Procès de l’attentat du Drugstore Saint-Germain : comment Carlos a incarné le terrorisme des années de plomb

Le Vénézuélien est jugé, à partir de lundi, près de 43 ans après les faits. Déjà condamné deux fois à perpétuité, pour plusieurs attentats, le terroriste, de son vrai nom Ilich Ramirez Sanchez, a marqué les esprits dans les années 1970 et 1980.

 Ilich Ramirez Sanchez, surnommé Carlos, le 9 décembre 2013 au palais de Justice de Paris.
Ilich Ramirez Sanchez, surnommé Carlos, le 9 décembre 2013 au palais de Justice de Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

C’est l’époque des pantalons pattes d’éléphant et des jupes fluides. Des années post-soixante-huitardes. Georges Pompidou vient de mourir, Valéry Giscard d’Estaing d’être élu à la tête de la France. Le monde tourne son regard vers le conflit israélo-palestinien, avec la guerre du Kippour, en 1973, suivie du premier choc pétrolier. Et c’est ainsi qu’en 1974, la Palestine devient la grande cause révolutionnaire.

Le dimanche 15 septembre de cette année-là, il est 17h10 lorsqu’une grenade est lancée dans la galerie marchande Drugstore. L’enseigne du patron juif de Publicis, Marcel Bleustein-Blanchet, est située à l’angle du boulevard Saint-Germain et de la rue de Rennes à Paris. Deux personnes meurent, 34 sont blessées. Selon les conclusions de l’enquête, l’attaque aurait été menée pour pousser Paris à laisser partir un commando qui avait mené, deux jours plus tôt, une prise d’otages à l’ambassade de France à La Haye (Pays-Bas).

L\'intérieur du Drugstore Publicis de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, le 15 septembre 1974.
L’intérieur du Drugstore Publicis de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, le 15 septembre 1974. (OUSSOV / SIPA)

Près de 43 ans plus tard, l’affaire est jugée à Paris à partir du lundi 13 mars. La tenue d’un procès devant une cour d’assises spéciale n’a pas été simple. Deux non-lieux ont été rendus. Il a fallu l’acharnement de la famille de David Grunberg, l’une des deux personnes tuées dans l’attentat, pour qu’un homme se retrouve sur le banc des accusés : Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous le nom de Carlos. Le Vénézuélien, aussi surnommé « le Chacal », est une figure du terrorisme international des années 1970 et 1980. Bien loin du terrorisme que l’on connaît aujourd’hui.

Une lutte « contre l’impérialisme américain et occidental »

C’était le terrorisme des années de plomb, davantage tourné vers l’activisme politique. Carlos revendique le rôle de responsable des opérations extérieures du Front populaire de libération de la Palestine, le FPLP, qui sévissait à l’époque. « En 1974, il installe les réseaux de l’organisation en Europe, retrace pour franceinfo Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST). Il recrute des sympathisants en Angleterre et en France, trouve des domiciles pour les transformer en caches, tandis que des armes arrivent en France du Liban. »

« Les commandos des organisations palestiniennes venaient de l’étranger, poursuit le spécialiste. Ils étaient soutenus par des Etats : la Libye, le Yémen du Sud, la Syrie, l’Irak et le Liban. A l’inverse de Daech, qui bénéficie du support d’une communauté. » « Bien que les deux idéologies soient mortifères, elles sont animées par des dimensions différentes, complète-t-il. Ces organisations palestiniennes souhaitaient un Etat et la destruction d’Israël, Daech veut la chute de tous les Etats arabes, c’est bien supérieur. »

Je ne suis pas un terroriste, je suis un combattant.

Carlos

cité par Aude Siméon dans « Prof chez les taulards »

Ilich Ramirez Sanchez devient Carlos en 1973. Il choisit son pseudo lorsqu’il prend la tête de la branche des opérations externes du FPLP. « Il a créé sa propre organisation, dont le but est de lutter contre l’impérialisme américain et occidental, et de punir Israël », indique Louis Caprioli. Sa première grosse opération est menée à Londres, le 30 décembre de la même année. Il tente d’assassiner Joseph Sieff, PDG de Marks & Spencer et vice-président de la Fédération sioniste de Grande-Bretagne. Après l’échec de cette « opération », il se réfugie en France.

Le 27 juin 1975, il tue deux inspecteurs et un commissaire de la DST, rue Touillier à Paris. Dès lors, les services de renseignement ne le lâcheront plus. Il a été condamné pour ces assassinats à la réclusion criminelle à perpétuité en 1997. Mais son plus haut fait d’armes dans les années 1970 reste la séquestration de onze ministres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) à Vienne, en Autriche, le revendique la planification.

« C’est un gentleman terroriste »

Dans les années 1980, Carlos est écarté du FPLP par son fondateur, Waddih Haddad. Recherché par toutes les polices, il se réfugie au Liban, où il tente de se faire oublier. La situation change lorsque son bras droit Bruno Bréguet et sa compagne Magdalena Kopp, figure allemande du terrorisme d’extrême gauche, se font arrêter en France. Louis Caprioli estime que c’est à cette période que Carlos a perdu le sens de son combat, lorsqu’il a développé « un terrorisme d’affrontement contre la France ».

Carlos est alors entré dans une escalade de violence et est devenu le personnage de sa propre cause. Il a été dans une époque particulière, mais il ne l’a pas incarnée.

Louis Caprioli

à franceinfo

Rue Marbeuf à Paris, un train Paris-Toulouse, un TGV Marseille-Paris et en gare Saint-Charles de Marseille : ses quatre attentats à l’explosif en France font 11 morts et près de 150 blessés en 1982 et 1983. Des faits pour lesquels Carlos a été définitivement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le 17 septembre 2014, après plusieurs recours.

Loin de cette violence meurtrière, Barbara*, régulièrement en contact avec lui à la centrale de Poissy (Yvelines), où il est incarcéré depuis plusieurs années, voit en Carlos un personnage plus « complexe ». « En prison, il fait preuve de générosité, et jamais de morgue ou de mépris. Mais il est vrai qu’il aime la provocation et l’humour noir. Je comprends que cette attitude soit odieuse pour les victimes. Mais c’est une façade : il a de vraies qualités humaines et un charisme certain », décrit-elle. Et résume ainsi sa perception : « C’est un gentleman terroriste. » Comme elle dirait un gentleman cambrioleur pour Arsène Lupin.

Un comportement de séducteur qui tranche avec les terroristes d’aujourd’hui

Une formule qui fait tousser Louis Caprioli. « C’est un tueur, un minable ! », s’exclame-t-il. Lui aussi est d’accord pour dire qu’il joue un personnage, mais dans un sens négatif. « Ce n’est pas un homme sincère, il parade. Son fantasme est de séduire le maximum de femmes. » Un trait de caractère illustré dans ce reportage de France 2. On le voit en train de danser la lambada au Soudan, avec sa jeune épouse de l’époque. Il s’était réfugié dans ce pays, mais se fait arrêter le 15 août 1994 dans des conditions rocambolesques : la DST le fait enlever sur ordre de Charles Pasqua alors ministre de l’Intérieur, puis le ramène dans un avion militaire qui atterrit à l’aéroport de Villacoublay (Yvelines).

En 2001, c’est son avocate, Isabelle Coutant-Peyre, qui semble succomber à ses charmes, lorsqu’elle annonce un mariage religieux avec son client. Toutefois, aujourd’hui, elle récuse le terme de « compagne ». « Quand je vais le voir en prison, c’est pour travailler. J’ai toujours trouvé drôle que la presse s’excite sur cette histoire superficielle, je me suis bien marrée », déclare-t-elle à franceinfo, alors qu’elle assurait à l’époque, au Parisien, que « cette relation d’amour s’inscrit dans une logique et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était nécessaire de la formaliser par un mariage ».

Louis Caprioli voit dans ce comportement de séducteur une autre différence avec les terroristes d’aujourd’hui.

Carlos est un jouisseur. Il vit dans l’instant présent et évite de se faire tuer. Les jihadistes, eux, légitiment leur combat à travers le sacrifice de leur vie.

Louis Caprioli

à franceinfo

Autre différence pour l’ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST : « C’est un homme qui a une certaine culture, ce qui est différent des terroristes d’aujourd’hui, qui n’ont aucune connaissance religieuse. » De fait, le père de Carlos était un riche avocat communiste, qui a imprégné ses trois fils de culture marxiste et d’idéologie révolutionnaire. Juste avant de se choisir une carrière d’activiste, Carlos a étudié, entre autres, à Londres, à Mexico, à Miami et à l’université Patrice-Lumumba à Moscou, vivier d’activistes politiques, entre 1968 et 1970.
A 67 ans, il continue de s’instruire. Comme le raconte Aude Siméon, professeure agrégée de lettres dans son livre Prof chez les taulards (Editions Glyphe), il suit ses cours de littérature chaque semaine en prison. « J’admire la culture de Carlos, écrit-elle. Sans en faire étalage, il aime montrer ce qu’il sait. » Il s’est aussi converti à l’islam, « la veille de [s]es 26 ans, (…) dans un camp d’entraînement au Yémen », mais par « opportunisme », reconnaît-il dans le livre d’Aude Siméon. Ce qui ne l’empêche pas de dire, dans une interview accordée à Libération en 2001, que « le martyre d’Oussama Ben Laden en a fait un exemple ».

Un changement dans la perception des victimes du terrorisme

Aujourd’hui, il est attente de son procès, le dernier pour lequel il comparaîtra en France. Malgré des « aveux » sur l’attentat du Drugstore Publicis, au cours d’une interview accordée à un journaliste de Al Watan Al Arabi en 1979, Carlos ne reconnaît plus cette attaque aujourd’hui et l’a contesté lors de l’instruction.

Qu’attendre alors de l’audience, qui remet au goût du jour une affaire qui appartient au siècle dernier ? « Je crains que ces trois semaines ne soient pas d’une richesse folle, confesse à franceinfo Constance Debré, avocate de parties civiles et représentante de l’Association française des victimes du terrorisme. Mais malgré le temps, la justice a fait en sorte que le procès se tienne : c’est un travail remarquable, les parties civiles peuvent s’en réjouir. »

Devant le Drugstore Publicis de Saint-Germain, à Paris, après l\'attentat du 15 septembre 1974.
Devant le Drugstore Publicis de Saint-Germain, à Paris, après l’attentat du 15 septembre 1974. (OUSSOV / SIPA)

Si l’acharnement judiciaire a porté ses fruits, c’est grâce à l’enquête, mais sans doute aussi parce que la perception de la victime dans la procédure judiciaire a changé en 43 ans.

A l’époque de l’attentat du Drugstore de la rue Saint-Germain, l’expression ‘victime de terrorisme’ n’existait pas.

Constance Debré

à franceinfo

« L’une de mes clientes m’avait raconté qu’elle avait été transportée à l’hôpital dans une voiture, et qu’elle était allée travailler le lendemain, sans même en parler, raconte Constance Debré. C’était une autre époque : le président de la République n’avait même pas reçu les victimes. »

De son côté, Isabelle Coutant-Peyre dénonce un procès « absurde » et « stupéfiant ». Toutefois, comme elle le souligne, Carlos « aime beaucoup parler ». « Un procès est toujours une tribune pour un révolutionnaire », ajoute-t-elle. La dernière tribune d’un marxiste-léniniste qui appartient définitivement au passé. Ensuite, il continuera de purger sa peine en prison. Condamné à perpétuité, son avocate assure qu’il ne demandera pas de libération conditionnelle.

* Le prénom a été modifié.

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Violaine Jaussent France Télévisions

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francetvinfo.fr

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Jg

Je n ai pas confiance dans la justice francaise .