Je viens de mettre cet article à la disposition de tous pour inviter à réfléchir sur le véritable rapport de force dans la région, surtout en ce qui concerne l’Iran des mollahs. Ceci est d’autant plus d’actualité que les rumeurs grandissent sur l’intensification de l’ingérence iranienne en Syrie. 

Quel est l’état actuel du régime iranien ?

Est-il vraiment devenu plus stable en obtenant une certaine reconnaissance diplomatique internationale, ou est-il au contraire devenu plus fragile ?

Pour répondre à cette question, il faut évaluer le régime sur ses piliers. Depuis sa création la prétendue « république » islamique s’est préservée en se fondant sur la répression intérieure et sur l’exportation de la révolution – sous-entendu le fondamentalisme islamique – à l’extérieur. Le projet d’acquisition de l’arme atomique au coût faramineux et aux conséquences économiques graves devait venir asseoir l’influence du régime dans le rapport de force régional et international. Ce projet vient d’encaisser un coup dur suite à l’accord nucléaire avec les P5+1.

Quelles que soient les faiblesses de l’accord et les modalités de son application, il s’agit d’un revers pour le système et tout particulièrement pour son guide suprême. Après des années de publicité sur le caractère inaliénable de ce programme, le régime est contraint, sous les effets des sanctions, d’accepter de geler sa quête de la bombe.

Mais il faudrait pouvoir lire entre les lignes. Un expert, cité par Libération, précisait que l’accord s’était transformé, passant « d’un accord cherchant à régler le problème nucléaire iranien à un accord le retardant. Tout en faisant le pari que d’ici dix ans l’équation politique en Iran aura changé. » Camille Grand, le président de la Fondation de Recherche Stratégique, insiste quant à lui sur le fait que « l’accord ne résout que partiellement la question sur dix ans. L’idée est que cela permette de réinsérer l’Iran dans la communauté internationale, ce qui entraînerait sa transformation, et que dans dix ans le pays ne soit plus le même ». Les puissances font donc le pari que dans dix ans, le même régime ne sera plus en place. Dans le cas contraire, elles devraient composer au bout de ce délai avec un régime fondamentaliste, qui de plus sera doté d’une bombe atomique obtenue en toute légalité.

L’aval de Khamenei

Khamenei avait donné son feu vert pour les négociations, en raison des pressions croissantes sur le régime résultant de l’application des sanctions internationales. Il craignait que les conséquences de l’affaiblissement économique n’entraînent une situation insurrectionnelle plus redoutable qu’en 2009. Rohani, d’ailleurs, partage cette crainte.

De ce fait, il est incontestable que si les interlocuteurs occidentaux du régime avaient été plus fermes dans leur approche, ils auraient pu obtenir un bien meilleur « deal », qui aurait bloqué toutes les voies vers l’acquisition de la bombe. Affaibli par les sanctions, le régime en signant l’accord s’expose à l’intérieur, met à nu ses faiblesses, et surtout, se prive des slogans fondamentaux de sa propagande officielle.

C’est un risque énorme, sachant que les dépenses dans ce projet nucléaire s’évaluent à 300 milliards de dollars. Surtout, il ne pourra plus mettre le marasme économique sur le compte des sanctions disparues. D’ailleurs, celles-ci ne constituaient qu’un facteur aggravant, et n’étaient pas la cause du délabrement économique, qui est dû à des dysfonctionnements structurels, et notamment à la mainmise des Gardiens de la Révolution et des fondations religieuses sur l’essentiel de l’économie, accompagnés d’une corruption généralisée. Entre 2005 et 2013, plus de 700 milliards de dollars en revenus pétroliers et 300 milliards de dollars d’autres revenus n’ont eu aucun effet pour atténuer les crises du régime. Ce dernier a donc été incapable d’inverser la courbe malgré des recettes pétrolières sans précédent en Iran depuis plus d’un siècle.

Ce ne seront pas les avoir débloqués à l’étranger qui vont sauver cette économie malade, d’autant plus que, selon les aveux du régime et de son directeur de la banque centrale, il ne s’agit pas de 120 milliards de dollars d’argent libéré, mais de seulement 29 milliards.

L’instabilité de la situation à l’intérieure

La population attend des changements rapides et ceux-ci n’arrivent pas, d’où une multiplication de mouvement de revendications sociales. La persistance du gouvernement Rohani dans le recours à des méthodes répressives, le maintien du rythme infernal des exécutions, démontrent que les clans du régime s’accordent à maintenir un climat de terreur pour empêcher une explosion sociale. Malgré cela, les manifestations de protestation se multiplient.

L’échec stratégique du régime dans la région

Un argument souvent mis en avant par les chancelleries ou les médias consiste à dire que le régime iranien pourra jouer un rôle stabilisateur dans la région. Ceci a d’ailleurs été un des arguments servant à justifier le manque de fermeté de l’administration américaine dans les négociations. Ce ne fut pas la seule raison. L’approche de l’échéance électorale aux Etats-Unis a dû peser sur les choix de Washington. Certains ne sont pas aussi optimistes et prévoient que l’argent récupéré par le dégel sera dépensé dans les aventures régionalesCela nous ramène à l’autre pilier du régime : que va-t-il advenir de l’exportation de la révolution ? 

L’on peut poser la question autrement : quel est le poids actuel du régime iranien dans la région ?

Il y a une grave erreur d’appréciation à ce sujet. Le régime a bénéficié de la guerre américaine en Irak, a plongé l’Irak dans le sectarisme, avec Maliki et les milices chiites ; il a soutenu à fond le régime d’Assad, le poussant à composer avec Daech pour écraser l’opposition, il a déclenché une guerre au Yémen. Depuis toujours, il est la cause du problème et non la solution. Mais sur ce terrain aussi, nous constatons que l’époque des revers dangereux a commencé pour les mollahs.

D’abord en Irak, depuis la mise à l’écart du premier ministre irakien Nouri al-Maliki. Ce dernier  incarnait depuis huit ans le plus important investissement du régime iranien dans toute la région. Pour contrer cette défaite stratégique, le régime a procédé au renforcement de ses milices en Irak. Téhéran a utilisé la lutte contre Daech pour exhiber son général Qassem Soleimani, commandant de la Force Qods, afin de s’affirmer comme la force dominante dans ce pays.

Les échecs endossés face à Daech par les milices chiites derrière les portes de Ramadi, dans la province d’Anbar en territoire sunnite, doivent pousser à la réflexion sur le bien-fondé d’une stratégie d’alliance avec Téhéran. La milice chiite, aussi cruelle que Daech, ne pourra endosser le rôle de sauveur, puisqu’au contraire elle renforce Daech. Ajoutons à cela les récentes manifestations populaires contre la corruption en zones chiites, qui visent surtout la gouvernance de Maliki, réclament l’éviction du régime iranien du pays, et rendent l’influence iranienne en Irak encore plus fragile.

Le tableau en Syrie ne semble guère plus encourageant. Malgré des investissements importants pour consolider le régime d’Assad, les mollahs de Téhéran ont été incapables de faire pencher la balance en faveur du dictateur syrien. Ce dernier a considérablement faibli au cours des derniers mois sur le plan militaire, au point que même la Russie est obligée, à visage découvert, de dépêcher des troupes pour compenser l’affaiblissement de l’axe militaire composé jusque-là de l’armée syrienne, des Gardiens de la Révolution et du Hezbollah. La prétendue offensive diplomatique de la Russie et de l’Iran à l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York semble avoir fait pschitt !

Un autre coup sérieux à la politique régionale de Téhéran est survenu au Yémen. Au beau milieu de la dernière phase des négociations nucléaires, et dans un geste mal calculé, Khamenei a orchestré un coup d’Etat au Yémen par le biais de ses mandataires, les milices Houthis. L’impact de cette bévue a empiré avec l’offensive lancée par les milices pour occuper Aden, le port stratégique du sud du Yémen, donnant accès au détroit de Bab el-Mandab. Cette opération était en substance un moyen envisagé par Khamenei pour extraire un maximum de concessions dans la dernière étape des négociations nucléaires. Cependant, la réaction rapide du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a fait basculer l’équilibre au détriment du régime iranien. D’après une note confidentielle préparée pour Khamenei, le régime a été particulièrement surpris par cette réaction. 

L’implication du régime iranien dans trois conflits extérieurs (la Syrie, le Yémen et l’Irak) à travers la Force Qods et ses mandataires, et ses défaites sur ces trois champs de bataille, aggravent les fissures internes. Un nombre croissant de chefs et de hauts gradés de la FQ sont tués en Irak et en Syrie, suscitant des doutes et des questions sur la stratégie poursuivie jusque dans les rangs du Corps des Gardiens de la Révolution (pasdarans). Lorsque l’un des plus hauts commandants de la FQ a été tué en Irak en décembre 2014, Ali Chamkhani, le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale (CSSN) a déclaré: « Ceux qui font des commérages demandent pourquoi nous intervenons en Irak ou en Syrie ? La réponse est claire. Si nos officiers ne donnent pas leur sang en Irak, c’est que nous devons donner notre sang à Téhéran, en Azerbaïdjan, à Chiraz et Ispahan », une évocation à peine voilée des craintes d’une insurrection. Bien que le mécontentement augmente, Khamenei ne semble pas décidé à reculer aussi sur ce terrain ; il a lui-même déclaré le 18 juillet, en des termes sans équivoque : « Nous ne permettrons à personne de mettre au défi les principes du système islamique… nous ne renoncerons pas au soutien de nos amis dans la région… ».

La situation globale du régime et la perspective de changement

La communauté internationale peut toutefois permettre au régime de surmonter ses crises par le renforcement des relations commerciales, en fermant les yeux sur les violations des droits de l’homme qu’il commet à l’intérieur du pays, ou en ignorant son rôle destructeur et déstabilisateur dans la région ; mais elle se place alors dans une situation catastrophique qui dans dix ans sera irréversible.

Elle peut, au contraire, réellement miser sur un changement de régime. Pour certain, le changement est une transformation de l’intérieur du système, une sorte de réforme. Or, une véritable réforme demande des engagements sur des terrains intérieurs et régionaux que le régime n’est pas prêt à prendre. L’objectif de Rafsandjani, de Rohani ou du Guide suprême est unique : préserver coûte que coûte la survie du régime, et leurs divergences ne sont que tactiques.

Une réforme limiterait forcément l’autorité du Guide suprême – déjà largement atteint – et conduirait donc inévitablement à un changement de régime. Les uns comme les autres n’oublient pas l’expérience de la fin du règne du Chah, quand des réformes tardives et l’abandon de la répression ont mis la fragilité du régime au grand jour au lieu de garantir la pérennité du système. La population en a profité pour renverser de la dictature du Chah. Ce même scénario a failli se reproduire en 2009, et le régime a frôlé le pire. C’est le cauchemar des autorités  aujourd’hui, qui dicte leur comportement actuel. Le risque est que la lutte au sommet ouvre une brèche pour l’expression de la grogne sociale, suivie de conséquences néfastes pour la survie du régime. Jusqu’à quand le régime pourra-t-il éviter le déclic qui déclenchera l’irréversible ?

Au bout du compte, réforme ou révolution mèneront au même résultat : le renversement de ce régime. Dans ces conditions, le rôle de la Résistance va, plus que jamais, devenir décisif, puisqu’elle incarne le véritable changement auquel aspire la grande majorité des Iraniens. Si le monde ne veut pas être plongé dans dix ans dans un dilemme insoluble, alors il devrait choisir cette option. 

La responsabilité de l’Iran dans le drame des migrants syriens

La guerre en Syrie apporte chaque jour son lot de drames et son flot de réfugiés qui fuient le carnage et la dévastation. Si l’inaction de la communauté internationale a été déplorée lors des attaques à l’arme chimique de Bachar Assad contre sa population, c’est le renoncement à contrer l’Iran, principal allié du régime syrien, qui est la faute la plus grave.

Il n’est pas inutile de rappeler que la rebuffade américaine, malgré la violation par Assad de la ligne rouge du recours à l’arme chimique en 2013, fut influencée par la proposition de négociation sur le programme nucléaire iranien. L’inaction américaine en Syrie fut un préalable marchandé par l’Iran des mollahs. Le guide suprême iranien sauvait ainsi son allié d’un effondrement certain. Sans l’Iran des mollahs, le régime syrien n’aurait pas survécu aux premières années de l’insurrection.

Depuis 2011, les bombardements de Bachar Al-Assad ou les exactions de Daech ont tué 250 000 personnes et fait fuir 4,3 millions, c’est-à-dire un cinquième de la population syrienne, et 8 millions sont des déplacés de l’intérieur. Les chancelleries occidentales mettent régulièrement en garde sur la nécessité de trouver une solution à la crise des migrants qui vivent depuis quatre ans dans des conditions difficiles et insalubres dans des camps répartis dans les pays limitrophes – Turquie, Liban, Jordanie et les quelques 300 000 qui sont arrivés en Europe.

S’il est urgent de trouver une solution à la crise des migrants, il faut aussi revenir à la racine du mal. Le soutien sans faille de l’Iran à Bachar Assad, au lendemain du « printemps arabe », a poussé le dictateur syrien à réponde aux revendications des manifestants qui réclamaient plus de démocratie, par des balles. Les opposants, acculés par la répression ont dû prendre les armes contre la dictature et ont très vite marqué des points. Après que les Tunisiens, les Egyptiens et d’autres peuples de la région ont vu fuir leur dictateur, beaucoup avaient espéré qu’Assad les suivrait dans la poubelle de l’histoire.

Mais ce dernier a survécu à la fronde généralisée grâce au soutien massif et indéfectible du régime iranien et de ses pasdaran en plus du soutien de la Russie.

Pour sa part, la communauté internationale a non seulement hésité à aider la résistance syrienne dans son combat si crucial, mais a aussi renoncé à contrer l’ingérence iranienne et ses agents libanais du Hezbollah. Cette hésitation a offert à Assad le temps qui lui était nécessaire. La stratégie de Bachar Assad et de son mentor iranien représenté par les Gardiens de la révolution a été de jouer la carte des extrémistes contre les opposants modérés. Vider les prisons des djihadistes en puissance en les mettant en liberté pour renforcer les extrémistes syriens fut un scénario efficace, réalisé dans l’antichambre du QG commun des pasdarans et de l’armée syrienne.  Le répit accordé à Assad a eu pour conséquence l’émergence de Daech et de son « califat islamiste », devenu aujourd’hui une crise inextricable pour l’ensemble de la communauté internationale. Nous ne devons pas oublier que la guerre menée par les Etats-Unis en Irak a offert ce pays sur un plateau d’argent à l’Iran Khomeyniste. La politique sectaire de l’homme de main de l’Iran, le premier ministre Nouri Al-Maleki a ensuite préparé le terrain à la création de l’embryon de Daech.

Les autorités iraniennes, syriennes ou irakiennes ont joué un rôle direct, dans l’apparition de ce Golem, en réprimant cruellement les populations sunnites, en évitant de confronter ce mal, en favorisant même son développement afin d’en faire un épouvantail pour la communauté internationale et l’amener à renoncer au renversement d’Assad.

Aujourd’hui en voulant associer Assad ou le régime iranien au règlement du problème de Daech, nous risquons d’assister à un enchainement d’erreurs menant le monde vers une terrible catastrophe.

Les méfaits du régime iranien dans la région sont innombrables, Liban, Bahrein, Syrie, Yémen partout l’Iran apparait comme l’élément déstabilisateur… La faiblesse de la communauté internationale à contrer la source du fléau, contribue à l’impasse. Il y a une urgence à gérer les conséquences sociales des conflits du Moyen-Orient. Mais l’émotion créée par le drame des migrants syriens ou irakiens doit aussi nous rappeler la racine du problème et inciter à se focaliser sur l’éradication des facteurs qui ont engendré Daech : en premier l’ingérence néfaste de l’Etat islamiste d’Iran dans l’ensemble de cette région depuis l’avènement de Khomeiny.

PAR AFCHINE ALAVI

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