Jérusalem: splendeur, destruction et renaissance (1)
adaptation par Jforum 2019
Le Talmud, la Torah orale, relate cette histoire mettant en scène le célèbre rabbin Akiva qui avait soutenu l’une des dernières révoltes juives antiromaines, qui eut lieu 60 ans après la destruction du second Temple, dirigée par Bar Kochba.
Rabbi Akiva, raconta le Talmud, passa un jour avec ses élèves près du Mont du Temple, quand ils aperçurent un renard qui rôdait sur l’emplacement du Saint des Saints.
Les compagnons de Rabbi Akiva fondirent en larmes, mais Rabbi Akiva sourit :
« Pourquoi ris-tu ? » lui demandèrent-ils. « Et pourquoi pleurez-vous ? ». « Nous voyons l’endroit où seul le grand Prêtre avait accès hanté par les renards et nous ne pleurons pas ? » « C’est pour cela, répond Akiva que je ris. Si la menace divine de détruire son sanctuaire s’est bien réalisée, sa promesse de le reconstruire plus beau qu’avant s’accomplira certainement aussi » et les autres de s’écrier « Akiva, tu nous as consolés ».
Cette anecdote contient les thèmes majeurs de l’histoire juive: splendeur, destruction et renaissance.
La Torah évoque plus de 600 fois Yerouchalayim, Jérusalem en hébreu, la ville inoubliable. La première fois[1] il est question de Meltsisédeq, roi de Salem. Le sacrifice d’Isaac a eu lieu sur le mont Moria où fut établi plus tard le Temple de Jérusalem[2]
Le roi David, sous les injonctions du prophète Nathan, remarquant les atouts naturels et stratégiques du lieu, quitta Hébron, où il avait installé sa capitale, pour Jérusalem, après avoir battu les Jébuséens [3].
Salomon fut surtout le bâtisseur du Temple de Jérusalem, la « Maison de Dieu » construite sur le Mont Moriah à côté du palais royal : le bâtiment était somptueux.
Plus de 150 000 ouvriers y travaillèrent pendant sept ans dont les artisans phéniciens connus pour être les plus habiles de leur époque ; on fit venir le bois du Liban, fourni par Hiram le roi de Tyr et l’or d’Ophir.
Le Temple formait un rectangle de 30 mètres de long et 10 mètres de large sur 10 mètres de hauteur, comprenant une grande salle ainsi que le Saint des Saints[8] où était entreposée l’Arche d’alliance qui renfermait les deux tablettes[9] de pierre que Moïse avait reçue de D.ieu sur le mont Sinaï.
Le caractère sacré de Yerouchalayim était surtout lié à la construction du Temple qui recèlait les liens entre le monde humain et le monde divin. Le Beth Hamiqdach, nom attribué auTemple, un bayit en hébreu, était la maison sainte, un foyer, un lieu de cohabitation.
Jérusalem fut appelée pour la première fois la ville choisie par Dieu, le témoin de l’histoire du peuple juif.
L’inauguration du Temple fut célébrée près d’un an après son achèvement lors de la fête de Souccot, fêtes des Cabanes. Dans sa longue prière récitée à cette occasion, le roi Salomon s’interrogea :
« Est-ce que vraiment Dieu habitera sur la terre ? Voilà que le ciel et tous des cieux ne peuvent te contenir, combien moins cette maison que j’ai bâtie ! Tu accueilleras cependant, Eternel, mon Dieu, la prière et les supplications de ton serviteur, tu exauceras la prière fervente qu’il t’adresse en ce jour. »
Le Livre Judée,des Rois[10]mentionne que le roi Salomon aurait entendu alors la réponse de Dieu à sa prière. Dès cet instant, Jérusalem est plus qu’une capitale, elle est déjà en puissance une ville sainte qui attend une reconnaissance universelle, elle renferme la demeure unique du Dieu unique.
Dans la suite de la prière le roi Salomon s’exprima ainsi :
« Et même l’étranger qui n’appartient pas à ton peuple… Toi tu l’écouteras… afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom. Et te craignent comme fait ton peuple Israël, et qu’ils sachent que ce Temple que j’ai bâti porte ton nom. »
Ainsi Jérusalem devint le siège de la présence divine et le symbole de la puissance d’Israël.
Jérusalem devint ainsi de manière indissociable une capitale politique et religieuse où retentissait la voix des prophètes qui s’efforçaient de ramener le peuple vers l’Éternel.
Peu après la mort du roi Salomon, le royaume d’Israël se divisa, Jérusalem n’était plus capitale unique. Les dépenses somptueuses du roi ont vidé le trésor et les caisses de l’état.
Les tribus du Nord refusèrent de participer aux folles dépenses de la cour de Jérusalem. Roboam, héritier de Salomon, fut rapidement contesté. Malgré l’avis de ses conseillers il refusa d’alléger la charge des impôts.
Les tribus du Nord, au nombre de dix, sous la direction de Jéroboam, firent sécession et créèrent le royaume du Nord ; le royaume d’Israël avec Samarie pour capitale. Seules les tribus de Benjamin et de Juda restèrent fidèles à Roboam.
Le fossé entre les deux royaumes était politique : le petit royaume de Juda, autour de Jérusalem, conservait la forme dynastique liée à la famille de David, tandis qu’en Israël le roi devait recevoir l’agrément du conseil des anciens et peut être remplacé s’il ne remplissait pas son devoir.
La distinction entre les deux royaumes était aussi religieuse : les habitants d’Israël furent vite appelés Samaritains qui voulaient une religion plus simple, ceux de Judée, les juifs, restèrent monothéistes et considérèrent les Samaritains comme des païens.
Pendant les trois siècles qui suivirent le schisme, Jérusalem fut capitale du royaume de Juda ou royaume du sud.
Elle était investie par des cultures et des cultes étrangers à cause de certains rois qui laissèrent sévir la corruption, le luxe et l’idolâtrie : les prophètes se dressaient pour dénoncer ces déviations morales.
Certains n’hésitaient pas à comparer Jérusalem à Sodome, détruite pour n’avoir pas su établir des règles de justice sociale.
Seuls les rois Josaphat, Ezéchias et Josias, aidés par les prophètes Isaïe, Michée et Joël luttèrent contre l’idolâtrie et le royaume de Juda connut sous leur règne, des périodes de prospérité et d’apogée culturel.
Isaïe, sous le règne de Ouzia reprocha au peuple son manque de rigueur sociale et religieuse : « Jadis pleine de justice, c’était l’asile de la vertu, et maintenant elle est un repaire d’assassins !…. Sion sera sauvé par la justice, et ses pénitents par la vertu. Impies et coupables s’effondreront ensemble…»
Isaïe prévit déjà le rôle de Jérusalem en tant que centre religieux universel.
Isaïe, par Michel-Ange
Un nouvel empire naquit sur les rives du Tigre et de l’Euphrate ; c’était l’empire assyrien qui devint la puissante dominante dans le vaste Moyen-Orient. Le nouveau roi Achaz tenta de s’assurer les faveurs du nouvel empire : il encouragea le culte des dieux assyriens.
Détail : le roi d’Israël Jéhu agenouillé devant le roi Salmanasar
Son fils, le roi Ezéchias décida de s’opposer à l’influence assyrienne dans le royaume de Juda.
Soutenu par le prophète Isaïe, il purifia le Temple et renforça les remparts de Jérusalem.
Pour assurer la sécurité de la ville en cas de siège, il fit creuser un canal souterrain qui détourna les eaux de la source de Gihon vers l’énorme réservoir de Siloé.
Ce tunnel, long de 533 mètres, constitue une réussite technique exceptionnelle pour l’époque.
Tunnel d’Ezéchias
En -722 le royaume d’Israël tomba sous la domination assyrienne : sa population formée de dix tribus fut déportée dans les régions orientales de la Mésopotamie.
Jérusalem redevint, pour une courte période, le principal centre politique; reçut des réfugiés venant du royaume du Nord et la Ville reprit son expansion géographique.
Les Assyriens tentèrent de s’emparer de Jérusalem ; commandées par Sennachérib, les troupes assyriennes firent le siège de la ville.
Le roi Ezéchias supplia Isaïe d’intercéder auprès de Dieu pour sauver la capitale. Les assiégeants se retirèrent et Jérusalem préserva son indépendance en retrouvant sa puissance commerciale.
Pendant près d’un siècle, les rois de Juda réussirent à vivre en paix grâce à leur position d’état tampon entre les deux puissances rivales : l’Égypte à l’ouest et l’Assyrie à l’est.
A la mort du roi d’Assyrie, Assourbanipal, en 630, de nombreuses guerres civiles éclatèrent dans l’empire et en provoquèrent la chute. En 612 avant l’ère chrétienne, Ninive fut détruite, ce qui causa la fin de la puissance de l’Assyrie.
Quand Josias (639-609 avant l’ère chrétienne) monta sur le trône on assista à un renouveau du service du Temple et par la confirmation de Jérusalem comme seul centre religieux de la nation.
Josias tira parti de la situation pour reconquérir une partie de l’ancien royaume d’Israël, dans le Nord du pays. Mais il connut une fin tragique en – 609, lors d’une bataille contre les Égyptiens.
Les successeurs de Josias ne parvinrent pas à maintenir l’indépendance reconquise. Le peuple nomma alors Joachaz comme roi, mais après trois mois de règne, Neko le déporta en Egypte et imposa un tribut au royaume de Juda.
Neko imposa Joïakim, le royaume de Juda devint alors un état vassal de l’Égypte.
On assista un retour des cultes des idoles. De nouvelles puissances régionales se formèrent : l’empire babylonien commença son expansion. Le royaume de Juda passa sous la domination de la Chaldée.
Profitant des divisions internes au sein de la famille royale : deux partis s’affrontaient, les partisans de l’Égypte et les défenseurs de l’alliance en faveur des Babyloniens. Ces derniers s’emparèrent de Jérusalem, tuèrent le roi et jettèrent son corps par-dessus les remparts de la ville.
En -597, Joïakin monta sur le trône, il futrès vite exilé à Babylone avec la majorité de sa cour : le Temple et le Palais royal furent pillés, l’élite du pays déportée ainsi que certains artisans comme les forgerons et les serruriers.
Les Babyloniens attribuèrent la couronne à Sédécias, oncle du roi, dont ils pensaient qu’il se plierait à leur autorité. Sédécias était le dernier descendant de David à régner sur Jérusalem.
Contrairement aux exhortations de Jérémie, il décida de se lancer dans la rébellion en organisant une ligue des états vassaux de la région.
La coalition montée par Sédécias éclata rapidement et le royaume de Juda se retrouva seul face à la puissance babylonienne.
En 586 avant l’ère chrétienne, le roi babylonien Nabuchodonosor prit la ville après un siège de dix huit mois : le Premier Temple fut détruit le neuvième jour du mois d’Av, les habitants de Jérusalem déportés ; les dirigeants de la nation et une grande partie des artisans, la ville rasée. Cette date fatidique resta gravée jusqu’à ce jour dans la mémoire collective du monde juif.
Dans le texte des Lamentations le prophète Jérémie laissa éclater sa peine :
« Hélas ! Comme elle est assise solitaire, la cité naguère si populeuse ! Elle, si puissante parmi les peuples, ressemble à une veuve ; elle qui était une souveraine parmi les provinces a été rendue tributaire ! Elle pleure amèrement dans la nuit, les larmes inondent ses joues personne ne la console de tous ceux qui l’aimaient ; tous ses amis l’ont trahie, se sont chargés pour elle en ennemis.»
Commença alors le Premier exil. L’exil de Babylone suscita l’aspiration à la délivrance nationale, tels étaient les messages d’espoir et de retour délivrés par les prophètes Ezéchiel et Isaïe. Jérusalem resta une ville morte pendant près de cinquante ans.
Elle étai devenue le symbole de la dispersion. Cette épreuve redoutable fit ressortir la place que Jérusalem occupe désormais dans le cœur des Juifs :
« Au bord des fleuves de Babel (Babylone), nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion, aux saules qui s’y trouvent, nous avions suspendu nos lyres, nos conquérants nous demandaient des chants, nos bourreaux de la joie « chantez-nous des chants de Sion !» Comment chanter le chant du Seigneur sur une terre étrangère ?
« Si je t’oublie, O Jérusalem, que ma droite m’oublie, que ma langue s’attache à mon palais. Si je ne me souviens pas de toi, si je n’élève pas Jérusalem au sommet de ma joie! » (Psaume 137).
(A suivre)
Adaptation par Jforum