Quelles sont les différences entre les pâques juives et chrétiennes?

 

A l’approche des célébrations pascales, tant chez les Juifs que chez les Chrétiens, il n’est pas inutile de dire un mot de la divergence d’interprétation de cette fête chez les uns et chez les autres. Le récit vétéro-testamentaire de l’Exode est univoque mais les adeptes de l’Eglise primitive, tout juifs qu’ils étaient, l’ont interprété dans un autre sens, celui de la Résurrection tout en s’appuyant sur des versets prophétiques. Donc en restant dans le cadre juif, quoique non rabbinique.

L’Exode, d’une part, tel que le relate la Bible hébraïque, et la Résurrection de Jésus, telle qu’elle se lit dans les Evangiles, d’autre part, sont des événements majeurs de l’Histoire sainte. En termes de sociologie religieuse, on pourrait, avec tout le respect nécessaire à l’adresse des fidèles des deux religions, parler de « mythes fondateurs » qui gisent à la base même de la foi. Comme le recommandait Ernest Renan dans sonHistoire des origines du christianisme, il ne sert à rien de bannir la légende puisqu’elle est la forme que revêt nécessairement la foi de l’humanité.

Alors que la fête juive de Pâque, Pessah, renvoie à un épisode biblique unique, la sortie d’Egypte, la tradition juive et la tradition chrétienne en font des lectures très différentes. Chacune voit dans cette célébration pascale un épisode crucial de son vécu religieux.

Résumons brièvement les récits bibliques tels qu’ils se lisent dans le second livre de Moïse qui a d’ailleurs donné son nom à cet Exode d’Egypte: après sa révélation à Abraham, Dieu lui promet une innombrable descendance qui sera réduite à l’esclavage en Egypte mais qui ressortira renforcée de l’épreuve. Aguerris par une épuisante traversée du désert, ces enfants d’Israël hériteront de la Terre promise où ils pourront couler des jours heureux…

Cette vision idyllique de l’histoire de l’Israël ancien est conforme à la vocation de la Bible qui n’est pas un livre d’histoire mais défend plutôt une conception théologique du devenir historique. Cela s’appelle une téléologie, du terme grec telos qui renvoie dans le contexte judéo-chrétien à un dessein divin, conçu avant même la création de l’univers. Pour quelles raisons la Providence divine a-t-elle choisi de précipiter les Hébreux dans le creuset égyptien pour les en extraire après quelques siècles de souffrances, on ne le saura jamais.

Mais si nous adoptons une approche anthropologique et sociologique, l’explication suivante s’impose à l’esprit: l’Egypte ancienne, bien que dépourvue de toute tradition esclavagiste antérieure, est considérée ici comme la quintessence de l’impureté, une sorte de laminoir impitoyable, un creuset apte à contribuer à la fondation de l’ancien l’Israël; le moule implacablement sélectif de l’esclavage fera émerger une nation nouvelle qui s’est donné une langue, forgé une destinée et construit une vision de l’univers. Le cadre de l’histoire sainte est désormais tracé: un peuple, Israël, une foi, le monothéisme, et une patrie, la Terre promise.

La pédagogie du livre de l’Exode consiste dans l’émergence d’une conscience nationale chez un peuple d’anciens esclaves, soudés par la souffrance.

Aujourd’hui, les historiens s’accordent sur l’existence d’un exode progressif mais ne reprennent pas en tout point les récits bibliques. L’intention fondamentale des rédacteurs bibliques est transparente: faire de l’Exode l’événement national fondamental du peuple d’Israël, sa première apparition sur la scène de l’histoire universelle. En somme, un peuple ayant chèrement acquis sa liberté et qui, désormais, se pose en s’opposant. On voit ici aussi la tension polaire existant entre la mémoire du peuple qui interprète de manière spécifique les événements fondateurs de son histoire, et l’Histoire universelle proprement dite, censée garder trace de ce qui s’est vraiment passé… Nous sommes en présence de la sempiternelle opposition entre la mémoire et l’Histoire.

Or, ce filtre de la conscience religieuse se confond avec le regard que nous portons sur les faits: il fonde une identité qui forme à son tour une opinion. Marguerite Yourcenar écrivait en substance dans les Mémoires d’Hadrien que le passé est le souvenir que les événements anciens laissent dans notre mémoire.

Comme chacun sait, le nom de la fête de Pessah, proviendrait, selon l’étymologie biblique qui est populaire et nons savante, d’un verbe signifiant passer, surmonter, enjamber. Dieu a enjambé les demeures des fils d’Israël afin de leur épargner les plaies qui se sont abattues sur les Egyptiens. Au plan symbolique que je veux privilégier, ce serait donc un rituel de passage d’un état à un autre, de l’esclavage à la liberté, en l’occurrence. D’où la traduction anglaise de Pâque par pass over(Passover).

Le texte biblique parle du sacrifice pascal offert à Dieu. La tradition juive a donc mis cette fête du sacrifice en relation avec la sortie d’Egypte, afin de lui fournir un enracinement de premier ordre dans l’histoire d’Israël. On peut discerner derrière ce rite la pratique d’un peuple de pasteurs qui marquent l’avènement du printemps par un grand rassemblement autour d’un repas professionnel, sacralisé par la suite en repas communiel… Dès lors, la tradition juive ultérieure a fait de la sortie d’Egypte l’acte de naissance du peuple d’Israël en tant que tel, un peuple qui brisa les chaînes de l’esclavage, se fraya un chemin vers son Dieu à travers un lieu aussi inhospitalier que le désert et finit par recevoir le Décalogue dont il fit don à l’humanité.

Après la Passion, l’Eglise primitive, qui ne comptait alors en son sein que des juifs profondément enracinés dans la tradition ancestrale, revisita son histoire dans laquelle elle projeta son vécu religieux immédiat.

Or, ce qu’elle venait de vivre, à savoir la crucifixion, c’est-à-dire un véritable drame, ne pouvait sonner le glas de son espérance: si les sources juives anciennes avaient relié le sacrifice pascal à la sortie d’Egypte eu égard au caractère fondateur de cet événement, les judéo-chrétiens, c’est-à-dire l’Eglise encore juive, pouvait, elle aussi, décider de puiser dans son nouveau terreau un autre événement, tout aussi important aux yeux du judaïsme ancien, la Résurrection. Ces hommes ne pouvaient se résoudre à la disparition de leur rêve. Vu la proximité de la fête de Pâque et la terrible déception qui s’était abattue sur les Apôtres et les disciples, la fête prenait une autre dimension et devenait celle de la Résurrection et Jésus, l’agneau pascal, l’objet même du sacrifice.

Ce qui est frappant, ce n’est pas tant la profonde divergence des interprétations d’un même événement ou d’une même solennité par deux traditions devenues différentes, que le fait suivant: les adeptes de l’Eglise naissante ont puisé, encore et toujours, dans le terreau du judaïsme, le leur, celui qui les a toujours nourris, pour procéder à cette substitution.

Il existe dans le livre du prophète Osée un passage très expressif qui contient tous les ingrédients de la Résurrection, telle que les Evangiles la conçoivent au sujet de Jésus. Osée (6 ;2) exhorte au retour vers Dieu et s’écrie: « Il nous fera revivre après deux jours; au troisième jour il nous ressuscitera et nous revivrons devant lui… »

Comme la communauté de Jérusalem baignait dans un environnement exclusivement juif et que des hommes tels que Jacques étaient de fins lettrés, est-il concevable que ces juifs profondément religieux aient ignoré un tel verset prophétique? Or le verset d’Osée commence par évoquer les blessures subies et que Dieu vient justement guérir…

Tout ceci montre bien que cette idée de Résurrection a germé dans un terreau juif dont Jésus est le produit; mais nous voyons aussi ce qui sépare l’histoire de la mémoire: là où les juifs, demeurés fidèles à l’enseignement de la synagogue ne retenaient de la Pâque que la sortie d’Egypte, en somme la fête de la liberté et l’abolition de l’esclavage, d’autres juifs, désireux de renouveler leur religion par l’intermédiaire de Jésus, jugent que sa crucifixion a nécessairement un sens, qu’elle avait été voulue par Dieu afin de rédimer une humanité pécheresse… C’est un total déplacement de sens, un changement absolu de perspective.

Dans le sillage de Philo d’Alexandrie, l’exégèse patristique est allée dans la même direction en allégorisant la prescription majeure de la fête pascale: la consommation de pain azyme qu’elle interprète comme une exhortation à la modestie et à l’humilité. Alors que le pain levé, couramment consommé, évoque un cœur humain gonflé d’orgueil. Quant à l’Egypte ancienne transformée en berceau de l’esclavage, Philo d’Alexandrie nous invite à n’y voir que l’allégorie d’un espace dénué de spiritualité et d’amour du prochain.

Car, au fond, n’est-ce pas là le véritable enseignement de cette double célébration de la Pâque? Même un pasteur luthérien comme J. G. Herder relevait que « notre humanité n’est qu’un état transitoire, le bouton d’une fleur qui doit éclore et aboutir à une sorte d’humanité divine… » Tel devrait être l’enseignement éthique de la commémoration de la Pâque, juive et chrétienne: l’abolition de toutes formes d’esclavage, le bannissement de la souffrance et la foi en un avenir meilleur, c’est-à-dire une sorte de résurrection. Herder écrivait aussi que le plus beau rêve de la vie future est que nous jouirons, un jour, dans une humanité fraternelle, du commerce de tous les sages, de tous les justes… Quand on veut préserver son être de l’oubli éternel, on recourt à la résurrection.

Et Ernest Renan lui fit écho en expliquant que la résurrection pourrait être entendue comme la poursuite de la vie dans le cœur de ceux qui vous aiment.

Mais je voudrais laisser le dernier mot à ce grand philosophe allemand, Franz Rosenzweig, mort en 1929 et auteur de l’Etoile de la rédemption où écrivait en conclusion ceci:

Devant Dieu, tous deux, Juif et Chrétien, sont par conséquent des ouvriers travaillant à la même œuvre. Il ne peut se priver d’aucun des deux. Entre eux, il a de tout temps posé une inimitié et néanmoins, il les a liés ensemble dans la réciprocité la plus étroite. Tel est le vrai message de Pessah et de Pâque.

 

Maurice Ruben Hayoun

MRH petit

 

Regards croisés juif et chrétien sur les fêtes de Pâque(s)

 

Les différences et les similitudes entre ces deux fêtes. Surtout des symboles qui changent de sens apparents sur un même socle. L’histoire d’une divergence, sur l’histoire et son interprétation.

En cette année 2015, la fête juive de la Pâque et la fête chrétienne de Pâques ne sont séparées que d’un jour. L’occasion de faire le point sur la signification de ces fêtes, leur origine, leur importance, et de satisfaire la curiosité des plus curieux sur les rituels associés.

Par Benjamin Guyot et Constance Mas.

« Pâques » ou « la Pâque » ?

Benjamin Guyot

Les Chrétiens célèbrent Pâques, et les Juifs la Pâque, deux mots dérivant du mot latin, « pascha », qui désigne les deux fêtes à la fois. Ce dernier est lui-même emprunté au grec, qui tente de retranscrire l’araméen qui emprunte à son tour à l’hébreu « pessah’ »1 Ce nom de Pessah’ provient du verbe signifiant passer devant, éviter, épargner ; en référence à la dixième plaie d’Égypte, lors de laquelle la mort a frappé les premiers-nés égyptiens en épargnant les foyers juifs. Cette signification se retrouve par exemple dans le nom anglais de la Pâque : Passover. Nous utiliserons donc les expressions « la Pâque » et « Pessah’ » de manière interchangeable ; « Pâques » avec un « s », en revanche, désigne exclusivement la fête chrétienne.

Constance Mas

Il ne s’agit bien sûr pas d’un hasard si les fêtes juives et chrétiennes ont (presque) le même nom et si leur date est proche (plus ou moins selon les années et la concordance des calendriers). C’est en effet à l’occasion de la Pâque (juive, donc) que Jésus était monté à Jérusalem et c’est elle qu’il fêtait avec les apôtres lors de leur dernier repas commun2 Plutôt que d’y voir une coïncidence du calendrier, nous pouvons méditer sur la double histoire de salut qui nous est présentée (salut matériel après l’esclavage en Égypte, salut éternel après l’esclavage du péché) ainsi que sur le moyen de rédemption choisi (sacrifice d’un agneau, sacrifice du Christ3)

À quelle date fête-t-on Pessah ? Et Pâques ?

Benjamin Guyot

La Pâque tombe toujours à date fixe… dans le calendrier hébraïque (en l’occurrence le 14 du mois de Nissan). Cette année, elle commence le vendredi 3 avril au soir4. En pratique, la fête tombe toujours à la même période de l’année : son premier soir peut avoir lieu entre la fin Mars et la fin Avril. Dans le calendrier hébraïque, un jour commence non à minuit mais au coucher du soleil ; c’est pourquoi toutes les fêtes commencent la veille au soir. La fête dure huit jours, dont les deux premiers sont des jours de fête pleine (notamment, un Juif pratiquant ne travaille pas durant ces deux jours), puis quatre jours de demi-fête (où les pratiquants peuvent travailler), et enfin la fin de la fête a, à nouveau, le statut de fête pleine5.

Constance Mas

Cette année, le dimanche de Pâques tombe le 5 avril pour les chrétiens. La joie de Pâques est fêtée pendant huit jours, que l’on appelle « octave de Pâques » et qui s’apparente à un long dimanche de huit jours : la messe est célébrée tous les jours avec les prières du jour de Pâques, la Préface, notamment, et des passages de la Prière eucharistique.

Quant à la date proprement dite, elle varie entre le 22 mars et le 25 avril. Les modalités pour la déterminer ont été fixées par le concile de Nicée, en 325 : il s’agit du dimanche qui suit la pleine lune de l’équinoxe de printemps6.

De quoi fait-on mémoire à cette occasion ?

Benjamin Guyot

Lors de la Pâque, les Juifs du monde entier célèbrent l’événement fondateur du peuple hébreu, à savoir sa sortie d’Égypte, sa libération de l’esclavage qu’il y subissait et de la tyrannie de Pharaon. On y commémore les œuvres que l’Éternel a réalisé en ce temps : d’avoir lancé sur leurs esclavagistes les dix plaies d’Égypte, de les avoir épargnés de la mort des premiers-nés, de les avoir fait traverser la mer des Joncs (parfois improprement traduite sous le nom de mer Rouge), d’y avoir noyé leurs poursuivants, de les avoir guidés, nourris et abreuvés dans leur traversée du désert, et de leur avoir donné la Torah au Mont Sinaï. Fête de la libération des Hébreux, elle est parfois appelée « h’ag ha-h’érout », la fête de la liberté.

Constance Mas

On appelle « triduum pascal » les trois jours entre la messe du soir du jeudi saint au dimanche soir : ils représentent les trois jours s’écoulant de la Cène à la Résurrection, auxquels le Christ fait souvent allusion dans l’Évangile. À cette occasion, on fait donc mémoire de la Cène (jeudi saint), de la Passion et de la mort de Jésus sur la Croix (vendredi saint), et enfin de Sa résurrection salvatrice pour l’humanité (Pâques).

Quelle importance pour cette fête ?

Benjamin Guyot

Pour les Juifs, Pessah’ est une des fêtes les plus importantes du calendrier. Mentionnée dans la Torah (par exemple en Exode 12) sous le nom de fête des azymes (h’ag ha-matsot), c’est une des trois fêtes de pèlerinage pendant lesquelles les Juifs du royaume de Judée devaient se rendre au Temple de Jérusalem (du temps où il existait) afin d’y présenter des sacrifices. Une grande importance est donnée à la pédagogie et à la transmission lors de cette fête, et à faire comprendre aux enfants pourquoi ils sont là (c’est-à-dire à la fois là autour d’une table où se déroule un repas inhabituel avec des mets étranges, et là libres plutôt qu’esclaves en Égypte).

Constance Mas

Pâques est la fête la plus importante de toutes pour les Chrétiens, le centre de la foi chrétienne. En fêtant la résurrection du Christ et en faisant mémoire à cette occasion de l’histoire du Salut, les Chrétiens affirment qu’ils croient en la victoire du Christ sur la mort et sur le péché, et rendent grâce à Dieu pour le don du Salut. C’est pourquoi cette fête ne se prépare pas en un jour, mais est précédée des quarante jours du Carême, dont la semaine sainte, qui commémore la Cène, la Passion et la mort du Christ sur la Croix. À titre d’illustration de l’importance de Pâques : c’est le jour où l’Église donne pour commandement aux fidèles catholiques de communier.

Quels sont les rituels de Pessah ?

Benjamin Guyot

La matsa, « pain de misère », les jours autour de la Pâque et les offices

Si il n’y avait qu’un seul symbole à retenir de Pessah’, ce serait qu’on y mange de la matsa, c’est-à-dire du pain azyme (i.e. qui n’a pas eu le temps de lever). Ce « pain de misère », comme l’appelle Deutéronome 16:3, est consommé en souvenir du seul pain que les Hébreux ont pu prendre comme repas le jour de leur exode ; en effet, l’Éternel leur a ordonné de sortir dès que possible au plus vite du pays, et ils n’ont donc pas eu le temps de laisser lever les pains qu’ils ont confectionné ce jour-là. La matsa est associée à ce point à la fête que la Bible la désigne sous le terme de « fête des azymes » (Exode 34).

En fait, on ne peut rien manger de levé lors de Pessah’. En conséquence de quoi, la veille, il est de coutume de lancer une grande recherche de toute pâte levée ou susceptible de lever (h’amets) dans le foyer, qui est souvent l’occasion de procéder à un grand ménage de printemps. Même lors du Kiddouch à la fin des offices de Shabbat (une cérémonie où une communauté de fidèles partage du vin et de la h’alla, un pain tressé à la consistance très riche), le pain est remplacé par de la matsa.

Quant aux offices eux-mêmes, ils connaissent quelques modifications mineures. Comme pour toute fête, l’on récite le Hallel (c’est-à-dire les psaumes 113 à 118), suivi le plus souvent du psaume 136. De plus, on intercale un passage supplémentaire au milieu de la Amida (la prière centrale de l’office) ; et l’on remplace le passage dédié à l’hiver par celui destiné à l’été (cette dernière modification ne concerne que quelques mots).

À partir du deuxième soir de Pessah’, on commence à « décompter l’Omer », c’est-à-dire compter le nombre de jours écoulés depuis lors. En effet, sept semaines après Pessah’ a lieu Chavouot, la Pentecôte juive, qui célèbre le don de la Torah aux Hébreux au Mont Sinaï ; l’Omer symbolise donc les sept semaines durant lesquelles ces derniers ont cheminé dans le désert depuis le pays de Goshèn jusqu’au lieu de la théophanie.

Le séder, rituel domestique

Le cœur de la Pâque juive, c’est le « séder » (prononcer cé-derre), un rituel en une quinzaine d’étapes qui a lieu le premier ou les deux premiers soirs, le dîner à proprement parler formant l’une de ces étapes. On y lit la « haggadah » (mot hébreu signifiant l’histoire, le récit), composée de versets de la Torah, de leur commentaire talmudique, et de nombreux chants traditionnels ; le tout selon un ordonnancement bien particulier (séder signifie ordre, ordonnancement en hébreu). Il en existe de nombreuses variantes, pour la plupart richement illustrées7. Particularité amusante : alors que la sortie d’Égypte s’est déroulée sous la conduite de Moïse, la Haggadah ne contient pas une seule fois son nom : c’est bien le Tout-Puissant que l’on célèbre, et non un héros historique ou mythologique.

JEN_9656-2 _PASSOVER_Hagada_Jorge Novominsky credis Israel_photo_gallery  (CC BY-ND 2.0)

 

Il n’y a pas à s’étonner que le repas soit intimement inclus dans la célébration de la fête. Après tout, (mis à part les jeûnes) il n’y a pas de bonne fête juive sans un bon repas. Quoiqu’en partie solennel, le séder est une célébration joyeuse : le rituel inclut d’y boire quatre coupes de vin (sans compter celles du repas lui-même) ; la joie est toutefois symboliquement diminuée en retirant d’une de ces coupes autant de gouttes de vin que de plaies en Égypte.

Sans trop entrer dans le détail, le séder s’organise autour d’un plateau contenant des mets symboliques de la fête.

  • Le « maror », des herbes amères rappelant l’amertume de l’esclavage en Égypte.
  • Le « h’arossèt », une pâte brune obtenue en pilant des fruits et des noix, évoquant l’argile des briques que les Hébreux devaient fabriquer, et/ou le mortier pour les assembler.
  • Le « karpass », un végétal (le plus souvent du persil ou du céleri) que l’on trempe dans de l’eau salée ou du vinaigre pour se souvenir des larmes des Hébreux quand ils étaient esclaves en Égypte (pour certains, le végétal est trempé dans le liquide comme la tunique de Joseph a été trempée dans le sang d’un animal ; interprétation fondée sur un jeu de mots entre l’hébreu et le grec).
  • Le « zeroa », un os d’agneau placé en souvenir du sacrifice fait au Temple pour la Pâque ; il est parfois remplacé par un os de poulet. Il est toutefois traditionnel de manger de l’agneau à Pessah’. En effet, c’est en étalant le sang d’un agneau sur le linteau de leurs portes que les Hébreux ont permis au Créateur de reconnaître leurs foyers afin de les épargner.
  • Un œuf dur, qui représente l’autre sacrifice que l’on offrait au Temple pour Pessah et pour les autres fêtes de pèlerinage.
  • Trois matzot (pluriel de matza), utilisées à différentes étapes du rite.

Certains de ces symboles ont des recettes très différentes selon les familles et les communautés. En effet, pour ce qui est des symboles, la tradition rabbinique a toujours vu l’improvisation et l’adaptation aux conditions locales comme une bonne chose, l’important étant l’esprit plutôt que la recette exacte.

Ces rites sont aussi faits pour susciter la curiosité des enfants, afin qu’ils posent des questions, et qu’on puisse leur répondre en leur racontant l’histoire de la sortie d’Égypte. Il s’agit de retenir leur attention jusqu’à la fin du séder, par exemple en faisant se succéder les moments forts et les chants traditionnels (Ma nishtana, Dayénou, la séquence des quatre enfants…). Le séder lui-même se clôt sur une formule que répètent depuis des siècles les Juifs du monde entier : « L’an prochain à Jérusalem ! ».

Que dire de la liturgie pendant le triduum pascal ?

Constance Mas

Début du triduum pascal

Le jeudi saint fait mémoire du dernier repas du Christ avec ses apôtres, la Cène, au cours duquel été instituée l’eucharistie. Rien de mieux pour expliciter ce qu’est « l’institution de l’eucharistie » que de citer la prière eucharistique, prière précédant la communion lors de la messe : « La nuit même où il fut livré, il prit le pain, en te rendant grâce il le bénit, il le rompit et le donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous. » De même, à la fin du repas, il prit la coupe, en te rendant grâce il la bénit, et la donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l´Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela, en mémoire de moi. » » À la fin de la messe, les fidèles suivent en procession le Saint Sacrement au reposoir puis poursuivent leur prière par un temps d’adoration.

C’est parce que le jeudi saint fait mémoire de l’inauguration de l’eucharistie qu’il est le jour du sacerdoce, c’est-à-dire le jour des prêtres8.

Au cours de la cène, Jésus a également lavé les pieds de ses disciples, leur signifiant par-là l’importance de se mettre au service de nos frères. Ce geste est le sujet de l’Évangile du jour et il est répété par les prêtres au cours de la messe.

Le temps de l’attente

Il faut savoir qu’aucun sacrement autre que la confession et l’extrême onction n’est administré entre la fin de la messe du jeudi saint et la vigile pascale. Cela signifie qu’il n’y a aucune consécration des offrandes (eucharistie) pendant ce temps, et qu’il faut veiller à consacrer le bon nombre d’hosties lors du jeudi saint afin que tous puissent communier jusqu’à la prochaine consécration. Le tabernacle est donc vidé des espèces consacrées, qui seront conservées à part dans ce qu’on appelle une réserve eucharistique, à l’abri des regards. Jusqu’à Pâques, le tabernacle restera ouvert et vide, ce qui est toujours un symbole fort en ces temps commémorant la Passion, la mort, puis l’attente de la Résurrection. Les croix sont également voilées et l’église dépouillée de l’essentiel de sa décoration après le jeudi saint.

Le vendredi saint est un jour de recueillement et de prière. Les Catholiques assistent à la célébration de la Passion, qui commence par la liturgie de la Parole, se poursuit par la vénération de la Croix et s’achève avec la communion. Cette célébration n’est pas une messe, mais revêt un caractère solennel de par l’importance du mystère de la Croix. C’est aussi parce qu’il est fait mémoire en ce jour de la mort de Jésus que le vendredi saint est un jour de jeûne et d’abstinence et que le vendredi est un jour où les chrétiens sont appelés à faire pénitence tout au long de l’année. Le samedi saint, il n’y a aucune messe jusqu’à la tombée de la nuit. C’est un jour d’attente et de silence.

La joie de Pâques

La vigile pascale, qui commence samedi après la tombée de la nuit, marque le passage du temps de pénitence à la joie de Pâques. Elle débute par le rite du cierge pascal, allumé au feu nouveau et porté jusqu’à l’autel, suivi de la procession des lumières et du chant de l’Exultet. Ce cierge représente le Christ, Lumière du Monde, et sera allumé tout au long du temps pascal.

Vigile pascale Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg 19 avril 2014 credits Claude TRUONG-NGOC (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Suit la liturgie de la Parole, au cours de laquelle sont lus des textes racontant l’histoire du Salut. Puis, après le Gloria et l’Alleluia, retrouvés après une longue absence durant le Carême, viennent les baptêmes des catéchumènes. Si la vigile pascale est choisie pour célébrer les baptêmes des adultes, c’est pour souligner le « caractère pascal » de ce sacrement, qui est participation à la mort et à la résurrection du Christ. La liturgie baptismale est l’occasion pour les fidèles de l’assemblée de renouveler les promesses de leur baptême à voix haute. Après la liturgie baptismale, la messe reprend son cours classiquement.

La messe du dimanche de Pâques fait mémoire de la Résurrection du Christ. C’est une messe joyeuse et solennelle. La joie du jour de Pâques est marquée à cette occasion par les ornements blancs et dorés, symboles de joie et de lumière, et se prolonge toute la journée tandis que les chrétiens fêtent la Résurrection de diverses manières.

 
  1. La graphie « h’ » retranscrit un son qui existe en hébreu mais que le français ne possède pas. Son guttural, il ressemble à la jota espagnole, ou à la manière dont l’allemand prononce « Ach ! ».
  2. « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. » (Luc, 22,15-16)
  3. Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ. Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité. (1 Co 5, 6b-8)
  4. Le calendrier hébraïque est luni-solaire, c’est-à-dire que les douze mois sont réglés sur les phases de la lune, mais que certaines années, un treizième mois est ajouté à l’année, afin de la synchroniser à nouveau avec le cycle des saisons. Jadis réalisé de manière empirique, cet ajout est aujourd’hui réalisé à raison de sept fois dans un cycle de dix-neuf ans, appelé cycle métonien (parce qu’il a été formalisé par l’astronome grec Méton) ; l’idée de ce cycle a été empruntée par les Hébreux durant l’Antiquité.
  5. Pour être exact, la fête dure sept ou huit jours selon les communautés. En terre d’Israël, elle dure sept jours. Mais les rabbins de l’Antiquité ont ajouté un jour supplémentaire à la plupart des fêtes afin de pouvoir être certains d’être à la bonne date même en étant loin de Jérusalem : pour les Juifs orthodoxes de diaspora, la fête dure donc huit jours. Enfin, les courants plus modernistes, apparus à partir des XVIIIe et XIXe siècles, ont justifié le retour à sept jours en diaspora par l’avancée des techniques de mesure du temps, qui suppriment la raison de l’ajout du jour supplémentaire.
  6. Le calcul ne se base pas sur la lune astronomique, qui présente des irrégularités, mais sur une lune fictive. Depuis ce choix, l’année liturgique est régie par un calendrier particulier. Ce calendrier est solaire du premier dimanche de l’Avent au neuvième dimanche avant Pâques – période pendant laquelle les dates des fêtes sont fixes, comme Noël – puis lunaire pendant l’autre partie de l’année – période pendant laquelle les dates des fêtes dépendent de la date de Pâques. De plus, les Églises catholique et orthodoxe ne célèbrent pas Pâques à la même date, l’Église orthodoxe ayant conservé le calendrier julien, alors que l’Église romaine a procédé à une réforme du calendrier : la réforme grégorienne.
  7. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, vous pouvez consulter une haggadah (il en existe des versions bilingues), ou même pourquoi pas le Talmud au traité Pessah’im, qui a pour objet l’ensemble des prescriptions, étapes et symboles présents lors de la fête.
  8. Je laisse la parole à Saint Jean-Paul II, dans une lettre adressée aux prêtres à l’occasion du jeudi saint : « Lorsqu’il dit aux Apôtres: « Faites cela en mémoire de moi ! », il établit les ministres de ce sacrement au sein de l’Église, où, en tout temps, le sacrifice qu’il a offert pour la rédemption du monde doit continuer, être renouvelé et être actualisé, et il ordonne à ces mêmes ministres d’agir – en vertu de leur sacerdoce sacramentel – à sa place « In persona Christi ! ». »

Contrepoints

 

 

 

 

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