Auschwitz, le nom du mal absolu

 

Soixante-quinze ans après la libération du camp d’Auschwitz, son nom résonne encore comme un symbole de l’extermination par l’Allemagne nazie et ses complices européens des deux tiers de la population juive d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le camp de concentration d’Auschwitz (nom allemand de la ville polonaise d’Oswiecim, en Haute Silésie annexée au IIIe Reich) est installé dans des bâtiments en brique réaménagés qui avaient servi de caserne à l’armée polonaise.

Les premiers détenus y arrivent le 14 juin 1940. C’est principalement un camp pour hommes polonais, résistants, opposants réels ou supposés, condamnés de droit commun, dont le commandant est le nazi de la première heure Rudolf Höss.

En mars  1941, Himmler visite le camp et ordonne son extension. La capacité d’Auschwitz, qui devient Auschwitz 1, est portée à 30 000 détenus. 10 000 prisonniers doivent être mis à la disposition de l’IG Farben pour construire une usine de caoutchouc synthétique et de fioul à Monowitz (Auschwitz 3). Toute l’aire qui entoure le camp devra être placée au service de l’agriculture.

Mais surtout, un camp pour 100 000 prisonniers de guerre soviétiques doit être mis en chantier à trois kilomètres, à Bzrezinska, « le bois de bouleau » en polonais, Birkenau en allemand (Auschwitz 2). En mars  1942, les premiers convois de femmes et de Juifs arrivent à Auschwitz. Ils ne sont pas encore « sélectionnés » : tous entrent dans le camp.

Une industrie de la mort

Le 4 juillet est effectuée, sur un convoi de Juifs, la première « sélection » et le premier assassinat par gazage. Un premier gazage homicide avait été pratiqué à Auschwitz 1, fin 1941, sur des prisonniers soviétiques classés « communistes fanatiques » et sur des malades jugés irrécupérables…

D’autres gazages sporadiques eurent lieu dans les locaux du four crématoire d’Auschwitz 1. Au printemps 1942, deux chaumières de paysans sont aménagées à Birkenau pour servir au gazage des Juifs. Surtout, à partir de juillet  1942, quatre installations intégrées qui comportent tout à la fois une chambre à gaz, des espaces pour récupérer sur les corps cheveux et dents en or, et des fours crématoires sont mis en chantier.

Dès lors, et surtout après mai  1944, avec l’arrivée des Juifs hongrois, quand la voie ferrée est prolongée jusqu’aux énormes chambres à gaz crématoires, c’est une véritable industrie de la mort qui fonctionne à Birkenau pour les Juifs, et en août  1944, pour les familles tsiganes. Auschwitz est un nœud ferroviaire.

De toute l’Europe occupée – Salonique, Amsterdam, Bordeaux… – arrivent des convois amenant des enfants, des femmes, des hommes sur le lieu où ils sont assassinés. Environ un million d’êtres humains sont ainsi assassinés, faisant de Birkenau le plus grand et le plus international cimetière du monde, jusqu’à sa libération le 27 janvier 1945 par les troupes russes.

C’est ce qui explique que le nom d’Auschwitz soit souvent utilisé pour désigner la Shoah, mais aussi le mal absolu.

Le terme « Shoah » signifie, en hébreu, catastrophe. Il désigne désormais la destruction des Juifs d’Europe par le nazisme. À la différence de celui de génocide – un terme inventé par le juriste Raphael Lemkin en 1944 pour désigner «la pratique de l’extermination de nations et de groupes ethniques» selon un « plan coordonné et méthodique» –, il est utilisé pour désigner l’assassinat des seuls Juifs et Tsiganes.

Malgré des recherches approfondies, les nazis ont échoué à définir une « race » juive par des critères biologiques : forme du nez, groupe sanguin…

Adolf Hitler est obsédé par l’idée de se débarrasser des Juifs. L’historien Saul Friedlander parle à cet égard d’antisémitisme rédempteur : pour assurer la domination de la « race » aryenne et le Reich de 1 000 ans, il faut supprimer ceux qui la polluent, qui l’infectent : les Juifs. Dès sa prise de pouvoir, en janvier  1933, Hitler réfléchit aux moyens de rendre le Reich «judenrein», propre de Juifs, ou «judenfrei», libre de Juifs. Pour cela, il faut d’abord définir qui est juif. Ce qui n’est guère facile en Allemagne ou dans les pays de l’Europe occidentale comme la France où les Juifs sont une très petite minorité (550 000 en Allemagne ; 330 000 en France soit moins de 1 % de la population globale), intégrée voire assimilée à la population. Seule une minorité a conservé la pratique de la religion.

Juif, un destin biologique

Malgré des recherches approfondies, les nazis ont échoué à définir une « race » juive par des critères biologiques : forme du nez, groupe sanguin… Aussi est défini comme juif, comme « non aryen », celui qui compte un nombre variable de grands-parents de religion juive. La définition se réfère donc à la religion des générations précédentes, quand chacun avait une appartenance religieuse. Mais cette définition est aussi « raciale » puisqu’être juif ne relève pas d’un choix, mais d’un destin biologique. Ainsi, la conversion au catholicisme ou au protestantisme n’empêche pas, aux yeux des nazis, d’être désigné comme juif.

Au-delà de la stabilité de l’obsession, le contenu de ce que les nazis appellent « la solution finale » (Endlösung) varie selon les possibilités du moment. Jusqu’en septembre 1939, quand l’armée allemande envahit la Pologne, déclenchant ainsi la guerre, une série de mesures frappent les Juifs allemands. Dès 1933, ils sont exclus de la fonction publique, ne peuvent plus travailler dans la presse ni à la radio, sont interdits des activités culturelles. En 1935, avec les lois de Nuremberg«sur la protection du sang et de l’honneur allemands », mariages et relations sexuelles entre Juifs et « aryens » sont interdits.

Avec l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne, en mars 1938, les derniers liens qui unissent les Juifs à la société sont coupés. C’est en effet le début de « l’aryanisation », c’est-à-dire du passage des biens dans des mains non juives et les dernières interdictions professionnelles. Chaque Juif doit rajouter à son prénom celui de Sara ou d’Israël. Dans l’indifférence quasi générale, les Juifs d’Allemagne, jadis intégrés dans la société, sont socialement, économiquement et culturellement isolés.

La Nuit de Cristal

En octobre  1938, quelque 15 000 Juifs polonais sont expulsés d’Allemagne vers la Pologne, qui ne souhaite pas les accueillir. Parmi eux, les parents d’un jeune homme, Herschel Grynszpan, qui vit à Paris.

En signe de protestation, ce dernier ­assassine un secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris, Ernst vom Rath. C’est le prétexte choisi par Hitler et Goebbels pour lancer, dans la nuit du 9 au 10  novembre, les S.S., les S.A. et les Jeunesses hitlériennes à l’assaut des Juifs, faisant une centaine de morts, des suicides aussi. Quelque 30 000 Juifs sont envoyés dans des camps de concentration.

Les dégâts matériels sont considérables, des synagogues brûlées. Devant le verre des vitrines des magasins qui jonchent le sol, les nazis ont choisi ­d’appeler ce pogrom « Nuit de Cristal ». C’est un tournant dans la politique antijuive : la brutalité, la violence physique à l’égard des Juifs signifient qu’ils doivent quitter l’Allemagne et l’Autriche annexée, ce que fait une partie d’entre eux. Pourtant, en 1939, il reste encore 200 000 Juifs dans le Reich.

Sont assassinés, par fusillade, 1 300 000 Juifs dans la partie occidentale de l’Union soviétique, ainsi qu’en Pologne.

Avec l’occupation de la Pologne où les Juifs constituent pratiquement 10 % de la population (environ 3 250 000), la « question juive » change de dimension. Ils sont enfermés dans des ghettos où ils meurent de faim ou de maladie, soumis au travail forcé, spoliés de tous leurs biens. L’idée de rendre le Reich «judenrein» en faisant partir les Juifs n’est pas encore totalement abandonnée.

Ainsi, à l’été 1940, la défaite de la France fait envisager leur envoi à Madagascar, dans une vaste réserve organisée par la S.S. Un autre projet de réserve établie dans les environ de Lublin connaît un début de réalisation. En octobre  1941, toute émigration est interdite.

Le moyen de tuer en masse

C’est avec l’invasion de l’Union soviétique, le 22  juin 1941, que commence la mise à mort systématique des hommes, puis de tous les Juifs, femmes et enfants compris, par les Einsatzgruppen, les groupes spéciaux qui suivent l’armée allemande, que l’historien américain Raul Hilberg a baptisés « groupes mobiles de tuerie ».

Sont ainsi assassinés, par fusillade, 1 300 000 Juifs dans la partie occidentale de l’Union soviétique, ainsi qu’en Pologne. Cette première phase de ce que l’on pourrait appeler un génocide régional n’implique aucun déplacement de population : les Juifs sont tués sur place. Elle n’implique non plus aucune installation particulière : les victimes creusent le plus souvent elles-mêmes leur tombe et sont enterrées là où elles ont été tuées.

À l’automne 1941, dans la partie de la Pologne annexée au Reich, débute la construction d’installations d’un type nouveau. Pour les distinguer des camps de concentration comme Dachau, Buchenwald ou Ravensbrück, Raul Hilberg les nomme « centres de mise à mort ». Les camps de concentration ouverts par les nazis dès leur arrivée au pouvoir servent à interner les opposants réels ou supposés, pour que « mis au pas », brisés, leur humanité déniée, mais éventuellement libérés, ils rejoignent la « communauté nationale». Certains opposants y passeront les douze années du nazisme.  Lire la suite

 

 

 

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