Élisabeth de Lambilly, Moi, l’âne de Jérusalem. Récit. Le Cerf, 2023.

Moi, l'âne de Jérusalem d' Elisabeth de Lambilly - Les Editions du cerf

Quelle belle initiative ! Il suffisait d’y penser et l’auteure, habituée à parler aux enfants, nous offre un récit dit par un âne ou une ânesse, mais pas n’importe quel âne puisqu’il s’agit de la bête de somme qui aura le rare privilège de porter sur son dos celui en lequel les chrétiens du monde entier voient le Sauveur de l’humanité. D’habitude, lorsqu’on parle du Messie, on traite en vedette soit le Messie en personne, soit la ville de Jérusalem, soit, enfin, le Temple en lui-même, mais jamais ce pauvre âne qui a pourtant contribué à la modification de l’histoire de l’humanité. L’âne sur lequel Jésus sera juché lors de son arrivée mouvementée à Jérusalem et à con entrée triomphale sur le parvis du temple. Eh bien, cet âne prend sa revanche puisqu’on l’accompagne dès sa naissance, ses premiers pas sous la houlette d’une tendre mère, veillant sur son ânon jusqu’à sa sélection par le propriétaire des lieux, conscient du rare privilège qui lui est accordé : porter sur l’un de ses ânes celui qui voudra réformer le judaïsme contemporain, mais qui finira tragiquement. Cependant, avant ces tristes développements, nous prenons connaissance des faits et gestes relatés par cet âne sympathique, doué et doté de capacités extraordinaires, surtout lorsqu’on connait la mauvaise réputation qui précède cet animal dans la pensée humienne : lorsqu’on veut stigmatiser l’inculture ou la bêtise d’une personne, celle-ci se voit traitée d’âne (asinus)…

Un âge intelligent, espion, les sens en éveil, bref le meilleur protecteur de l’élu du Seigneur. Dans ce contexte, l’entourage de l’âne et de son maître est dépeint à l’aide de détails bien vivants, parallèles au récit des Évangiles. A cette fidélité s’ajoute un style limpide et sobre. Le tout est entrecoupé de considérations désabusées sur la nature humaine qui maltraite les animaux, notamment notre âne si sympathique. Pourtant, quand vous lisez cet ouvrage, vous y croyez ; après tout, le comportement de cet âne montre que son espèce n’est pas si tarée que cela, et que même un âne peut prendre conscience de la noblesse et de l’altérité de celui qu’il porte. Même lorsqu’il dort pour prendre un peu de repos, il continue de veiller sur snn précieux chargement.. Il sent que son cavalier jouit d’un rang éminent, qu’il est l’objet d’un traitement spécial de la part de ses compagnons. Ainsi, l’âne comprend que Jésus envoie ses compagnons préparer la maison où ils perdront le repas de la veillée pascale. Certains sont un peu délicats, je pense notamment à la description du fameux Judas exhibant de façon trop ostentatoire une bourse pleine de pièces d’or… L’auteure aurait pu faire l’économie de cette ligne et demi, ce qui n’aurait nullement nui à la présentation de son texte. Mais passons.

Cet âne nous présente sa propre version des origines du christianisme. Nous voyons apparaître la plupart des personnages qui entourent Jésus. On prend aussi note de l’apparition d’au moins deux personnages douteux, grands conspirateurs devant l’Éternel, qui sont inquiets devant la popularité croissante de Jésus. Ces deux comparses jugent qu’il faut agir avant qu’il ne soit trop tard… Petit à petit, cette sorte de complot se met en place et on assiste aussi aux tours de garde de l’armée romaine, inquiète devant un tel rassemblement qui risque de dégénérer à tout moment.

Petit à petit, par touches successives, le décor est planté par l’âne qui commence à comprendre que quelque chose se prépare, quelque chose, comme je le notais plus haut, qui le dépasse et qui aura même une portée universelle. Deux civilisations qui se partagent le monde vont s’affronter qui dépassent les limites de la petite Judée qui va faire au reste de l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme. Toute cette puissance mondiale, tous ces millions de païens vont reconnaître la suprématie du Dieu unique et la supériorité de l’esprit. L’âne sent un peu que la rusticité va supplanter l’élégance. C’est l’impensé de l’âne, pour ainsi dire.

La capture de Jésus, suite à la trahison de l’un des siens, se fait sous les yeux médusés de notre âne qui s’est pris d’affection pour celui qu’il nomme alternativement Jésus ou Rabbi. Certes, il s’agit d’un démarquage du récit évangélique, avec quelques accentuations bienvenues. Par exemple, Jésus est littéralement liquéfié par ce qui lui arrive : il découvre la nullité de l’espèce humaine et ce n’est qu’un avant-goût de ce qui va lui arriver sous peu…

En effet, peu après, l’âne voit que son maître bien-aimé est traîné par des hommes au visage haineux qui récolement sa mise à mort.. Ses pires craintes étaient donc fondées. Son maître est menacé de mort.

La suite est connue et évoquée avec tant de sensibilité… Enfin, l’âne a eu son quart d’heure de gloire, son rôle, sa version des faits existent désormais…

Plus sérieusement, ce que je retiens de toute cette affaire : les juifs ont encore perdu l’un des leurs dans des circonstances dramatiques, et pas n’importe lequel !

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage:

 

 

Reprise des conférences du professeur Maurice-Ruben HAYOUN à la mairie du XVIe arrondissement, 71 avenue Henri Martin 75116, salle des mariages : 

Le jeudi 23 mars à 19 heures 

Contactez: Raymonde au 0611342874

 

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