La paracha de Vayechev est pleine de « problèmes » : la vente de Joseph par ses frères, l’histoire de Yéhouda et de Tamar (1), l’affaire de Joseph avec la femme de Putiphar et son emprisonnement…
le lecteur ne peut que rester quelque peu ébahi : la famille de Jacob semble aller bien mal et tout semble aussi indiquer que les choses ne peuvent qu’empirer encore…
Pas d’alternative à un examen scrupuleux pour comprendre le sens de tous ces événements. Commençons par le Midrach: « Il arriva en ce temps là… (Gen 28,1) »
Rabbi Chmouel commente : les Tribus (2) étaient occupées à la vente de Joseph, Joseph se préoccupait de sa pénitence (3), Réouven idem, Jacob idem, Yéhouda se préoccupait de prendre femme… et D. … de créer la lumière du Messie !».
Le Midrach affirme ainsi que derrière ces événements problématiques se cache l’apparition du Messie : le Salut germerait des problèmes les plus difficiles.
Nous savons bien, en effet, que l’union de Yéhouda et de Tamar engendre la lignée messianique d’où émergera la roi David ; nous savons aussi que grâce à la descente forcée de Joseph en Égypte la famille de Jacob sera sauvée de la famine.
Ainsi est-il exact de relever que l’expérience de Joseph et de ses frères fut jalonnée d’événements malheureux.
Mais ces avatars ont comme origine un ardent désir de liberté qui veut que chacun dispose de la possibilité d’être lui-même conformément à sa nature.
Le Rav Tsvi Yéhouda Kook ajoute à cela une dimension supplémentaire (Entretiens sur la Genèse) :
Reuven n’est pas Shimon, et Yehouda n’est pas Joseph. Ce point de départ de l’histoire hébraïque est absolument incontournable, et si ces spécificités ne vont pas manquer d’entraîner plus tard des conflits, ce sera la preuve même de la vitalité du peuple d’Israël.
Ceci étant, force est de constater que ce partage « tribal » instauré par Jacob – qui se concrétisera plus tard avec la conquête de la terre d’Israël et de sa division – a disparu totalement dans les siècles d’exil.
Aujourd’hui en effet, aucun d’entre nous ne serait capable d’affirmer s’il descend de la tribu de Reuven ou de celle de Naftali, à l’exception bien sur des Lévites et de la sous-tribu des Cohanim – les Cohen – qui sont quant à eux soumis à des préceptes particuliers. Même si certains d’entre nous prennent un certain plaisir à se vanter de telle ou telle éminente ascendance, personne ne pourrait prétendre savoir à quelle tribu appartenaient ses ancêtres.
Comment expliquer alors que toute une nation ait pu « oublier » aunsi son ascendance « tribale » ? Dans son livre Orot (p. 43),le Rav Kook répond ceci: cet oubli a été voulu par la Providence divine. Comme les dissensions intérieures avaient par trop déchiré le peuple, il était donc nécessaire de gommer les spécificités de chacune des tribus, et d’œuvrer avant tout pour la restauration complète de l’unité de la nation. Ce n’est que lorsque nous serons guéris de ces déchirures que nous pourrons retrouver, avec toute leur profondeur, nos traits de caractère spécifiques.
Après le récit de la vente de Joseph, Yéhouda nous a enseigné le processus de la Téchouva (Repentir) authentique. Et de Joseph – que la tradition nomme Joseph le juste – nous avons appris que, même là où règne l’impureté, il faut savoir résister avec vaillance aux tentations et séductions. Voilà donc un phénomène extraordinaire, dont les Sages se sont étonnés, bien qu’ils se soient exprimés à mots couverts (Chabbat 77b) : «pourquoi les chèvres (généralement de couleur sombre) marchent-elles en tête du troupeau et les brebis (généralement de couleur claire) derrière ?
D. leur dit : c’est conforme à l’ordre du monde ; depuis le temps de la création, l’obscurité précède la lumière. Et effectivement, ce phénomène se manifeste dans diverses situations réelles :
a) la graine commence par pourrir dans la terre où elle est semée et ce n’est qu’ensuite qu’elle germera, lancera ses racines et percera vers la lumière.
b) La femme en couches traverse une période de douleurs intenses jusqu’au moment où son visage s’illumine de bonheur lorsqu’elle tient son nouveau-né dans ses bras.
c) Les événements historiques répondent aux mêmes lois – et en particulier ceux qui concernent l’histoire du Salut d’Israël.
C’est de l’intérieur de l’obscurité que naît la lumière et, comme le dit le Zohar « il n’y a de lumière vraie que celle qui procède de l’obscurité. »
Naturellement la question se pose :
Pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ?
Rabbi Mochè Hayim Luzzatto s’étend sur la question de la Délivrance et des problèmes de bien et mal dans sont ouvrage Daat Tévounoth:
« car voici que, même lorsque le mal s’accroît et l’emporte encore, de cela aussi procède un bien, car c’est cela l’obscurité du sein de laquelle la lumière authentique sera reconnue » (4). C’est-à-dire que c’est l’obscurité de la nuit qui nous permet d’apprécier la valeur de la lumière du jour : si la Guéoula (Délivrance) était l’état naturel du monde, ni Israël ni le reste du monde ne sauraient en reconnaître la grandeur ou l’importance.
L’existence du mal permet à l’individu et à la nation de choisir le bien et d’être ainsi des associés actifs du processus de la Délivrance.
Ce sujet est certes fort complexe et constitue même un des fondements de la foi. Il y aurait certes encore beaucoup à dire à ce propos. En ce qui nous concerne, nous devons prendre garde à ne pas désespérer dans les moments difficiles, tant dans la vie privée que dans la vie publique. Car nous sommes convaincus que c’est précisément du dedans du mal et de l’obscurité que percera victorieusement une vive lumière – puisse cela être bientôt et de nos jours, Amen !
Notes
(1) Il s’agit d’un épisode difficile de la paracha. Tamar est d’abord l’épouse du fils aîné de Yéhouda dont la mauvaise conduite fut sanctionnée par Dieu et il mourut sans enfants. Conformément aux règles du lévirat, son frère cadet l’épousa à son tour mais ne voulant pas lui donner d’enfant il détruisit sa propre semence et mourut à son tour. Yéhouda, refuse de marier son dernier fils à Tamar. Celle ci se déguisera en prostituée et attirera son beau pêre et de sa relation avec lui naîtra Peretz, ancêtre du roi David et du Messie.
(2) C’est-à-dire les fils de Jacob, appelés à devenir les pères des tribus d’Israël et que la tradition désigne déjà comme tels. À ce moment là, ce sont eux les tribus d’Israël.
(3) Littéralement « son silice et son jeûne ».
(4) Éd. Friedlander, vol. I, page 104.
Le Rav Shaul David Botschko, avec son fils Nahum et à la suite de son père, dirige la Yechiva Kochav Yaakov à Jérusalem qui représente l’un des meilleurs exemples de Sionisme et Tradition, d’ouverture, de pondération.
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(source YEROUCHALMI® N°73-27 Kislev 5769)
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