« Le Vieil Homme et l’enfant » le film de Claude Berri (2)

Un vieillard pathétique plus qu’antipathique

Ce qui fait le prix du Vieil Homme et l’enfant est pourtant ailleurs: il est dans l’intelligence et la sensibilité avec lesquelles Claude Berri a traité son sujet. Elles font de ce film –certes de facture «classique», mais inclassable et non manichéen–, un long-métrage à propos de l’importance duquel il est par conséquent peut-être plus facile de s’aveugler.

En effet, fidèle à son histoire personnelle, Claude Berri n’a pas voulu montrer le vieil homme comme antipathique, bien au contraire: «Pépé» est pathétique. Il est bon, d’une bonté faite de détresse et d’amertume, et se débat dans une immense solitude –à l’image, peut-être, du Michel Simon de l’époque, que Claude Berri a perçu comme malheureux, secret, émouvant, très complexe.

Antisémite fanatique, «Pépé» adore les animaux, dont son chien Kinou (qui meurt le jour du Débarquement en Normandie) et les lapins: il refuse de manger ces derniers parce qu’il n’est pas «cannibale» et il ne perd pas une occasion de rappeler son «respect de la vie»… sans percevoir aucunement sa propre inhumanité dans ses prises de positions politiques. Il aime sincèrement le petit Claude (qui rit parfois sous cape de la bêtise du vieux) et il apporte à l’enfant ce dont il a alors tant besoin: sécurité et amour.

Claude Berri montre comment cet amour partagé, entre deux êtres que tout devrait opposer, a pu se développer, dans le cadre d’une nature superbe et généreuse (celle du printemps 1944, près de Grenoble), et il réussit à faire de son film, pourtant sans illusions sur la nature humaine, un véritable hymne à la tolérance, dont la nostalgie poétique est encore magnifiée par la musique tendre et mélancolique de Georges Delarue.

Un témoignage de la force de l’amour

On doit souligner l’état de grâce dans lequel baigne le film. Un seul exemple: dans le livre, le petit Claude, qu’un cauchemar a réveillé, regarde ses parents dormir: «Un rayon de lune traversait les carreaux et donnait un peu de lumière à la pièce. Mon père et ma mère dormaient enlacés comme pour se donner du courage. Ils étaient très beaux. Je me suis dit que je les aimais et c’était la première fois que j’en prenais conscience.» C’est à suggérer cette beauté que parvient le film quand les deux parents au début (Charles Denner et Zorica Lozic, tous deux remarquables, très émouvants) sont montrés dans les bras l’un de l’autre.

Sur un sujet aussi grave, Claude Berri et Gérard Brach ont aussi réussi à faire une œuvre remplie d’humour, témoignant tout simplement du bonheur de vivre: comment oublier la scène où «Pépé» célèbre à sa façon les vertus du vin («Le pinard, c’est de la vinasse, ça fait du bien par où ce que ça passe…»)?

Avec le portrait de cet antisémite pétainiste qui sauve un enfant juif sans savoir qu’il est juif, Claude Berri rend parfaitement la complexité d’une époque où l’on pouvait être à la fois pour le maréchal et sauver des juifs, voire entrer dans la Résistance (aux Allemands). Sans parti pris idéologique, il a été un des premiers à témoigner de la force de l’amour, envers et contre tout: celui qui a porté une petite minorité agissante, avec le concours des organisations juives de résistance, à épargner la déportation et la mort aux trois-quarts des juifs de France pendant la guerre.

En ces temps de regain de l’antisémitisme en France (de l’extrême droite à l’extrême gauche), peut-être serait-il salutaire de remettre Le Vieil Homme et l’enfant à sa vraie place dans l’histoire du cinéma français: celle que mérite un film antiraciste intelligent et dépourvu de toute arrière-pensée politique.

JForum.fr avec www.slate.fr Jean-Michel Ropars — Édité par Natacha Zimmermann

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires