Après la trahison américaine, Poutine rafle la mise

Entre Poutine et le génocide de son peuple, Mazloum Abdi a choisi. Le commandant en chef kurde des Forces démocratiques syriennes (alliance arabo-kurde dominée par les Kurdes syriens du PYG) a préféré « sauver la vie de millions de personnes » en demandant la protection du régime syrien et de son allié russe Vladimir Poutine.

Avait-il vraiment le choix ? Les Kurdes ont été honteusement lâchés par Donald Trump, qui a sacrifié l’alliance historique des États-Unis avec les Kurdes en un coup de fil et trois tweets déshonorants. Le président américain estimait qu’il était temps pour ses « boys » de rejoindre leur foyer. Et peu importe les conséquences non seulement sur les Kurdes mais sur toute la région. Et peu importe si la liquidation des Kurdes risque de permettre la réimplantation de l’État islamique et de ses djihadistes qui ont juré la perte de l’Occident.

« C’est bien la liquidation des Kurdes qui était en cours »

Les Kurdes affrontaient seuls depuis six jours l’armée turque et ses supplétifs arabo-islamistes syriens, anciens membres de groupuscules tel le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaïda. Cette offensive terrestre et surtout aérienne ne laissait guère de chance d’en réchapper aux civils kurdes et arabes peuplant la région qui s’enfuient par milliers depuis les bombardements entamés le 8 octobre.

« Comment protéger au mieux notre peuple ? », demande amèrement le commandant en chef kurde des Forces démocratiques syriennes après le lâchage des Américains. « Les Russes et le régime syrien ont fait des propositions […] Nous ne croyons pas en leurs promesses. Pour être honnête, il est difficile de savoir à qui se fier. […] Mais si nous devons choisir entre des compromis douloureux et le génocide de notre peuple, nous choisirons à coup sûr la vie sauve pour notre peuple. »

« Ne nous y trompons pas : son offensive anti-kurde s’inscrit dans une longue tradition turque, elle-même héritière de l’empire ottoman et qui a pour but de « neutraliser » toutes les populations non turques sur son territoire. »

Car c’est bien la liquidation des Kurdes de Syrie qui était en cours. Le rêve d’Erdogan se réalisait enfin. Entrer en Syrie et supprimer physiquement ces Kurdes qu’il accuse d’être des « terroristes » proches du PKK, parti des Kurdes de Turquie. Sous prétexte de créer une « zone de sécurité » à la frontière turco-syrienne et d’y rapatrier une partie des 3,6 millions de Syriens réfugiés en Turquie, Erdogan a lancé l’offensive n’épargnant par les civils et interdisant aux médias de se rendre sur la zone des combats. Une bonne occasion de redorer son blason auprès de son opinion publique dans une Turquie marquée par la crise économique, et dont la société civile et les médias sont sous le coup d’une répression sans pareil depuis 2016.

Régler la question kurde : l’obsession turque

Le Kurde, voilà l’ennemi. Qui menace de rompre l’unité nationale turque. Qui réclame ses droits, son identité, son autonomie. Erdogan, leader islamo-nationaliste, proche des Frères musulmans, est un autocrate sans état d’âme, à l’hubris démesurée, qui dirige son pays d’une main de fer. Mais ne nous y trompons pas : son offensive anti-kurde s’inscrit dans une longue tradition turque, elle-même héritière de l’empire ottoman et qui a pour but de « neutraliser » toutes les populations non turques sur son territoire. La question des Arméniens dans l’empire ottoman a été liquidée par le génocide de 1915. Un million et demi de victimes. Celle des Assyro-chaldéens, et des Grecs pontiques également. Plusieurs centaines de milliers de victimes.

Reste les Kurdes. Les Turcs espéraient une assimilation forcée plus « évidente » de ces populations majoritairement sunnites comme eux. Mais la religion n’est pas tout : les Kurdes ont une histoire, un territoire qui s’étend sur quatre pays (la Turquie, l’Iran, la Syrie, l’Irak), des coutumes, des héros vaillants, bref une mémoire qu’ils veulent maintenir.

Les Alliés leur avaient promis un État lors du traité de Sèvres en 1920. Leurs espoirs furent enterrés lors du traité de Lausanne de 1923, sous la pression notamment de la Turquie kémaliste (déjà !). Depuis, la guerre contre le peuple kurde n’a jamais vraiment cessé en Turquie.

Les Kurdes, nos alliés en première ligne contre Daech

Dans le contexte chaotique créé par l’invasion américaine de 2003 en Irak, puis la guerre en Syrie et l’avènement de Daech, les Kurdes ont toujours été en première ligne contre l’islamo-fascisme. Militairement, ce sont eux qui ont été les artisans de la défaite de Daech. Sans eux, Donald Trump n’aurait pas pu déclarer « Nous avons définitivement battu Daech en Syrie », comme il l’avait tweeté en décembre 2018, signe qu’il songeait déjà au repli de ses troupes. Sans les Kurdes et sans l’intervention de la Russie, le drapeau noir de l’État islamique flotterait encore en Syrie.

« C’est une victoire magistrale que vient de remporter le patron du Kremlin, quels que soient les développements futurs de l’invasion turque contre les Kurdes en Syrie. En offrant sa protection aux Kurdes, il renvoie les Américains à leur faute morale et à leur déshonneur. »

Les Français, et surtout les Américains, étaient les alliés historiques des Kurdes. Leur présence garantissait la sécurité du Rojava, territoire administré par les Kurdes sur des principes de pluralité démocratique, de fédéralisme, d’égalité des sexes et de forte discipline guerrière.

Islamiste lui-même, Erdogan n’a jamais été très sensible à la lutte contre l’État islamique menée pourtant par ses « alliés » de l’Otan. Il a même ouvert ses frontières aux djihadistes qui venaient d’Europe pour rejoindre les rangs de Daech. Il achetait du pétrole à l’État islamique. Bref, en Syrie, ce qui intéresse Erdogan c’est de liquider physiquement les ennemis de Daech, les Kurdes, l’ennemi éternel, l’épine dans le pied du Sultan, l’ombre portée sur la Sublime porte…

Poutine, le patron

C’est une victoire magistrale que vient de remporter le patron du Kremlin, quels que soient les développements futurs de l’invasion turque contre les Kurdes en Syrie. En offrant sa protection aux Kurdes, il renvoie les Américains à leur faute morale et à leur déshonneur.

Il décrédibilise pour longtemps la parole américaine dans la région. Cette parole ne valait déjà plus grand chose depuis qu’Obama avait refusé d’envoyer ses troupes alors qu’il avait promis de le faire en cas de franchissement d’une ligne rouge (suspicion de frappe à l’arme chimique par le régime syrien en 2012). Mais aussi depuis janvier 2018, lorsque les États-Unis, après avoir annoncé une force d’interposition pour protéger les Kurdes, s’étaient finalement abstenues lors de l’offensive turque contre la région d’Afrine.

Vladimir Poutine se pose en maître définitif du jeu et va pouvoir arbitrer, seul, le futur de la Syrie. En dictant les conditions. En s’opposant certes au retour de l’État islamique, mais aussi en redistribuant les cartes, en répartissant le contrôle des zones.

« Trahison des Américains, lâcheté de l’Europe, effondrement moral de la France qui longtemps avait porté la cause kurde en bandoulière… Dans cette débandade généralisée, la Russie est la seule puissance qui ne fasse pas l’effet d’une planche pourrie. »

Protéger les Kurdes oui. À condition qu’ils se soumettent à l’armée régulière de Bachar al-Assad, qu’ils rendent leurs armes lourdes et qu’ils renoncent en grande partie, ou en totalité, à leur projet de région autonome. Renvoyer la Turquie dans ses frontières, oui. Mais vraisemblablement en « tolérant » le « nettoyage » de quelques villages kurdes à sa frontière. Histoire de la mettre dans de bonnes dispositions et d’affaiblir les Kurdes qui ont, selon les Russes, pêché par arrogance : ils refusaient les solutions préconisées par Damas et Moscou depuis deux ans car ils les trouvaient déséquilibrées et comptaient trop, pauvres d’eux, sur le soutien des Américains…

Quel rôle pour la France ?

Renforcer le régime syrien, oui. De fait, si l’armée de Bachar al-Assad parvient à contrer l’avancée turque, le dictateur syrien en tirera une victoire personnelle supplémentaire. Damas n’a jamais supporté le projet d’autonomie des Kurdes et les traitait de terroristes ennemis du régime. Mais Poutine peut se servir de la variable kurde pour souffler le chaud et le froid, et faire pression sur le régime syrien. La Russie est l’alliée de la Syrie. Pas forcément ad vitam de son actuel président.

La France va-t-elle jouer un rôle ? Existe-t-elle encore en Syrie ? Les quelque centaines de soldats encore présents sont assez impuissants sans le soutien des Américains. Le président français s’inquiète d’abord de « protéger » les forces de sécurité des assauts turcs… Berlin et Paris ont annoncé le blocage des ventes d’armes à la Turquie : une menace dérisoire et toute symbolique qu’Erdogan a balayé d’un revers de main. Emmanuel Macron, Angela Merkel et toute l’Europe comptent sur Poutine pour bloquer l’offensive d’Ankara, empêcher le retour de l’État islamique et convaincre la Turquie de ne pas laisser passer vers l’Europe les centaines de milliers de migrants que ce chaos va générer. Poutine, l’homme qu’on déteste mais qu’on est trop content d’appeler au secours ?

Trahison des Américains, lâcheté de l’Europe, effondrement moral de la France qui longtemps avait porté la cause kurde en bandoulière… Dans cette débandade généralisée, la Russie est la seule puissance qui ne fasse pas l’effet d’une planche pourrie.

C’est notre honte.

Photo : Vladimir Poutine, le 11 octobre 2019 au Turkmenistan. ©Alexei Druzhinin/Russian Presidential Press and Information Office/Tass/ABACAPRESS.COM.

Kurdes : Après la trahison américaine, Poutine rafle la mise

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Aline1

Je n’ai pu lire l’article en entier !

TROP FACILE DE S’EN PRENDRE À TRUMP SEUL ! Lui a des circonstances atténuantes (il lorgne sur son élection).

C’est triste, c’est moche, c’est lamentable, c’est horrible….

MAIS C’EST AINSI QUE MARCHE LE MONDE, surtout ces derniers temps.

Alors n’oubliez pas le reste du monde parmi les responsables, dont certains bisounours sont davantage coupables et sans les mêmes circonstances atténuantes…Cela passe pour eux, seulement parce que c’est trop habituel.

Daniel Gutelman

En supplément a mon post précédent, je soutien de tout cœur la lutte des forces YPG des Kurdes contre les Turcs, spécialistes des genocides.
Sans oublier que les Kurdes Turques du PKK, dont les YOG se déclare la force militaire, sont de tendance Marxiste Léniniste. CQFD?

Daniel Gutelman

Il n’y a jamais eu d’accord de protection américaine envers les Kurdes. De ce fait, il ne peut y avoir de trahison.
Les Kurdes, fortement financés et armés par les américains dans le cadre de la guerre, et pour son éradication, contre Daesh ont assistés les Américains, Français et autres dans cette lutte. Sans plus. L’aide américaine leur a permis d’accroître leur possession territoriale. Dès la fin de la guerre, la coopération s’arrête et devient sans raison d’être. Cessez donc de traiter Trump de traître. Au contraire il y a là, un jeux politique clairvoyant.
1) Trump retire ses troupes du bourbier Syrien et laisse la place aux troupes Russes qui vont servir de tampon (Afghanistan 2?)
2) les amis temporaire Iraniens de la Russie et d’Assad actifs en Syrie vont subir les mêmes affres que les  « occupants » Russes. Ce qui divisera leur force au profit d’Israel
3) La Russie continuera de laisser libre cours à l’aviation Israélienne dans le ciel Syrien.
4) Les Américains vont redéployer leur forces vers l’Arabie Saoudite, avec qui ils ont un accord de défense (contrairement aux Kurdes), situé pas loin des frontières avec Israël pour répondre à toutes menaces Iraniennes.

Trump semble moins c.. que ce que certains veulent croire.