Hegel, Histoire de la philosophie
(Gallimard): Ce qui sépare la religion de la philosophie

Maurice-Ruben Hayoun le 18.10.2020

Comme on l’a déjà dit dans le premier article sur Hegel, historien de la philosophie, les pages consacrées à l’essence particulière de ce qu’il faut bien appeler la vérité religieuse sont d’une grande densité.

Les deux branches de l’intellect ou de l’âme de l’homme se rejoignent sur bien des points mais n’ont pas la même approche des choses.

Hegel insiste sur la spécificité de la forme , la seule à permettre à l’esprit humain de saisir certaines vérités. A défaut, notre âme ne saisira pas le sens développé par la religion.

Les philosophèmes sont appréhendés correctement lorsque notre mode de réception est le plus adéquat. D’où l’interprétation de la notion de comprendre. Il faut qu’il y ait une sorte d’affinité entre la substance de l’objet et l’organe récepteur.

Afin de rendre cela plus clair, il faut dire ce que signifie comprendre, Pour cela… le fondement substantiel du contenu est nécessaire qui, en se présentant à l’esprit comme son essence absolue, atteint son for intérieur y trouve un écho et en reçoit le témoignage..

Et Hegel de préciser : c’est là la première condition absolue de la compréhension ; ce qui ne s’y trouve pas en soi, ne peut pénétrer en elle, être, être pour elle ; … ces formes sont pour la conscience, courantes et habituelles ; c’est la condition générale du fini, condition qu’elle s’est assimilée et dont elle se fait le moyen général de sa représentation ; tout ce qui lui parvient doit y être ramené pour pouvoir s’y posséder et s’y reconnaître soi-même.

Partant, les catégories de nature religieuse sont les seules à pouvoir saisir et assimiler ce genre de choses (connaissances ?) car l’âme est dotée de la méthode requise pour les recevoir, les comprendre et les assimiler à sa propre substance.

Hegel s’en réfère à l’Antiquité grecque mais aussi à la Bible, notamment aux prophètes, qui se sont servis des anthropomorphismes pour désigner ce qu’ils voulaient transmettre. Hegel parle des lions et des taureaux qui auraient fait ce que les hommes avec leurs mains ont fait, s’ils en avaient été pourvus … Ce qui signifie que dans une façon de voir il y a toujours une façons d’être.

Mais par delà cette évidence, il faut reconnaître que l’humanité a recouru aux images avant d’en venir à la pensée. Hegel utilise l’expression usuelle allemand, le penser et le sentir, das Denken und Fühlen.

Lorsque les prophètes, hommes de religion, perçoivent Dieu dans une sorte d’aperception, ils doivent, pour se faire comprendre de l’humanité simple et peu formée à l’abstraction, utiliser des images, faciles à décoder par le out venant. S’ils avaient tenu un discours rigoureusement philosophique, nul n’aurait compris leur message.

Hegel qui a reçu une éducation religieuse achevée, se rapproche, inconsciemment peut-être, de l’exégèse rabbinique selon laquelle la Tora s’est exprimée dans le langage des hommes. Or, c’est nécessairement un langage imagé représentant Dieu comme un roi assis sur un trône. C’est l’anthropomorphisme par excellence puisque dans la hiérarchie humaine, c’est le roi qui est au-dessus de tout. Que ce soit Isaïe, Jérémie ou Ezéchiel, tous les prophètes sacrifient à ce rite.

Le talmud lui-même, dans son exégèse du récit de la création a tenu à préciser que ce secret de la Création est incommunicable à des êtres de chair et de sang. Pourtant, il a bien fallu en donner une petite idée au vulgaire.

D’où le récit de la création dans le premier chapitre du livre de la Genèse. Et le talmud spécifie que c’est là un récit obscur. Qu’il convient d’interpréter, si on en a les moyens. Là aussi, on sent une adéquation entre la matière à communiquer et les modalités de la réception. On a besoin d’une forme commune, commune aux deux.

Hegel est plus disert quand il évoque les mythes présents dans les dialogues platoniciens ; le recours au mythe a permis une compréhension plus rapide, une forme qui n’exigeait pas des connaissances préalables pour aboutir à une compréhension totale.

Mais ce recours à la mythologie n’a pas été unanimement accepté. Certains y ont vu une sorte de dévoiement de la philosophie.. Et Hegel souligne bien que Platon n’a pas cherché à présenter la mythologie comme faisant partie de la philosophie : il a simplement voulu faciliter la compréhension de sa philosophie.

Hegel s’arrête un instant sur les symboles et les mythes de la franc-maçonnerie. Mais il ne semble pas vraiment convaincu de la richesse de son contenu. Il explique aussi qu’il convient de dissocier le mythe de sa signification alors que la pensée permet, elle, d’extraire le concept des choses.

Et la pensée constitue un tout, il n’y a pas une enveloppe qui voile l’essence de l’objet. Et c’est bien la pensée qui permet d’accéder à l’Idée (avec un I majuscule).

On trouve dans les deux Testaments, l’Ancien et Nouveau une sorte d’intuition générale de l’adoration de Dieu à travers les biens de la nature (notamment, ajoute Hegel, dans le livre de Job qui passe au crible les phénomènes naturels dans leur ensemble) ; mais ce n’est pas encore l’apogée de la pensée.

Mais cette vision de Dieu dans l’âme pieuse est tout autre chose que l’intelligent regard pénétrant de la nature de l’esprit. Il n’y est pas question de philosophie, de l’essence divine pensée, reconnue, car précisé»ment cette intuition , ce sentiment, cette foi, est ce en quoi se différencie la pensée… Penser, c’est l’esprit rentrant en soi, ce dont il a l’intuition, il doit en faire un objet. ; il doit se recueillir en lui-même, et ainsi se séparer de lui-même.

Dans le monde de l’esprit et de la philosophie, lès choses avancent lentement. Comme l’Idée est un peu la représentante de Dieu sur terre, Hegel cite un verset des Psaumes (Car, à tes yeux, mille ans passent comme passe un jour qui devient hier) et commente en disant qu’en philosophie, les choses ne poussent pas comme des champignons.

La philosophie est le résultat de siècles d’activités intellectuelles. Dans a quête de l’évolution de la pensée humaine, Hegel signale que l’homme est né libre. Et que cette liberté, même si elle n’a pas toujours été prise en compte, n’en demeure pas moins l’indispensable postulat de la pensée. Mais il reconnaît que la vie humaine est limitée.

Ce qui lui fait écrire cette phrase : Qui n’est mort avant d’être parvenu à ses fins.
Toute œuvre humaine est nécessairement demeurée inachevée.  (A suivre)

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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