Israël, terre de contrastes…par M-R Hayoun

On l’a souvent dit et répété à satiété: Israël se compose d’une infinie diversité de populations, issues de plus de cent vingt nationalités.

On a aussi expliqué que si le système éducatif est un peu tribal, chaque clan ayant sa propre organisation scolaire où l’accent sera mis sur telle matière plutôt que sur telle autre, l’armée nationale, Tsahal, joue un rôle centripète, c’est-à-dire va vers le centre et se veut unificateur Tsahal est le véritable creuset du pays, il apprend à tous les citoyens à être des Israéliens.

Mais je voudrais examiner ici de très près ce qu’est cette véritable cohabitation, car c’en est une où des juifs venus des quatre coins du globe sont obligés ou simplement désireux de vivre en semble, de fusionner et de réaliser une sorte d’harmonie sociale qui n’a peut-être jamais existé, pas même aux temps les plus anciens, comme par exemple, cette monarchie unifiée, plaçant sous un même sceptre Juda et Israël…

A Natanya, située à moins de trente kilomètres de Tel Aviv, dans une rue appelée rehov Gad Machnès se trouve avant l’hôtel Blue Weiss un autre établissement qui ne désemplit jamais, tant les touristes des contrées les plus lointaines y envoient leurs touristes.

Cet hôtel, l’hôtel résidence, a une spécificité : il abrite au premier étage  un véritable oratoire qui fonctionne tout le temps et où les fidèles des rues adjacentes affluent, au point que le chabbat il est difficile pour les retardataires de trouve une place assise.

A l’occasion du chabbat hatan de M. Jonathan M., j’ai dû fausser compagnie à mes amis british de la New Synagogue, située rehov Macdonald, ce qui ne s’invente pas pour une telle maison de prière, fréquentée majoritairement par des Britannique. Et où l’excellent rabbin, venu d’Afrique du sud, prononce ses sermons dans la langue de Shakespeare…

Eh bien, imaginez, si vous le voulez bien, l’abîme séparant cet oratoire tunisien (pur jus) où règne une joyeuse pagaille et où l’improvisation est la règle alors qu’avec mes bons Britishs tout est réglé comme du papier musique.

Dès hier soir, à l’entrée du chabbat, j’avais été quelque peu intrigué : dès 19 heures, les psaumes du chabbat furent prononcés, ce qui m’a étonné. C’est après avoir prononcé le Lékhou ne ranéna (Allons, chantons les louanges..) que l’on revint vers le Cantique des Cantiques dont les différents chapitres furent lus dans une mélodie typiquement orientale, proche parfois de la voix de la chanteuse égyptienne Oum Kaltoum… C’est dire s’il y avait un peu de contraste. Mes Britishs se seraient ailleurs que dans une synagogue…

Mais la suite ne l’était guère moins : un octogénaire tunisien, à la voie tonitruante a pris la parole pour donner connaissance de la suite des opérations.

Je n’avais encore jamais vu cela, pas même à Paris intra muros (mais peut-être que cela se fait en banlieue..) Il annonce d’une voix de stentor qu’il y a trois événements ce chabbat : une circoncision, une bar mitswa et un mariage et conclut ainsi : nous avons avec ces trois choses un véritable complet poisson… Ce qui m’a rappelé les plats que je dévorais chez Azar, rue Richer, quand j’étais jeune étudiant à Paris.

Mais le meilleur était à venir le lendemain. Instruit par l’expérience de la veille, je me suis réveillé assez tôt pour être in situ vers 8h30, ce qui est un record pour votre serviteur.

Et là encore, ce fut un festival de musique orientale : mes Britishs étaient bien loin, non pas géographiquement mais au plan culturel et civilisationnel. Je fermais les yeux pour me transporter par la pensée rue Mac Donald… Mais les trémolos dans la voix des chanteurs me ramenaient à la réalité…

Je notais que les membres du comité se répartissaient les rôles et que rien ne pouvait se faire sans leur bruyant accord. Quelle vie !

L’un d’entre eux qui me connaissait par les émissions avec Josy sur France 2, ancien pharmacien à Paris XVIe, m’indiqua son âge, quatre-vingts ans et sa belle allure. L’autre, le plus vivace devait être de la même génération. Il maîtrise bien l’hébreu moderne et il n’a pas oublié son français.

Dans mes rêveries d’évasion, j’imaginais ce qui devait se passer chez mes bons Britishs au même moment : un ministre officiant récite les Psaumes, pas un bruit dans la vaste salle de prière, sept montées régulières à la Tora, pas une de plus alors qu’ici règne plutôt une certaine inflation.

Et durant tout ce temps l’heure avance. Chaque appelé à la Tora se voit gratifié de toutes bénédictions de la Terre.

Je n’y ai pas échappé mais cela tombait bien, j’aime les bénédictions et y crois. Mais toutes ces manifestations de vie et de bonheur prennent du temps, ce qui fait que le personnel, chargé de nous servir un petit déjeuner- apéritif, ne nous voyant pas venir, a plié bagage et nous a laissés sans nos joyeuses agapes.

Avant la fin de l’office religieux, j’observe deux adolescents israéliens qui sont pliés de rire en suivant ce qui se passe dans l’oratoire et le vainqueur à l’applaudimètre, si j’ose dire, n’est autre que notre homme à la voix tonitruante, spécimen grandeur nature du Tunisien authentique.

Rien de tout cela chez mes Britishs qui, quoiqu’il arrive, achèvent leurs oraisons à 10h30. C’est alors que nous croisons les jolis chapeaux des élégantes qui se dirigent dignement vers la salle du Kiddoush où l‘anglais dépasse et de loin l’hébreu ou le français.

Ceux qui me connaissent savent que je suis un nègre blanc, un séfarade passé à la moulinette ashkénaze, et ce depuis mon époque de lycéen à l’école Maimonide, à Boulogne sur Seine.

Même si mon esprit me conduit à suivre mes bons Britishs, j’avoue que cette joyeuse pagaille tunisienne est synonyme de vie, avec un certain désordre mais la vie n’est elle pas désordre, improvisation, imprévus et humour ?

Certes, oui. Mais peut on s’accommoder de tout cela tout le temps ? J’avoue que j’en doute.

Mais une chose est sûre et certaine: le premier défi qu’Israël doit relever, est celui de l’harmonisation de toutes ces tribus. En hébreu, mizzug galouyot…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

1 Voir Maurice-Ruben Hayoun, La liturgie juive, PUF, Que sais-je ? 2001.

 

 

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Élie de Paris

Cher maître, ces synagogues ont toujours cours en France, à Paris, Sarcelles, Marseille etc où se retrouvent les rescapés /dépouillés du Maghreb hébraïque, et où les shabbath et jours de fête dont les occasions d’ « exubérer », sorte de conjuration pour ceux qui sortent d’un millénaire de dhimitude…
Pareil pour ceux installés en terre consacrée, celle-là bénéficiant encore plus de cette euphorie !
Nos plus grand Sages, en commentant dans la Mishnah et le Talmud, disaient depuis Bagdad « la Palestine » en parlant de la Terre d’Ysraël.
Exil, quand tu nous tient.
Aujourd’hui, le plus assimilé des Juifs, même un « porteur d’eau », dira Ysraël, en parlant de sa patrie…
La Joie est un fondement de la pensée juive.
Certains l’appelèrent Espoir, même au seuil des chambres à gaz. C’est que, pour nous autres, la mort définitive nous est idée étrangère…