Avec l’enlèvement et l’assassinat de Vittorio Arrigoni par un groupe salafiste, la bande de Gaza a pris pour la première fois une allure irakienne, afghane ou sahélienne, marquée par les enlèvements d’occidentaux. A Gaza, ce ne sont pas les Etats-Unis ou l’Europe qui ont été directement pris à partie mais bien l’ennemi de l’intérieur : le Hamas.

Enlevé le 14 avril dans la bande de Gaza où il vivait depuis trois ans, le pacifiste italien Vittorio Arrigoni, 36 ans, a été retrouvé étranglé quelques heures seulement après l’annonce de son enlèvement. Une tragédie inhabituelle sur l’étroite bande côtière qui n’avait connu aucun assassinat d’occidentaux depuis la prise du pouvoir du Hamas en 2007.

L’exécution de Vittorio Arrigoni révèle au grand jour le péril des mouvements salafistes  à Gaza, question laissée jusqu’à présent en marge de la grille de lecture traditionnelle: blocus israélien, rivalités Fatah/Hamas… Un nouveau front mal connu qui vient contester le pouvoir du Hamas, qu’on croyait solidement verrouillé.

Qui est le groupuscule qui a tué Vittorio Arrigoni ?

Les ravisseurs seraient issus, entre autres, du groupuscule Monothéisme et Guerre sainte (Tawhid wa al-Jihad), même si ce dernier a démenti dans un communiqué toute responsabilité dans la mort du pacifiste italien. Il est classé parmi les plus marginaux mais également les plus radicaux des mouvements salafistes présents à Gaza: Les Compagnons du Prophète, Les Glaives de la Vérité, L’Armée de l’Islam ou encore al-Qaida Palestine…  

Tawhid wa al-Jihad est basé dans le camp de réfugiés de Nuseirat, à 8 km au sud de Gaza-ville. C’est le seul groupe salafiste qui revendique le meurtre d’un soldat israélien, le 27 janvier 2009, une semaine après l’opération israélienne sur la bande de Gaza. Le grouspuscule avait placé une bombe sous une jeep israélienne.

Son chef, Hisham Sa’idni n’est pas d’origine palestinienne (comme de nombreux salafistes) et serait entré dans la bande de Gaza via les tunnels souterrains avec l’Egypte, a adopté une stratégie d’opposition frontale avec le Hamas alors que d’autres groupes salafistes laissent la porte ouverte au dialogue. Arrêté une première fois par le mouvement islamique avant l’opération Plomb durci, le leader réussit à s’échapper de la prison centrale de Gaza lorsque celle-ci est pilonnée par l’aviation israélienne.

En décembre dernier, on le disait en fuite vers l’Egypte mais au début du mois de mars, il a été arrêté par la police du Hamas. C’est officiellement pour exiger sa libération que Vittorio Arrigoni a été enlevé. Mais les ravisseurs n’ont pas attendu la fin de leur ultimatum pour assassiner le pacifiste italien, dans la nuit du 14 au 15 mars. Devant l’horreur de l’acte commis sur l’un des plus fidèles soutiens à la cause gazaouie, certains membres du gouvernement Hamas se détournent de la piste salafiste pour évoquer celle d’une implication israélienne.

Quand les mouvements salafistes sont-ils apparus à Gaza ?

Les salafistes sont des musulmans sunnites qui adoptent une lecture littérale et stricte du Coran et de la Charia (la loi islamique). Ils revendiquent suivre à la lettre le mode de vie des pieux ancêtres des trois premières générations de l’islam. Apparu à Gaza dans les années 1970, le mouvement salafiste se concentre au départ sur des activités missionnaires dans les sphères de l’éducation et des aides sociales, avec le soutien officiel du Fatah de Yasser Arafat et du Hamas. A l’époque, l’ensemble des mouvements armés se concentrent sur le combat national pour la création de l’Etat palestinien et se définissent essentiellement par leur antagonisme à Israël.

Excroissance du salafisme, les mouvements djihadistes s’inscrivent, eux, dans une lutte globale contre l’Occident, exclusivement religieuse. Difficile de déterminer la date de leur émergence dans la bande de Gaza. Les experts de l’organisation de recherche sur les conflits International crisis group estiment leur premier coup d’éclat à décembre 2002, lorsqu’un hôtel à Mombasa au Kenya, qui accueillait de nombreux touristes israéliens, est attaqué par un camion piégé. Mais c’est surtout sur les cendres de la lutte fratricide entre le Fatah et le Hamas à Gaza en 2007 que les mouvements salafistes armés ont commencé à proliférer.

Quand les mouvements salafistes sont-ils entrés en guerre avec le Hamas ?

Les salafistes ont longtemps été des alliés objectifs du mouvement islamique dans la lutte contre Israël. C’est en concert avec le groupe l’Armée de l’Islam (Jaysh al-Islam) que le Hamas a organisé l’enlèvement du soldat israélien, Gilad Shalit, en juin 2006. Mais en devenant un parti de gouvernement après sa prise de pouvoir en 2007, le mouvement islamique a déçu les plus radicaux des salafistes, qui prônent la création d’un califat islamique.

En quête de respectabilité, le Hamas cherche à effacer son nom des listes noires américaines et européennes qui le rangent dans la catégorie des mouvements terroristes. Par ailleurs, le combat des Palestiniens a toujours bénéficié du soutien de volontaires occidentaux, une présence tolérée par le Hamas mais perçue comme une invasion culturelle par les salafistes. D’où une islamisation de la société gazaouie jugée incomplète par les groupuscules fondamentalistes, qui ont enclenché une campagne d’incendies de cybercafés, restaurants, salons de coiffure et même pharmacies, sans jamais en revendiquer ouvertement  la responsabilité.

Les salafistes franchissent le point de non-retour, le 14 août 2009, lorsque le leader des Soldats des partisans d’Allah (Junud Ansar Allah), le cheikh Abdelatif Moussa, proclame la création d’un émirat islamique dans sa moquée de Rafah. Le Hamas réprime cette marque d’insoumission dans le sang: 27 morts et 159 blessés. Dans les semaines qui suivent, des centaines de salafistes sont envoyés en prison pour être «rééduqués».

Même sur le terrain de la lutte armée contre Israël, l’opération Plomb durci en janvier 2009 a provoqué une fissure profonde entre le Hamas et les salafistes. Aux yeux des plus radicaux, le mouvement islamique a perdu toute sa crédibilité de combattant le jour où il a déclaré un cessez-le-feu avec Israël après 22 jours de combats et de bombardements.

Quelles sont aujourd’hui leurs capacités de nuisance à Gaza ?

Les mouvements salafistes ne se soumettent plus aux consignes militaires énoncées par le Hamas vis-à-vis d’Israël. Depuis l’opération israélienne de 2009, ils ont régulièrement brisé le calme relatif à la frontière avec des attaques sporadiques de roquettes ou d’obus de mortier, jusqu’à l’escalade enregistrée en mars dernier. Un front parallèle qui embarrasse le mouvement islamique: le Hamas n’envisage pas de se lancer à nouveau dans un affrontement armé avec Israël, du moins dans un avenir proche. Néanmoins, les capacités militaires des mouvements salafistes restent modestes. Au sol, ils se limitent à des attaques de chevaux bourrés d’explosifs contre des postes frontières israéliens, sans parvenir à faire des dégâts majeurs.

Mais le Hamas est surtout à la merci d’une implosion interne. Les experts estiment que 60% des effectifs salafistes sont des membres déçus du mouvement islamique, surtout après la capitulation de janvier 2009. Leur poids numérique reste limité même s’il est extrêmement variable selon les sources. Selon certains experts américains, ils seraient près de 5.000 à Gaza. Pour les Israéliens, près de 500. Et selon le Hamas, quelques dizaines. Le danger se mesure moins par leurs capacités militaires que par leur nuisance idéologique sur le gouvernement du Hamas, pressé de s’enfoncer davantage dans la radicalité. Une situation exacerbée par l’isolement politique de Gaza.

«Le combat contre les salafistes pose un grave problème de conscience au Hamas car ensemble ils viennent à l’origine du même moule, l’islam. Idéologiquement,  il est plus facile pour le mouvement islamique de combattre le Fatah, perçu comme l’ennemi laïc», explique Mohammed Abusada, professeur à l’université Al-Azhar de Gaza.

Il faut aussi noter l’influence des salafistes dans les camps de réfugiés palestiniens à l’extérieur de Gaza comme au Liban. En 2007 dans le camp palestinien de Nahr al Bared, le mouvement Fatah al Islam avait réussi à tenir tête à l’armée libanaise durant plus d’un mois.

Hélène Jaffiol

Slate.fr

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Ratfucker

En principe, un pacifiste oeuvre pour rapprocher les peuples. Cela ne semble pas être franchement le cas de Vittorio Arrigoni, qui affichait la « délicieuse image » suivante: http://www.facebook.com/photo.php?fbid=393155085451&set=pu.290463280451&
Il était très critique envers le Hamas, qu’il ne trouvait pas assez radical.
Dans la vidéo postée sur Youtube les kidnappeurs se seraient identifiés comme appartenant à un groupe inconnu auparavant, « La Brigade des Vaillants Compagnons du Prophète Mohammed bin Muslima. » Se réclamant donc au premier chef des valeurs de l’Islam. Vittorio Arrigoni était qualifié de « journaliste venu d’Italie, l’État des Infidèles dont les armées sont toujours dans des pays arabes, arrivé dans notre pays uniquement pour corrompre les gens. » Langage très islamiquement correct…et dont la signification codée trahit l’homophobie. Les traces de coups violents sur son visage tuméfié photographié par les ravisseurs renforcent le soupçon de vengeance privée à caractère « sentimental », car des kidnappeurs ordinaires ménagent normalement leur monnaie d’échange.
Sale temps pour les « amis de la Palestine » déchaînés, une semaine à peine après la liquidation de Juliano Mer Khamis à Jénine.