Les Kurdes de Syrie: le choix difficile de Trump pour éviter un scénario catastrophe

Depuis une semaine il y a débat, le mot est d’ailleurs totalement inapproprié tellement tout va dans le même sens, au sujet des Kurdes de Syrie. J’ai même écrit  que j’avouais ni comprendre la décision de Trump ni le soutenir dans cet épisode.

J’écrivais «Là, malgré tout mon soutien pour Trump, je n’arrive pas à avaler la décision de laisser les Turcs d’Erdogan massacrer les Kurdes, les plus grands perdants de l’Histoire»…Et puis chacun dans la presse est allé de son couplet, de «Trump a abandonné les Kurdes à Trump fait massacrer les Kurdes», et sur les réseaux sociaux ça a été la même chose…

On va laisser de côté la haine irrationnelle contre Trump, quoi qu’il fasse ou dise, et qui n’a son pendant que dans l’amour et l’admiration, encore plus irrationnels, pour Obama… quoi qu’il fasse ou dise également.

Ça, c’est de l’ordre de l’émotionnel et il ne faut ni chercher à comprendre ni à convaincre. C’est comme l’antisémitisme, le racisme ou tout autre sentiment persistant d’antipathie où on essaye de justifier les raisons de détester une personne, une religion ou une race en lui faisant n’importe quel reproche pour justifier cette haine.

Le massacre des Kurdes m’émeut toujours autant mais il faut replacer les choses dans leur contexte et parler d’abord du Kurdistan volé aux Kurdes lors du Traité de Lausanne en 1923 pour mettre un point final à la Première Guerre Mondiale.

Depuis les Kurdes se sont retrouvés à cheval sur plusieurs pays où ils ont été persécutés mais ont aussi souvent gâché, par eux-mêmes et par des querelles intestines, claniques et tribales, les chances de créer un Kurdistan malgré les persécutions dont ils font l’objet de la part des pays dans lesquels ils vivent, pays qui perpétuent cette situation pour ne pas perdre ces territoires et leurs ressources.

La dernière occasion ratée l’a été en 2017 quand le Kurdistan « irakien » qui était plus ou moins autonome depuis 1992 a procédé à un référendum pour déclarer son indépendance et faire sécession d’avec l’Irak.

Le référendum a été gagné à une énorme majorité par les indépendantiste et, au lieu de s’unir, les différentes factions se sont battues entre elles au point que lorsque les forces irakiennes ont envahi Kirkuk, la faction pro-iranienne n’a rien fait pour venir en aide aux autres et la sécession a lamentablement échoué.

De toutes façons la communauté internationale dans son ensemble, à quelques très rares exceptions près, avait fait savoir avec insistance qu’elle était absolument contre l’indépendance du Kurdistan et aurait voté en ce sens à l’ONU.

Où sont les Kurdes et combien sont-ils ?

• D’abord en Turquie où ils sont 15 à 20 millions et représentent 23 à 28% de la population. Cette imprécision vient du fait que beaucoup de Kurdes, musulmans sunnites en très grande majorité, sont mariés à des Turcs/ques, musulmans sunnites eux aussi, et font ainsi partie des deux communautés. Il y a des projections qui donnent pour 2060, les Kurdes majoritaires en Turquie car leur démographie est bien plus importante que celle des Turcs.
• Il y a 4 à 5 millions de Kurdes en Irak où ils jouissent d’une autonomie quasi complète un peu amoindrie depuis les événements de 2017.
• En Iran ils représentent 7% de la population et sont entre 5 à 6 millions. Ils subissent les contraintes de la dictature théocratique des Mollahs et sont de temps en temps victimes de persécutions comme toutes les minorités dans ce genre de pays.
• Reste la Syrie où les Kurdes sont 2 millions et représentent 8 à 9% de la population et c’est au nord de ce pays, qu’une partie des Kurdes qui y vit a été « abandonnée » récemment. D’abord, et sans rentrer dans trop de détails pour ne pas faire excessivement long, il y a déjà une division clanique et tribale entre les Kurdes dans cette région qui se chamaillent sans cesse et qui, là aussi, ne sont pas arrivés à se créer un état pour toutes ces raisons, d’une part, et à cause de la proximité de la Turquie, d’autre part. Mais surtout il y a dans cette région une production de 400.000 barils de pétrole par jour sur lesquels la Turquie veut mettre la main. La Syrie qui vient, semble-t-il, au secours des Kurdes voudrait elle aussi se réapproprier ces gisements.

Il faut savoir, pour qui suit les élucubrations d’Erdogan, que celui-ci entend récupérer à terme tous les territoires de l’Empire Ottoman, le fameux Califat, même si cela doit prendre plusieurs générations. Il a déjà commencé ce combat de plusieurs façons.

Il considère donc que la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite et tout ce qui représentait le Califat, tout le Moyen-Orient actuel, doivent être un seul et même pays. C’est un idéologue dogmatique et, comme tous ses semblables, on ne le fera pas changer d’idée même si c’est totalement utopique.

Les relations d’Erdogan avec les Etats-Unis sont en train de se refroidir parce que Trump ne veut pas, à l’opposé d’Obama, lui passer tous ses caprices et essaye de le contenir du mieux qu’il peut. Or, et on le sait à présent de façon officieuse et quasi certaine, la Turquie avait l’intention d’envahir ces territoires que les Américains aient été d’accord ou pas.

Que restait-il à faire aux Etats-Unis devant ce fait accompli: soit se retirer comme l’a fait Trump en déclarant que les guerres lointaines n’ont plus de raison d’être, soit rester et risquer un conflit bien plus grave avec tous dangers que cela comporte.

On connaît la première solution, c’est celle qui a eu lieu et qui a fait couler autant d’encre que de sang, puisque c’est devenu le principal sujet des actualités télévisées et des news de toutes sortes, y compris sur les réseaux sociaux.

La deuxième solution est que Trump ne se retire pas pour protéger les Kurdes et s’oppose aux velléités du Calife d’Ankara, quels sont les risques et les conséquences ?

Ils sont multiples : pour commencer Erdogan, avec ou sans l’accord des Américains, aurait envahi la Syrie et fait exactement ce qu’il a fait, rien ne l’en aurait dissuadé. La force d’interposition américaine, 50 hommes à peine, se trouve donc dans la ligne de feu et des soldats risquent, bien sûr, d’être tués par les forces turques.

Outre qu’il est même ridicule de penser qu’une force aussi peu nombreuse et aussi loin de ses bases puisse s’opposer à l’armé turque, forcément très nombreuse et tout près de ses bases, si des soldats américains sont tués, ce qui est tout à fait probable, il sera impossible aux Etats-Unis de ne pas riposter et là on s’approche, à grand pas, du « scénario catastrophe ».

Les Etats-Unis utilisent de nombreuses bases navales en Turquie, membre de l’Otan, et y a plusieurs vaisseaux allant du destroyer au porte-avions en passant par les cargos ravitailleurs qui y sont présents en permanence. En outre il y a la base aérienne d’Incirlik, extrêmement importante pour le dispositif de défense de l’OTAN et où est d’ailleurs entreposée l’arme nucléaire.

Ces bases risquent d’être attaquées et là on se dirige vers un conflit majeur, une guerre de très grande ampleur, qui fera passer celle avec l’Irak pour une querelle de voisinage et sera très coûteuse en vies humaines et en trillions de dollars et, il faut insister sur ce point, mettra l’économie du monde entier, y compris, bien entendu, celle de l’Europe au bord du gouffre ou même carrément la faire exploser.

La Turquie, membre de l’OTAN, il ne faut pas l’oublier, s’est nettement rapprochée de la Russie voisine, qui risque à son tour d’entrer dans le conflit ou, si même elle décide de rester à l’écart, de s’allier avec la Turquie et former une alliance tripartite avec l’Iran, ce qui serait désastreux aussi bien sur le plan géopolitique que sur le plan stratégique.

Sans compter qu’un affaiblissement et un enlisement des Etats-Unis ne profiteront pleinement qu’à la Chine qui est totalement en dehors du coup et qui n’a pas le moindre état d’âme pour les Kurdes ni pour qui que ce soit d’autre.

Et, last but not least, commencer une guerre en pleine année électorale serait pour Trump, non seulement insensé sur le plan de sa réélection mais très difficile à diriger en pleine campagne où ses adversaires démocrates, ne lui feront aucun cadeau même au nom de la raison d’état, ne manqueront pas de faire de l’obstruction et des reproches quotidiens, lui liant les mains comme ils le font depuis le début de son mandat sans se soucier des conséquences néfastes sur le pays. Ils l’ont prouvé depuis bientôt trois ans.

Une guerre, surtout aussi grave que celle-ci et qui risque d’avoir des conséquences catastrophiques, ne se décide pas à la légère. Quand on voit ce qu’a coûté en vies humaines et financièrement celle avec l’Irak on peut facilement multiplier par dix, si ce n’est beaucoup plus, les conséquences, à court comme à long terme, d’une guerre contre la Turquie qui a de fortes chances, en plus, d’être sans issues.

Le public américain n’aurait certainement pas accepté l’ouverture d’un conflit qui n’est absolument pas vital pour les Etats-Unis où des dizaines de milliers de soldats américains périraient aussi loin de leurs frontières pour défendre les Kurdes et ce d’autant plus qu’aucun autre pays d’Europe (ou de l’OTAN) ne serait venu leur prêter main forte, ce qui, d’ailleurs, n’aurait pas changé grand chose aux conséquences cataclysmiques d’un tel conflit.

C’est bien triste pour les Kurdes mais personne ne veut mourir pour un conflit qui peut devenir cataclysmique alors qu’il peut être circonscrit et traité par la diplomatie, même de longue haleine, ce qui semble actuellement être le cas, et des sanctions économiques. Sans les marchés européens et américains la Turquie s’effondrerait comme un château de carte.

Ceux qui pensent autrement n’ont qu’à se proposer eux-mêmes pour aller combattre ou y envoyer leurs propres enfants. Ils y réfléchiront à deux fois.

Par Eddad Aber – Tel-Avivre 

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