Avichay Adraee, ce porte-parole israélien qui tape sur les nerfs des Arabes.
Si l’État hébreu loue, en lui, une figure qui cherche à « créer des ponts » avec ses voisins, dans le monde arabe, on s’inquiète de son projet de « pénétrer les consciences ».
L’homme passe d’un registre à l’autre comme on change de chemise. Sec et précis quand il communique sur les développements militaires de l’armée israélienne. Cinglant, voire moqueur, lorsqu’il apostrophe les camps ennemis ou des personnalités arabes. Il se mue en un instant dans la peau du personnage qu’il s’est créé ou qu’on a créé pour lui : celui de porte-parole arabophone de l’armée israélienne. À travers le monde arabo-musulman, Avichay Adraee n’est plus un inconnu. Ses sorties, souvent provocatrices, hérissent le poil de beaucoup d’internautes arabes. Les joutes verbales sur les réseaux sociaux sont sa marque de fabrique. Régulièrement, il s’attaque au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ou à Yahia Sinouar, l’un des leaders du Hamas, qu’il moque allègrement à travers des caricatures ou des vidéos.
Des journaux de la région s’inquiètent de son projet de « pénétrer les consciences arabes » ou de ce nouveau style de propagande israélienne, « plus professionnel et sophistiqué ». Des titres israéliens louent celui qui chercherait à « créer des ponts entre Israël et ses voisins ». Certaines chaînes, notamment du Golfe, le sollicitent continuellement, à l’instar d’al-Jazeera qui le surnomme officieusement son «correspondant au sein de l’armée israélienne ».
Mais, depuis le 7 octobre, la chaîne qatarie tient à le présenter officiellement comme « le porte-parole de l’armée d’occupation israélienne ». Lors des différentes guerres entre Israël et le Hamas, et encore plus aujourd’hui, c’est lui que les Gazaouis voient apparaître sur leurs écrans pour les exhorter à se désolidariser du groupe islamiste ou leur indiquer des quartiers « sûrs »où se « réfugier ».
Origines irakiennes
Le visage d’Avichay Adraee est apparu pour la première fois durant la guerre au Liban en juillet 2006. Quelques années plus tôt, le ministère israélien des Affaires étrangères part à l’assaut de l’opinion publique arabe et crée des postes de porte-parole arabophone capable de s’adresser aux médias de langue arabe locaux et étrangers. Dans un article de 2004 au titre évocateur « Et voilà le porte-parole de l’armée d’occupation », le Haaretz explique le changement de stratégie de communication alors que « l’opinion dominante » était « de ne pas communiquer avec l’ennemi ». Le premier porte-parole de l’armée israélienne fait long feu, parce que trop « occidental ». Avichay, lui, a le profil parfait. Les grands-parents maternels du jeune soldat, né à Haïfa en 1982, sont originaires d’Irak et, côté paternel, de Turquie et de Syrie. Tant par son aspect physique que par son accent, il pourrait aussi bien passer inaperçu dans les rues du Caire que dans celles de Bagdad. « Je parle en arabe toute la journée, je rêve en arabe parfois », confiait-il au média israélien en 2021, racontant avoir été incité à étudier cette langue par son père.
Avec plus de 554 000 abonnées sur X, un peu plus sur Tiktok et 2,5 millions sur Facebook, « cheikh » Avichay, comme le surnomment les Palestiniens, a plus d’un influenceur que d’un porte-parole officiel classique. S’il remplit le costume depuis plus de 18 ans, c’est parce qu’il s’adresse dans un arabe parfait et comprend les spécificités culturelles de chaque pays, la mentalité, jusqu’aux dictons et aux blagues. Poussant la provocation à son paroxysme, il pioche dans le patrimoine culturel libanais en détournant les paroles de la chanson Bhebak ya Lebnan de la grande Feirouz en « bhebik ya Israël », dans une vidéo tournée en 2021 à la frontière du « beau Liban ».
Les réseaux sociaux sont son champ de bataille. Probablement par défi, il se plait à faire référence aux hadiths et cite allègrement des versets du Coran, ce qui lui vaut des torrents d’insultes ou des cartoons égyptiens le caricaturant en slip dansant sur Haga navila. Lors de la fête de l’Adha, il se filme autour d’une table bien garnie, un passe-temps à la main, avec des jeunes soldats israéliens qu’il présente comme « musulmans » et « druzes » afin de montrer la « diversité » dans les rangs de l’armée.
« Position virile »
Alors que la bataille entre l’armée israélienne et le Hezbollah se poursuit à la frontière depuis deux mois, les Libanais ont aussi droit à des semonces virtuelles régulières. « Quel pays les Libanais préfèrent-ils : l’émirat du Hamas, qui fait partie de la terre iranienne, ou l’État libanais libre et indépendant ? » écrit-t-il sur X le 4 décembre. Le même jour, Avichay Adraee interpelle également Gebran Bassil, après que ce dernier a déclaré rejeter « catégoriquement » la création d’une unité (baptisée Les jeunes du Déluge d’al-Aqsa), estimant que « toute action armée à partir du Liban est une atteinte à la souveraineté nationale. Le Liban a le droit de se renforcer par sa résistance nationale pour se défendre contre Israël. Il s’affaiblit en permettant la création d’un “Hamasland” dans le Sud », s’indigne le leader maronite. Il n’en faut pas plus pour le porte-parole pour « saluer une position virile qui a peu d’équivalent dans l’état actuel du Liban sous le joug de l’Iran », rappelant au passage au chef du CPL que « le Hamas et le Hezbollah (allié de Bassil) sont les deux faces d’une même pièce ». Ce n’est pas la première fois qu’Adraee interpelle M. Bassil. En octobre 2018, alors que ce dernier, chef de la diplomatie, est en tournée auprès des ambassadeurs à Ouzaï et Ghobeiri pour démentir les affirmations israéliennes relatives à l’existence de sites d’armes secrètes relevant du Hezbollah, le porte-parole lance une série de tweets dont une photo qui montre Nasrallah « dire » à son allié chrétien : « Tu es responsable des positions dont a fait état Netanyahu, on va te les nettoyer et le reste n’est pas de ton ressort. »
Si des personnalités égyptiennes, comme le fils de l’ancien président Hosni Moubarak, peuvent entrer en débat avec lui sur les réseaux sociaux sans être inquiétés, les Libanais, eux, risquent d’être poursuivis en justice. La loi libanaise criminalise, en effet, tout contact avec les Israéliens. La journaliste libanaise de la chaîne al-Arabiya Layal Alekhtiar fait l’objet d’un mandat de recherche, pour l’avoir interviewé quelques jours après le début de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, ses détracteurs lui reprochant d’avoir permis de dérouler le narratif israélien sans contrepoids palestinien. On se souvient de la bourde de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, qui, en janvier 2012, avait dû se rétracter sur Twitter après avoir répondu simplement « bonjour » à un tweet d’Avichay Adraee, affirmant par la suite qu’il ignorait qui c’était et, qu’auquel cas, il ne l’aurait jamais fait car « Israël est notre ennemi ».
Caroline HAYEK
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Ça change de Rafowicz !
…en beaucoup mieux !