Bercy soupçonne McDonald’s d’échapper, en partie, au fisc français grâce à ses filiales luxembourgeoise et genevoise, où atterrissent les commissions versées par les franchisés. Un pactole de plus de 2 milliards d’euros qui a valu une perquisition au siège tricolore de l’enseigne.
Deux milliards d’euros glissés entre une tranche suisse et une autre, luxembourgeoise. La multinationale américaine McDonald’s n’est pas seulement le spécialiste incontesté du hamburger : elle a aussi élaboré une recette très secrète de sandwich fiscal.

A la faveur d’un savant montage, le roi du Big Mac est soupçonné par l’administration française d’avoir soustrait, en cinq ans, une bonne partie de son chiffre d’affaires réalisé dans l’Hexagone. Depuis 2009, plus de 2,2 milliards d’euros, selon les services de Bercy, ont été transférés directement au Luxembourg et en Suisse sans que la fliale tricolore n’ait acquitté sur ces sommes le paiement de la TVA et de l’impôt sur les bénéfices.

Ce sont entre 330 et 650 millions d’euros qui auraient ainsi échappé au fisc chaque année. Un joli tour de passe-passe…

Pour y voir plus clair dans les arrière-cuisines de la multinationale, une perquisition s’est déroulée discrètement au siège de la société, à Guyancourt (Yvelines), sous l’autorité du tribunal de grande instance de Versailles. Ayant débuté le 15 octobre dernier au matin, elle s’est terminée le lendemain à l’aube. A l’heure du McCafé.
Contactée par L’Express, l’entreprise confrme les faits : « Comme la plupart des grandes sociétés, nous faisons l’objet de demandes d’informations courantes de la part de l’inspection des fnances publiques, auxquelles nous avons toujours répondu. » Mais ses dirigeants n’ont pas donné suite à nos demandes de rencontre. Détail savoureux, quelques jours avant cette opération, Jean-Pierre Petit, PDG des activités françaises et vice-président Europe du groupe, publiait son livre J’ai vendu mon âme à McDo (Cherche Midi). On ne saurait mieux dire.

Les 300 franchisés tricolores acquittent des redevances pour l’utilisation de la marque

En trente-cinq ans, l’enseigne américaine a réussi l’exploit de faire de la France son deuxième marché le plus rentable, juste derrière les Etats-Unis. McDo a dû batailler dur pour se faire une place au pays du Guide Michelin. Non contente de devoir lutter contre sa réputation de symbole de la malbouffe, la chaîne de restauration rapide a aussi subi, dans les années 1990, le kidnapping de son effgie, le clown Ronald, par des écoguerriers, et le démontage de l’un de ses restaurants, à Millau, par José Bové.

Pour améliorer son image teintée d’impérialisme américain, elle ajoué très vite la carte de la traçabilité des produits et de ses liens avec les producteurs nationaux. Sans compter l’adaptation de ses recettes au goût local : sauces aux fromages (saint-nectaire, fourme d’Ambert, cantal), McBaguette ou, plus récemment, formule « Casse-croûte » à moins de 5 euros. Une stratégie payante. « Jamais les Américains n’avaient imaginé que McDonald’s se développerait ainsi au pays de ces sacrés gastronomes mangeurs d’escargots », se félicite Petit dans son ouvrage.

En 2012, dans l’Hexagone, la multinationale a vendu pour 4,35 milliards d’euros hors taxes de hamburgers, de salades, de nuggets de poulet, etc., à travers son puissant réseau : plus de 1 300 restaurants, dont 20 % appartiennent à la marque et 80 % à des franchisés. Voilà la clef de la réussite de McDo. « Tout notre système repose sur les franchisés »>Article original« , reconnaît Jean-Pierre Petit dans son livre. En moyenne, chacun possède trois restaurants.

Mais les plus importants d’entre eux peuvent en détenir jusqu’à 19, comme Michel Réglat dans la région de Toulouse, Mario Piromalli en Bretagne, ou Hervé Clément en Ile-de-France.

La franchise est aussi au coeur du système qui a permis l’évasion fiscale et qui donne aujourd’hui des migraines aux services de Bercy. Car les 300 franchisés tricolores acquittent des redevances « pour l’utilisation de la marque et du savoir-faire qui appartiennent à McDonald’s ». Ils doivent rétrocéder au géant américain 4 % de leur chiffre d’affaires pour les frais publicitaires et, surtout, entre 10 % et 20 % sous forme de commissions d’exploitation. Une fois leur obole versée, « ces entrepreneurs indépendants paient leurs impôts, investissent et créent des emplois du fait de la nature même de leur activité », tient à préciser l’enseigne.

Les redevances des franchisés constituent l’essentiel de la rentabilité du groupe, soit près des deux tiers de ses marges.

Pour optimiser la gestion de cette manne, une fliale luxembourgeoise, McD Europe Franchising, a ouvert en janvier 2009 deux succursales, l’une aux Etats-Unis, dans l’Illinois, l’autre à Genève, en Suisse. Placée sous la direction de deux cadres, Cathy Martin et Mahrukh Sultana Hussain, la structure helvétique a encaissé plusieurs centaines de millions d’euros de commissions en provenance de McDo France. Une autre partie des flux fnanciers hexagonaux est parvenue au Luxembourg, à la suite d’un accord passé en mars 2009 avec le siège américain.

La maison mère permet alors à McD Europe Franchising d' »acquérir le droit d’utiliser, de développer, ou de sous-louer les moyens marketing et la propriété intellectuelle liés aux restaurants McDonald’s dans toute l’Europe ». En clair, la société du grand-duché peut recueillir le paiement des royalties de tous les franchisés installés sur le Vieux Continent, dont la France, mais elle doit ensuite reverser un montant annuel à la multinationale.

Les résultats sont impressionnants. Sur la seule année 2012, cette entité luxembourgeoise de 13 salariés affche un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars, pour un bénéfice net de 172,4 millions, grâce aux redevances payées par les franchisés de toute l’Europe.

Surtout, le montage lui permet d’acquitter un impôt sur les bénéfces de 1,85 % seulement, au lieu du taux de 33,3 % en France .Une jolie économie. Elle n’aura payé en 2012 que 3,2 millions de dollars de taxes au total.

Un risque de redressement fiscal qui pourrait s’étendre à d’autres pays

Et c’est bien là que les services de Bercy s’étranglent. Pour eux, il ne fait aucun doute que la société luxembourgeoise et sa succursale suisse offcient directement sur notre territoire. En effet, les franchiseurs bénéfcient de moyens humains et matériels alloués par McDonald’s France.

Comme le rappelle d’ailleurs dans son livre le patron tricolore, l’enseigne met à leur disposition « les meilleurs outils et les meilleures conditions afn qu’ils s’épanouissent, qu’ils prospèrent ». Dès lors, selon l’administration fiscale, les commissions reversées par les franchisés doivent bienêtre soumises à l’impôt dans l’Hexagone. Le manque à gagner pour l’Etat est susceptible de s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros.

Pour le groupe américain, la menace d’un redressement fiscal est d’autant plus inquiétante que d’autres pays européens, comme l’Allemagne, par exemple, risquent d’emboîter le pas à la France. Un effet domino qui pourrait être désastreux. « Les entreprises doivent, à côté du marketing de leurs produits, avoir de plus en plus ce rôle citoyen … »>Article original, écrit Jean-Pierre Petit. En trente ans, McDonald’s est devenu un membre actif et responsable de la société. » De quoi s’étouffer, sans même avoir avalé un hamburger.

21-01-2014/Emmanuel Paquette / L’Expansion Article original

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