Au coeur d’une polémique aux relents racistes pendant les élections régionales, il s’est fait un nom malgré lui. Et veut en tirer parti. Ali Soumaré a beau être devenu un héros malgré lui, après avoir été accusé à tort d’être un « délinquant multirécidiviste chevronné » par des élus UMP, il vient de se faire virer. Sa lettre de licenciement, datée du 2 juillet, est signée du maire de Sarcelles, le socialiste François Pupponi, qui l’avait embauché à son cabinet pour s’occuper de la presse.

Motif officiel? « Abandon de poste ». Il est vrai que, depuis les régionales, l’ex-tête de liste PS dans le Val-d’Oise (95) ne met plus les pieds à la mairie. Les relations entre les deux hommes sont électriques.

En février, ils s’étaient accrochés en marge d’un meeting, dans la maison de la jeunesse et de la culture de Villiers-le-Bel. « Pourquoi t’exposes-tu autant aux médias? lui lance Pupponi. Tu vas te faire massacrer! » Et d’ajouter, hors de lui et jaloux: « Avoue que tu veux prendre ma place et qu’on t’a promis ma circonscription! »

Inquiétude d’un baron local face à une jeune pousse qui a droit à de pleines pages dans Le Monde ou Libération? A 29 ans, Ali Soumaré est passé subitement de l’ombre à la lumière, à la faveur des polémiques dont il a été victime. Et il a pris goût aux sunlights. Le voilà qui prépare une autobiographie, à paraître en octobre. Il n’en revient toujours pas qu’on le reconnaisse dans la rue ou que l’ambassade des Etats-Unis à Paris s’intéresse à lui. « Je suis régulièrement invité », s’étonne-t-il. Les officiels américains, qui cherchent à tisser des liens avec des relais d’opinion en banlieue, lui déroulent le tapis rouge à chacune de ses visites.

Soumaré a commencé sa carrière tout en bas. Membre du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), puis secrétaire de section à 24 ans à Villiers-le-Bel, il accompagne Dominique Strauss-Kahn lors des porte-à-porte dans sa circonscription durant la campagne pour les législatives de 2007.

Assis parmi le public, il assiste aussi aux émissions de radio de son champion. Avant son départ pour Washington, le futur patron du FMI lui glisse: « En politique, Ali, il ne faut rien demander, il faut prendre et, pour cela, il faut toujours être prêt. »

En août dernier, il profite de l’université d’été à La Rochelle pour mettre à profit ce précieux conseil. Il convainc le responsable de sa fédération, Dominique Lefebvre, maire de Cergy, de lui laisser sa chance. Sur les quais, la discussion s’engage. « Es-tu conscient que c’est un job compliqué et que tu seras constamment attaqué? » insiste Lefebvre. Personne n’imagine alors l’ampleur de la polémique qui va déchirer la campagne des régionales. En quête de candidats issus de l’immigration, le PS accepte de propulser Ali Soumaré aux avant-postes. Martine Aubry et Jean-Paul Huchon s’affichent bientôt avec le jeune homme lors des meetings. Les prétendants de plus longue date font grise mine. En privé, certains déçus persiflent. « Saura-t-il répondre aux journalistes qui l’interrogeront sur le budget du conseil régional, lui qui n’a même pas le bac? »

Vicitime des attaques de l’UMP

Mais ce n’est pas sur le fond qu’il va être pilonné. Le 28 janvier, Francis Delattre (UMP), le maire de Franconville, envoie une première salve nauséabonde, en comparant Soumaré, d’origine malienne, à « un joueur de l’équipe réserve du PSG ».

Puis il récidive, le 18 février. Dans un communiqué, Delattre publie une liste de condamnations – de la conduite sans permis au vol avec violence – et accuse Soumaré d’être tout sauf un exemple de réussite républicaine.

Au QG de campagne des socialistes, quand tombe la nouvelle, c’est la panique.

Manque de chance, le week-end débute et les tribunaux sont fermés : impossible de vérifier l’exactitude des accusations. Depuis la Réunion, où elle attend son avion pour rentrer en France, Martine Aubry appelle Ali Soumaré. Le portable à l’oreille, la première secrétaire fait les cent pas dans l’aéroport. Elle commence, conciliante, par lui dire : « Que celui qui n’a pas fait de fautes te jette la première pierre. Si tu as fait des erreurs, on sera derrière toi, mais il faut que tu nous dises ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans tout ça. » Aubry appelle ensuite Lefebvre, à l’origine de la candidature de Soumaré. Le ton est plus comminatoire : « Chez moi, à Lille, quand un jeune a fait une connerie, on le sait. Alors renseigne-toi pour savoir si tout cela est vrai! »

Sous le choc, Soumaré veut répondre aux médias qui le harcèlent. Donner sa vérité, expliquer qu’il a eu des ennuis avec la justice (condamnation à six mois ferme en 1999 pour vol aggravé), mais que c’était il y a bien longtemps. Le reste ne le concerne pas – il finira toutefois par reconnaître une condamnation à deux mois ferme pour rébellion en 2009. L’équipe de Jean-Paul Huchon lui impose le silence : « Protège-toi, débranche, change de numéro. » Le journaliste de TF 1 Harry Roselmack tente sa chance et lui envoie un SMS : « Ali, décroche. STP. » Il veut l’inviter, le lundi, au 20 Heures: « C’est dans ton intérêt, tu peux couper court, ainsi, à la polémique. » Soumaré refuse.

Parallèlement, la riposte judiciaire se prépare. C’est l’avocat Jean-Pierre Mignard qui est choisi pour orchestrer la contre-attaque. « Il fallait un avocat immédiatement disponible, qui ait un sens politique et soit capable de faire face à la pression médiatique », raconte Marie-Pierre de la Gontrie, la porte-parole de la campagne, au coeur de la cellule de crise. On appelle ensuite François Pupponi. Comme employeur, il dispose d’une copie du casier judiciaire de Soumaré. Il rassure ses camarades: « Il y a bien une affaire ancienne, mais c’est tout. » Le mardi, la procureure de Pontoise confirme que certains délits, en particulier un vol aggravé avec violences jugé en 2007, concernent un homonyme.

L’affaire Soumaré revient alors en boomerang et éclabousse les accusateurs, brouillant la campagne de la droite francilienne. En quittant un plateau de télévision, Ali Soumaré croise en coulisses Eric Woerth, alors ministre du Budget. Gêné aux entournures par les pratiques de son camp, le ministre lui glisse : « Ce ne sont pas des méthodes. » Le socialiste devient une icône pour ses camarades. « A-li ! A-li ! A-li ! » crient les militants au soir du premier tour des régionales, au QG de la gauche.

Malmené au procès de Villiers-le-Bel

A son arrivée au conseil régional, en mars, on lui prête l’intention de briguer, impatient, des vice-présidences, ce qu’il réfute. « On ne m’a pas trop mal traité », concède toutefois le jeune élu, qui se retrouve, pour un premier mandat, membre de trois commissions thématiques et de la commission permanente. Il se voit également confier une mission sur la coopération avec le Mali et la Mauritanie.

« Dans l’hémicycle, il n’est pas une vedette, note Pierre-Yves Bournazel, conseiller régional UMP. Son groupe ne le met pas en avant sur des prises de parole politiques importantes. C’est comme s’ils le cachaient. » Un élu socialiste de son département ne s’en étonne pas : « Ali est jeune, il doit apprendre. On ne peut pas lui demander de rentrer dans le monde des institutions comme s’il était un énarque de 50 ans. »

Désormais, il est attendu au tournant, plus que tout autre. Convoqué le 25 juin, comme témoin, par la cour d’assises de Pontoise, où sont jugés cinq hommes soupçonnés d’avoir tiré sur les forces de l’ordre lors des émeutes de Villiers-le-Bel en 2007, Ali Soumaré – qui fut le porte-parole des familles des deux adolescents tués dans une collision avec une voiture de police – témoigne en faveur de l’un des accusés et énerve la présidente, qui veut connaître les noms des personnes présentes au début des incidents. Soumaré ne répond pas.

« Votre témoignage nous laisse une impression de flou, s’agace la magistrate, 80 policiers ont été blessés. » Le lendemain, la presse titre : « Ali Soumaré malmené devant la cour d’assises ». La notoriété n’a pas que des avantages.

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