Olivier Babeau Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

Olivier Babeau: « Jamais dans notre histoire la vie n’a eu autant de prix »

Par Olivier Babeau 

Chaque semaine, Olivier Babeau décrypte l’air du temps pour FigaroVox. Il est président du think-tank l’Institut Sapiens et, par ailleurs, professeur en sciences de gestion à l’université de Bordeaux. Il a récemment publié Éloge de l’hypocrisie (Éditions du Cerf, 2018).


Si la victoire, comme on le sait, a cent pères, la crise a, elle, mille prophètes. Chaque courant de pensée prétend trouver dans les événements actuels la confirmation de ses théories et l’avènement de ses prédictions. Mais nous ratons le fait vraiment remarquable de l’épidémie.

Chaque courant de pensée prétend trouver dans les événements actuels la confirmation de ses théories.

Les contempteurs du capitalisme ont immédiatement dénoncé ce système qui, en favorisant les échanges, accélère la propagation des miasmes. Les mêmes en ont généralement profité pour tenter une fois de plus d’instruire le procès du libéralisme. Certains, sans craindre le ridicule, y voient un ultimatum de la nature outragée.

L’homme, selon d’autres versions, subirait une sorte de juste punition pour son hubris productiviste. Des responsables religieux font du coronavirus une punition «de la fornication et de l’adultère», voire, comme les témoins de Jéhovah, le début de l’apocalypse.

Les nationalistes jubilent et espèrent une fermeture durable des frontières assortie d’un repli sur soi.

Les représentants de l’État, comme Bruno Le Maire, y voient un appel «à une redéfinition des frontières entre l’État et le marché» dont sait dans quel sens elle ira: toujours plus de réglementations et de décisions confisquées par une technocratie qui ne s’est pourtant pas distinguée par sa capacité à anticiper la crise.

Regardons les faits pourtant, au-delà du terrible effet de loupe qui grossit le drame actuel. Même si elle continue de s’étendre, l’épidémie du COVID-19 n’a rien d’inédit. Elle est même très loin d’égaler en puissance les épisodes dont l’histoire garde la trace.

Le virus de la peste, apparu il y a 20 000 ans, a régulièrement fait d’immenses ravages. À Athènes, au Ve siècle avant notre ère, la moitié des Athéniens, dont Périclès lui-même, trouva la mort. Durant le siège de Constantinople au VIe siècle de notre ère, on enregistrait 10 000 morts par jour. L’empereur Justinien n’y survécut pas. La peste noire au XIVe siècle tua 25 millions de personnes en Europe, soit un habitant sur trois. L’équivalent de deux milliards de morts dans notre monde actuel. La peste, encore elle, supprima plus de 40 % de la population marseillaise en 1720. En 1849, au cœur de la Révolution industrielle, une épidémie de choléra tua 14 000 personnes à Londres. Entre 1918 et 1919, la grippe dite espagnole aurait fait 100 millions de morts. Le coronavirus ne joue pas dans la cour des grands.

Ce qui est nouveau, ce n’est pas la maladie, mais le regard que l’on porte sur elle.

Ce qui est nouveau, ce n’est pas la maladie, mais le regard que l’on porte sur elle. Ou plus exactement, l’importance que prennent les vies perdues à nos yeux. La vie humaine n’a été érigée que très tardivement comme priorité par les civilisations.

Pendant des siècles, le salut de l’âme était par exemple considéré comme un bien plus important que la vie humaine. On sacrifiait volontiers celle-ci en imaginant favoriser celui-là. On n’avait du reste aucun moyen rationnel de lutte contre la maladie. À d’autres moments, on a sans hésiter fait passer la stabilité politique ou la préservation d’une nation avant des millions de vies: c’est le sens des guerres de plus en plus meurtrières qui ont fait rage à partir, mettons, des campagnes napoléoniennes, lorsque la guerre n’a plus concerné seulement les militaires de métier mais tous les hommes en âge de porter les armes. Puis au XXe siècle, avec le nazisme et le communisme, on a assassiné des millions de nos semblables au nom d’un système idéologique.

La vraie bonne nouvelle de la pandémie, c’est que pour la première fois dans l’histoire humaine, la vie est la valeur ultime.  

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