Jacob Rogozinski, Inhospitalité, Le Cerf, 2024

Voici un vibrant plaidoyer en faveur de l’accueil des migrants et des réfugiées, en général, en quête d’un havre de paix, de sécurité et peut être même de prospérité ; mais les arguments développés en faveur d’un accueil sans limite aucune affaiblit leur vigueur. Malheureusement, ce sont des arguments qui méconnaissent la réalité, non seulement des régimes européens mais aussi des replis intimes de l’âme humaine.

S’il en était autrement, on ne comprendrait pas pourquoi les partis extrémistes sont en progression constante, ceux là même qui réclament le rejet des étrangers et des migrants de toute provenance. Évidemment, ne sont touchés par cette exclusive que les migrants issus de pays non européens. C’est là tout le problème, qu’on le reconnaisse ou non. D’où l’inutilité de développer de belles constructions, si l’on persiste à ignorer de tels arguments: c’est ce qui fait croire ,à tort ou à raison, que les non judéo-chrétiens poseraient plus de problèmes que les autres..

Je rejoins tout à fait l’auteur et ses idées généreuses, altruistes, politiquement et éthiquement correctes, mais cela n’explique pas la réalité sur le terrain: j’en veux pour preuve le résultat de la quasi totalité des sondages : l’Europe, dans son ensemble, ne veut plus de migrants. Ce résultat est légitime mais il viole les fondements spirituels de la culture européenne, fondées sur la Bible. Or, il ne faut pas, que sur cette question fondamentale, l Europe politique s’écarte de ses principes spirituels. Et l’accueil de l’étranger en fait partie.

L’histoire biblique, même s’il ne s’agit que d’une lecture théologique de cette histoire, commence avec un célèbre migrant, fondateur du monothéisme éthique, le patriarche Abraham. Son comportement est typique du comportement de celui qui est constamment de passage, entre deux destinations, qui ne se sent chez lui nulle part. Quand il s’adresse aux autochtones il utilise le vocable hébraïque suivant : guer we-toshav anoih immaakhém (je ne suis que de passage parmi vous.) On pourra dire qu’Abraham est le migrant parfait, celui qui n’est animé d’araucan esprit de conquête En somme, il reconnait l’autorité, la souveraineté de natifs dans leur propre pays, ce qui n’est pas toujours le cas dans le phénomène migrant actuel…

L’auteur regarde ce qui se passe chez Derrida et, dans le prolongement de celui-ci, chez Levinas. On connait l’excessif désir d’assumer le prochain, l’Autre chez Levinas, d’ailleurs même son collègue et ami Paul Ricoeur jugeait cette prise de responsabilité universelle, illimitée, trop excessive.

Voici un passage de Derrida qui illustre bien l’attitude face à la question de l’étranger, du migrant :

De la même façon qu’il faut donner au-dessus de ce que l’on a , il faut donner au-delà de ce que l’on est ; se laisser transformer (…) au point que la réappropriation de mon être ne soit plus assurée et donc au point que je puisse être mis en danger. Le risque le plus gave touche à ma propre identité.

C’est aller trop loin,  on ne veut pas qu’un tel comportement pousse le simple citoyen à’ en arriver là..

La position des philosophes sur cette question vitale -accueillir ou ne pas accueillir l’étranger- ne laisse pas d’être intéressante. Ici, après Derrida et Levinas, c’est le point de vue de Kant qui est analysé. Je laisse de côté l’adage de Péguy sur le kantisme et son éloignement de la concrétisation des principes au sein du corps social, je m’arrête sur cette conception d’une cosmopolis, une approche à l’échelle du monde qui ne plaide pas en faveur de l’abolition des frontières mais prône plutôt une sorte de fédération d’états ou de pays. Voici ce qu’il dit : cette cosmopolis est l’idée la plus sublime que l’homme puisse avoir de sa destination et l’on ne peut se la représenter sans enthousiasme…

Kant définit l’hospitalité ainsi: le droit qu’a tout étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive. Si elle avait été appliquée dans le monde, cette définition aurait alors épargné à l’humanité bien des souffrances. Y compris de nos jours. Elle signifierait que le nouveau venu ne représente aucun danger pour ceux qu’il veut rejoindre. Mais là encore, il ne faut pas se méprendre sur la nature de l’âme humaine.

Dans ce contexte, il faut se pencher sérieusement dur la communauté des valeurs plus que sur la communauté de destin (Schicksalsgemeinrchaft). J’ai souvenir d’un prêtre libanais qui établissait trois valeurs fondamentales permettant à des membres d’ethnies différentes de vivre ensemble (ta’ayous) : l’égalité parfaite entre les hommes et les femmes, le rejet de tout exclusivisme religieux et enfin, la chose la plus dure, la critique textuelle des livres saints, les documents de la Révélation. Si l’on parvient, disait ce prêtre maronite,, à une entente sur ces trois points cruciaux, le vivre ensemble devient une réalité quotidienne éradiquant toute guerre et toute persécution religieuse: le paradis sur terre.

Le chapitre le plus long du présent ouvrage est consacré à la dé-construction de la nation. Déconstruire n’est pas détruire, bien que la frontière entre les deux actions soit assez ténue. Philologiquement et même historiquement parlant, la notion de nation est une construction, un amalgame de bien des choses de provenance différente. Mais cette construction peut être dissoute et donner naissance à des éléments constitutifs ; je dirais une désagrégation dans le sen que cette agrégation ou cette cristallisation aurait pu intégrer d’autres éléments que ceux auxquels nous avons affaire ici. On peut aussi parler d’une assimilation, d’un assemblage. Mais le problème est qu’aucune souveraineté nationale (je dis bien nationale) n’a pu présider à cette union. En fait, cette notion de déconstruction signifie que là où s’est opérée une fermeture, d’autres esprits favorisent l’idée d’une ouverture.

Et là, je suis ce que dit l’auteur, en résumant la position d’Ernest Renan sur la notion de nation. C’est ce que j’ai développé en 2012 dans mon livre, Renan, la Bible et les juifs (Paris, Arleéa, 2012). On peut intégrer l’Autre, mais moi j’aoute que cela n’est possible que si cette altérité est une voie à double sens : aucune nation ne se laissera déposséder de ce qu’elle considère son patrimoine national. Son roman national, ses grandes dates nationales et ses personnages les plus emblématiques. C’est là un suicide national auquel aucune ethnie ne voudra procéder de sa propre volonté.

Je ne reste pas insensible en lisant les développements tirés du vécu personnel de l’auteur ou de sa famille proche, face à une France que nous aimons pour sa généricité et son amour de l’universel. Mais on voit que la roue tourne : des idées que l’on croyait disparues à tout jamais, émergent à nouveau et régentent de plus en plus d’esprits. Ce qui veut dire que la dé-construction de l’idée de nation n’est pas pour demain.

Ce petit ouvrage aborde nombre de questions parmi les plus difficiles. La meilleure attitude me semble être celle du philosophe allemand Kant dont le criticisme n’a été à considéré à sa valeur que par le juif Salomon Maimon (1752-1800). En effet, dans sa correspondance officielle, Kant a rendu hommage à ce lecteur pénétrant que fut Maimon dans son Essai de philosophie transcendentale .

Je parle ici du cas allemand car les juifs n’y ont acquis leurs droits de citoyens qu’assez tardivement. Et la définition de Kant selon lequel l’étranger ne doit pas être considéré comme un ennemi me convient parfaitement. Or, de l’autre côté du Rhin, les juifs ont dû batailler longtemps pour être enfin admis. Cette inhospitalité avait pour origine leur foi religieuse, différente de celle des autres….

Pour finir, je cite deux courts passages qui me semblent bien résumer cet instructif ouvrage :

Il se confirme que le sort de la démocratie dépend en grande partie de l’hospitalité envers les étrangers…. (…) Pour rendre la démocratie plus hospitalière, il s’agit d’inventer de nouvelles institutions, destinées à accueillir réfugiés et migrants, à les intégrer, sans chercher à effacer leurs différences.

La quadrature du cercle…

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *

Le 30 mai à 19heures, mairie du XVIe arrondissement, salle des mariages, sur le thème suivant:
André Chouraqui, un champion du dialogue interreligieux
Le 4 juin  à 19heures, mairie du XVIe arrondissement, salle des mariages, sur le thème suivant:
Maimonide et Averroès face à leurs traditions religieuses respectives

Entrée libre. Salle des mariages.

Pour tout renseignement contacter hayoun.raymonde@wanadoo.fr ou le 0611342874

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