Dr Sylvie Briand. Depuis des mois, le constat est le même : les vaccins sont efficaces pour réduire les formes graves du Covid-19, mais ne permettent pas, ou peu, d’empêcher la contamination et donc la transmission du virus Sars-CoV-2 qui porte cette maladie.

C’est également le propos tenu par le Professeur Didier Raoult samedi dans l’émission «Touche pas à mon poste» sur C8. Le directeur de l’IHU Infection Méditerranée a ainsi défendu le vaccin pour les personnes vulnérables au Covid-19, mais remet en cause son utilité pour lutter contre la diffusion du virus. «Sur le plan épidémique, est-ce qu’on a une évidence que ça sert à quelque chose ? La réponse est non : je suis désolé de ne pas être d’accord avec les autorités, mais ça ne contrôle pas l’épidémie, pas du tout […] Peut-être même que dans un certain nombre de cas, il y a […] un phénomène scientifique[…] qui sont les anticorps facilitants, c’est-à-dire qu’il y a des anticorps qui facilitent l’infection et que leur effet se voit dans les trois semaines qui suivent l’infection». L’universitaire formule donc ici une hypothèse : les vaccins pourraient induire des anticorps facilitants qui risqueraient d’aggraver le risque d’infection au Covid-19. Est-elle crédible ?

VÉRIFIONS. Sur CNews, le Pr Raoult est revenu une seconde fois, samedi, sur ce «problème des anticorps facilitants». «Nous voyons, nous [à l’IUH], qu’à peu près 30% des infections par Covid après vaccination se situent en réalité dans les trois semaines après l’injection. Il suffit d’interroger votre entourage, et vous verrez que c’est quelque chose de banal. Ça maintenant, on pense connaître l’explication scientifique. Il y a une zone qui suscite des anticorps qui, au lieu de neutraliser, facilite l’infection. C’est quelque chose qui était très bien connu pour la dengue». Selon lui, ces anticorps auraient «une demi-vie courte» : «Ils ne restent pas longtemps. Ils restent quinze jours, trois semaines». «Ce que l’on voit, c’est qu’il y a un pic de cas nouveaux juste après l’injection, ensuite il y a une couverture qui a l’air significative et au bout de trois mois, on voit […] la diminution de l’efficacité des anticorps neutralisants, ceux qui sont efficaces. Il y a donc bien deux phénomènes, qui sont à analyser».

Cette hypothèse a également été mentionnée le 5 janvier sur la même chaîne par un autre infectiologue, le Dr Robert Sebbag, médecin à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière : «On sait en immunologie qu’il existe des anticorps facilitants. On l’a bien prouvé pour la dengue […] Ca veut dire qu’au lieu d’avoir des anticorps qui vont vous protéger, ils vont augmenter la possibilité de la maladie». L’infectiologue appelle aussitôt à ne pas dramatiser : «Aujourd’hui, vous n’avez pas tous les gens qui sont vaccinés qui ont fait des infections majeures […] Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce qu’on sait aujourd’hui, c’est qu’il y a une réelle efficacité [des vaccins contre les formes graves] […] Par contre, c’est vrai, là où il y a une grande déception, c’est sur le problème de la transmission. Autant le vaccin était efficace sur la souche originelle, beaucoup moins sur la britannique, et vraiment pas sur le delta». Cet échec des vaccins contre la transmission pourrait-il s’expliquer par la présence d’«anticorps facilitants» ? «Je ne dis pas que c’est prouvé pour le Covid-19, je dis que c’est un phénomène immunologique connu», répond le Dr Sebbag.

Des anticorps en forme de Y

Interrogé par Le Figaro, le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique du CHU Henri-Mondor à Créteil et spécialiste des vaccins, estime pour sa part qu’«à l’heure actuelle, il n’y a pas d’inquiétude à avoir, mais qu’il ne faut pas balayer d’un revers de la main» cette question des anticorps facilitants qui s’est posée dès le début du développement de vaccins contre le Covid-19. «J’en faisais par exemple mention dans un document de la Haute autorité de santé fin 2020», rappelle-t-il au Figaro. Dans le rapport publié par la HAS le 25 novembre 2020, on pouvait effectivement trouver un chapitre intitulé «Réponses anticorps facilitantes» et y lire : «Ce type d’effet a été décrit avec d’autres infections virales (dengue, infection VIH, etc.) mais est également bien connu avec des infections avec d’autres coronavirus notamment ceux infectant les animaux».

De quoi s’agit-il ? Le phénomène de ces anticorps facilitants, plus connu sous le sigle anglais ADE pour «antibody-dependent enhancement», a été observé avec «la fièvre jaune, avec la dengue, avec le SIDA et avec d’autres coronavirus», explique le Pr Lelièvre, qui schématise ainsi le mécanisme général des anticorps : «Les anticorps ressemblent à la lettre Y. La partie en V, appelée ‘fragment FAB’, se fixe directement à la protéine du virus pour le neutraliser. La partie en I, appelée ‘récepteur FC’, se fixe quant à elle sur les cellules de l’immunité et les active pour qu’elles détruisent à leur tour le virus». Mais, de temps en temps, il peut y avoir un effet délétère, de deux sortes possibles. D’abord, via le récepteur FC, il peut y avoir une infection des «macrophages», des cellules qui participent à l’immunité, entraînant ainsi une diffusion du virus. «C’est ce qui a été observé dans le cas de la péritonite du chat, qui est une forme de coronavirus», explique Jean-Daniel Lelièvre.

Il existe une autre possibilité : l’anticorps peut parvenir à détruire le virus, mais en même temps va déclencher une réaction d’inflammation dans l’organisme. «C’est ce qui est arrivé quand on a vacciné des singes avec la protéine Spike du Sars-CoV-1 [coronavirus ayant précédé l’actuel Sars-CoV-2 et à l’origine d’une épidémie de 2002 à 2004]. Une fois qu’on les a infectés, ils avaient moins de virus, mais étaient davantage malades», commente le professeur. Il existe donc deux sortes d’anticorps facilitants : les premiers facilitent directement l’infection virale, tandis que les seconds aggravent les symptômes inflammatoires que l’infection déclenche.

Cette question de l’«ADE» est donc classique et s’est posée dès le début aux chercheurs qui ont développé les vaccins contre le Covid-19. Le Dr Antony Fauci, conseiller médical du président américain Joe Biden, avait d’ailleurs mentionné ce fait dès le mois de mars 2020 dans une vidéo qui, depuis, tourne en boucle sur les réseaux sociaux : «Ce ne serait pas la première fois, si cela se produisait, qu’un vaccin qui avait l’air bien en termes de sécurité initiale aggrave en fait l[l’état] des gens».

Or, à ce jour, deux articles parus dans la prestigieuse revue médicale Cell ont montré que de tels anticorps facilitants existaient aussi dans le cas du Sars-CoV-2 à l’origine de la pandémie de Covid-19, mais qu’ils étaient néanmoins beaucoup moins fréquents que les autres anticorps, eux neutralisants. «Dans une autre revue, certes moins prestigieuse [Journal of Infection, août 2021], une équipe française de l’INSERM a soulevé un lièvre en montrant que les études précédentes s’étaient fondées sur la seule souche historique du Sars-CoV-2, celle de Wuhan, sans prendre en compte les différents variants apparus depuis. Or, selon la mutation, la balance entre anticorps neutralisants et anticorps facilitants peut évoluer», explique le Pr Lelièvre.

«Cela change-t-il quelque chose ?»

Dans un article très cité sur les réseaux sociaux, mais qui est encore au stade de la pré-publication [il n’a donc pas encore passé le filtre d’un comité de lecture], des scientifiques estiment quant à eux que «l’équilibre entre les anticorps facilitateurs et neutralisants chez les personnes vaccinées est en faveur de la neutralisation pour la souche Wuhan, les variants Alpha et Bêta, mais pas pour les Gamma, Delta, Lambda et Mu. L’évolution du SARS-CoV-2 a considérablement affecté l’équilibre ADE/neutralisation qui est aujourd’hui en faveur de l’ADE». Le Pr Lelièvre se veut néanmoins rassurant : «Pour l’instant, ce sont simplement des concepts immunologiques, mais cela change-t-il quelque chose ‘in vivo’ ? Si ces anticorps avaient véritablement un effet clinique, nous aurions déjà dû l’apercevoir sur la santé des personnes vaccinées, ce qui n’est pas le cas. C’est même le contraire : on voit bien aujourd’hui que les vaccins ont eu un effet positif contre les formes graves du Covid».

Reste la question soulevée par Didier Raoult, non pas celle de la sévérité des cas de Covid-19, mais de l’infection et de la transmission du virus Sars-CoV-2 lui-même. «Plusieurs études britanniques ont déjà montré que, dans le cas de certaines maladies, il pouvait y avoir une augmentation des infections après une vaccination, note le Pr Lelièvre. Une hypothèse émise est que les anticorps facilitants se développent plus vite que les anticorps neutralisants. Au départ, la balance est donc défavorable, puis elle devient favorable». «Dans le cas du Covid-19 et de la baisse de l’efficacité du vaccin, il y a un élément à prendre en compte avant d’évoquer le problème des anticorps facilitants, c’est tout simplement la diminution assez rapide dans le temps des anticorps neutralisants», conclut le chef de service.

En résumé, il existe classiquement en immunologie une distinction entre anticorps neutralisants et anticorps facilitants. Dans le cas du Sars-CoV-2, ces derniers semblent bien exister, mais la question essentielle est celle de la balance entre ces deux catégories. À cet égard, une chose est sûre : les vaccins contre le Covid n’ont pas produit de formes plus sévères de la maladie, comme cela avait pu être observé pour d’autres infections. Au contraire, contre les formes graves du Covid-19, l’efficacité des vaccins est aujourd’hui certaine, même si celle-ci diminue dans le temps. Quant à leur utilité pour limiter la transmission du virus, elle apparaît aujourd’hui très faible face aux différents variants, ce qui nécessite, comme le note l’OMS, de tenir compte de cette réalité dans l’élaboration de la stratégie vaccinale puisque le vaccin ne permettra pas d’éradiquer le virus lui-même. Le rôle néfaste des anticorps facilitants en la matière ne reste pour l’instant qu’une hypothèse, non encore confirmée.

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MICHEL06

Raoult a dit ,notamment en Avril Mai 2020, tout et son contraire ; il a perdu toute crédibilité, et devrait mettre son énorme EGO en veilleuse

Richard MALKA

Tout est dit dans ce reportage.
Trop de dérives autoritaires et intégristes d’extrême centre autour de ce covid.
On ne sera toujours pas l’origine de ce virus qui pourrait apporté bien des choses à ces scientifiques qui travaillent d’arrache pied.
Mais là n’est pas la motivation politique donc Bravo au Professeur RAOULT pour cette brillante démonstration.