La fin de l’islam politique qui était un des handicaps majeurs pour l’évolution économique du Moyen-Orient , et la réorientation des pays arabes vers les non-alignés en tournant le dos aux États-Unis et à l’Europe soulèvent une question pour Israël.

La Chine, plus que la Russie, coalise autour d’elle un grand nombre de pays – qui au passage refusent leur soutien à l’Occident dans leur guerre en Ukraine – , devient plus attractive qu’une Amérique devenue peu fiable et incertaine, du moins au Moyen-Orient.

Le rapprochement Iran Arabie Saoudite doit être vu comme une alerte importante, qui pourrait ruiner les accords d’Abraham. Nous sommes à la croisée des chemins. L’Iran va mettre échec et mat Israël. En restant à deux doigts de la bombe, elle s’autorise l’alliance avec l’Arabie saoudite et ses satellites tout en conservant une potentielle dissuasion nucléaire.

Gilles Kepel : «En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, le crépuscule de l’islam politique ?»

Le directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l’École normale supérieure voit dans l’assassinat, par la Turquie, du dernier des califes autoproclamés de Daech le signe que l’islam politique est devenu un handicap pour les régimes qui s’en réclamaient ou l’avaient coopté.

Le président Erdogan, qui affronte une échéance cruciale lors de l’élection présidentielle turque du 14 mai, a annoncé le 30 avril que les services secrets turcs – le MIT – avaient tué le dernier des califes autoproclamés de « l’État Islamique » (Daech) à Afrin, un territoire syrien sous contrôle de l’armée turque et de ses mercenaires de l’Armée syrienne libre. Il s’agit d’une première : les précédents califes avaient été éliminés par des forces spéciales américaines héliportées depuis la zone sous gouvernance kurde du nord-ouest syrien, où elles disposent de bases opérationnelles. Les États-Unis ont réagi prudemment à cette déclaration, indiquant ne pas disposer d’aucune information sur l’opération… Pourquoi Erdogan, qui a appliqué pendant ses deux décennies au pouvoir un programme inspiré par l’idéologie des Frères musulmans teintée de chauvinisme turc, a-t-il soudainement annoncé pareille liquidation qui marquait une rupture avec sa mansuétude habituelle envers les groupes jihadistes ? Parce que l’islam politique est aujourd’hui devenu un handicap pour les régimes qui s’en réclamaient ou l’avaient coopté en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Et par cette mise en scène, le président espère récupérer les électeurs centristes rebutés par son bilan calamiteux et tentés de donner leur suffrage à la coalition menée par son adversaire laïque Kemal Kiliçdaroglu.

Cette affaire est symptomatique de la distanciation croissante des régimes au pouvoir dans la région par rapport à l’islam politique, avec lequel ils avaient multiplié les accommodements. En Afrique du Nord, le président tunisien Kaïs Saied vient de faire emprisonner le dirigeant d’Ennahda Rached Ghannouchi, ce qui aurait été inimaginable durant la décennie écoulée depuis les « printemps arabes ». Cela a suscité assez peu de réactions, et le président escompte que cette décision renforcera la légitimation de son autoritarisme, engrangeant de la sorte le soutien des classes moyennes laïques qui mettraient une sourdine à leurs critiques contre la répression tous azimuts.

En Algérie et au Maroc voisins, les partis islamistes qui étaient associés au pouvoir, Hamas et PJD, ont été écartés. En Égypte, le président Sissi avait été le précurseur de cette tendance en écrasant l’appareil des Frères musulmans à compter de juillet 2013, quand il avait renversé son prédécesseur qui en était issu. Il a porté à la confrérie quasi centenaire – fondée en 1928 à Ismaïlia par Hassan el-Banna – le pire coup qu’elle ait jamais reçu.

Et, pour ce qui est du financement de l’islam politique à travers le monde par les pétrodollars des pays du Golfe, le prince héritier saoudien Mohamed ben Salman, depuis son arrivée au pouvoir en 2017, a coupé les fonds et éliminé toute référence à cette idéologie dans le nouveau discours officiel qui décline la légitimité du pouvoir. Bien que l’imam Mohammad Ibn Abdel Wahhab – qui a donné son nom au «wahhabisme» – soit toujours révéré comme l’un des deux pères fondateurs du royaume à la fin du XVIIIe siècle avec l’émir Abdel Aziz Ibn Saoud, le puritanisme rigoriste qui émanait de sa doctrine a graduellement été effacé de l’espace public, où concerts de rock, festivals de films et tourisme international, même concernant des personnes LGBT, sont désormais la norme.

Le 6 avril, le cabinet saoudien a approuvé la décision d’intégrer le SCO, dans la foulée de la médiation chinoise avec l’Iran. Cette alliance visant à cimenter un bloc eurasiatique est au cœur de la stratégie russe contre embargo et sanctions des États-Unis et l’Union Européenne après l’invasion de l’Ukraine.

Gilles Kepel

Mais, cette distanciation ne signifie pas que les régimes en place adhèrent au modèle de la démocratie occidentale. L’alternative émergente en Afrique du Nord et au Moyen-Orient est un autoritarisme légitimé par son efficacité économico-sociale, une gouvernance « illibérale » à la chinoise ou à la russe, qui se réclame d’une idéologie anti-occidentale rejetant colonialisme européen d’hier et impérialisme américain d’aujourd’hui : bouc émissaire pour le mécontentement populaire, les dirigeants locaux étant immunisés comme porte-paroles du «Sud Global» opprimé par le «Nord» occidental. Le phénomène le plus frappant est la ruée de ceux-ci vers des alliances dont le BRICS est la plus englobante, perçues comme remparts contre l’hégémonie occidentale – de l’Otan au G-7 et des États-Unis à l’Union européenne.

La Ligue arabe, la Ligue islamique mondiale ou l’Organisation de la conférence islamique (OCI) ne servaient qu’à promouvoir des enjeux intrinsèques – ainsi de l’identité arabe éternelle d’al-Qods (Jérusalem), retour en grâces sur la scène internationale de la Syrie de Bachar al-Assad. Les alliances les plus récentes, du BRICS à l’Organisation de coopération de Shangaï (SCO) en passant par l’OPEP +, combinent une assertion planétaire anti-occidentale et des bénéfices économiques immédiats et tangibles.

Le 6 avril, le cabinet saoudien a approuvé la décision d’intégrer le SCO, dans la foulée de la médiation chinoise avec l’Iran. Cette alliance visant à cimenter un bloc eurasiatique est au cœur de la stratégie russe contre embargo et sanctions des États-Unis et l’Union européenne après l’invasion de l’Ukraine. Elle a assuré nombre de voix asiatiques ne condamnant pas Moscou à l’ONU. Et, la solidarité au sein de l’OPEP + l’a emporté lorsque l’Arabie saoudite a refusé la requête du président Biden, en juillet 2022, d’augmenter la production pétrolière pour affaiblir Moscou –emplissant les coffres saoudiens. Quant au BRICS, qui inclut le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, outre la Russie et la Chine (qui compte pour 70% du poids économique), sa prochaine réunion annuelle en Afrique du Sud fournit l’occasion, présenter leur candidature à l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie et l’Iran – inventaire hétéroclite où la Turquie, membre de l’Otan voisine avec l’Iran, État-voyou selon Washington.

Le regain de la colonisation en Cisjordanie menée par M. Netanyahou est devenu un problème pour les signataires arabes.

Gilles Kepel

En 2020, les accords d’Abraham avaient été conçus par Donald Trump pour circonvenir l’hostilité des Arabes envers Israël en contrepartie de joint-ventures entre la «start-up nation» juive et les Émirats arabes unis riches de leur manne pétrolière ou le Maroc stratégiquement placé. Mais, le regain des implantations en Cisjordanie menée par M. Netanyahou est devenu un problème pour les signataires arabes. Alors que rejoindre le BRICS ou le SCO ne comporte pas ce type d’effets pervers, et paraît d’autant plus attirant en termes de prospérité dont les populations puissent bénéficier, sans dommage pour les régimes autoritaires. Dans ce contexte, l’islam politique apparaît périmé, parce que rien dans son programme, qui est avant tout doctrinaire, ne traite des questions brûlantes liées à la paupérisation et l’explosion démographique de la jeunesse, un fardeau qui pour l’instant n’est soulagé que par l’émigration illégale vers l’Europe …

 

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Franck DEBANNER

Voilà un point de vue typique, de la vermine et des malades mentaux occidentaux, toute cette pourriture maudite et anti TRUMP ! ! !

C’est naturel que l’Arabie se tourne vers l’Iran, car les USA s’en sont éloignés.

Aujourd’hui, les USA de la clique à l’usurpateur robinet de bidet, est clairement un pays ennemi d’Israël. Celui vers lequel « yimah chemom » les déjections gôchiottes israéliennes anti réforme, appellent au secours.