Par Manfred Gerstenfeld.

L’idée erronée affirmant qu’Israël deviendra un pays comme tous les autres a déjà eu une longue vie derrière elle, dans différents chapitres de l’histoire du Sionisme.

Un exemple, sans doute anecdotique, mais typique, remonte à l’époque où des prostituées juives ont commencé à exercer leur profession dans la Palestine mandataire pré-israélienne, inspirant des sentiments partagés, au sein de la société. Certains éprouvaient, fondamentalement, de la honte, d’autres soulignaient que c’était un signe de la « normalité » juive en voie d’établir son Etat.

L’Indépendance d’Israël a édifié de nombreuses institutions, identiques à celles qu’on trouve dans les autres pays. Cela comprend un gouvernement, un Parlement, une Cour Suprême, une armée, des forces de sécurité, une banque centrale et ainsi de suite. Une autre forme de réalité tangible de la normalisation du peuple juif s’est manifestée par le rassemblement de près de la moitié de la population juive mondiale sur la terre d’Israël. D’autres évolutions contribuant à faire d’Israël un pays « normal » pourraient survenir à l’avenir, dont l’acquisition de frontières internationalement reconnues.

Si les négociations de paix progressent, d’une manière ou d’une autre, l’idée qu’Israël devient un pays « normal » va, probablement, s’imposer, à nouveau, de façon prédominante. Cette notion signifie qu’Israël deviendra quasiment identique aux démocraties occidentales. Beaucoup d’Israéliens admirent la quiétude relative autant que certains aspects de l’hédonisme, qui est le mode de vie répandu en Occident et ils aspirent à pouvoir aussi mener le même style de vie.


Un Président « normal » dans un pays pas comme les autres…

Cependant, une telle “normalisation” atteint ses propres limites. L’une est que toutes les nations sont intrinsèquement uniques. A cela, on pourrait ajouter que certaines sont « plus uniques que d’autres ». Et c’est bien le cas, lorsqu’on évoque Israël. C’est l’un des seuls, parmi de très rares pays, à être constitué presque entièrement d’immigrés. C’est largement vrai aussi pour les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, l’Argentine et ainsi de suite. Cela dit, le principal afflux de population vers ces pays s’est produit bien plus tôt. Mais une différence bien plus déterminante provient du fait que les immigrants d’Israël ont des ancêtres qui priaient depuis si longtemps, en espérant le retour à Sion, où des générations de Juifs avaient vécu plus d’un à deux millénaires auparavant.

L’Unicité découle de facteurs internes et externes. Une variable cruciale de l’unicité d’Israël est liée à son histoire radicalement différente de tout autre pays. Le long séjour du peuple juif dans le creuset de la Diaspora représente une évolution sans pareil. Au cours de l’histoire récente, la même chose s’avère vraie, concernant la Shoah. Cela renforce largement le caractère unique d’Israël, non seulement aujourd‘hui, mais aussi dans la perspective de l’avenir prévisible.

La réalité actuelle d’Israël est directement reliée à cet ensemble de facteurs. Le passé du peuple juif alimente son présent, avec bien plus de poids que les quelques vestiges historiques qu’on peut découvrir. La tradition juive, essentiellement constituée de son corpus religieux, influence également la conception de l’Etat. De la même façon, les longs siècles d’expression de la haine contre les Juifs, dans beaucoup de régions du monde, ont trouvé un second souffle. L’antisémitisme historique – religieux ou ethnique – a ainsi, foncièrement, muté en antisionisme . Aucune autre nation au monde n’est confrontée à une délégitimation d’une telle ampleur. Même au-delà de cette orientation « politique », des menaces génocidaires se font entendre, en provenance directe de certaines parties du monde musulman.

Parmi les tendances qui contribuent à l’unicité d’Israël, il y a celles qui découlent de la combinaison, à la fois de la langue et de la religion, qui ne sont partagées par personne d’autre. Beaucoup de nations disposent d’une langue qui n’est parlée par aucune autre. Les Grecs en sont un bon exemple. Cependant, la religion chrétienne orthodoxe n’est pas un fait unique en Grèce. Cela s’exprime clairement, au cours de la guerre en Ex-Yougoslavie, lorsque les Grecs, contrairement à la majorité des citoyens de l’Union Européenne – se sont largement identifiés aux Serbes, qui sont, tout comme eux, orthodoxes.

Certains prônent une absurdité, directement liée au désir inassouvi de “normalisation” totale : « Israël devrait s’assimiler au Moyen-Orient ». Ce concept superficiel soulève de nombreuses questions, mais, en revanche, apporte difficilement des réponses valides.

Que devrait faire Israël pour “se fondre” dans le Moyen-Orient?

Devrait-il glorifier les rares Israéliens qui assassinent intentionnellement des civils palestiniens, à l’instar de l’Autorité Palestinienne, qui célèbre les nombreux meurtriers de civils israéliens ? Israël devrait-il bombarder sans distinction les villages palestiniens, après des attentats terroristes ? Devrait-il régler le problème des manifestations organisées par les partis arabes, comme l’armée égyptienne le fait, pour réprimer les Frères Musulmans ? Israël devrait-il développer des armes chimiques, dans les mêmes proportions que l’a fait Bachar al Assad en Syrie ? Devrait-il exécuter les criminels de droit commun comme le font tant de pays arabes ? Il y a tellement de caractéristiques essentielles des pays environnants d’Israël qui sont incompatibles avec ses normes et valeurs fondamentales, que ce « mélange avec le Moyen-Orient » reste encore un projet chimérique de plus.

Au cours des dernières décennies, Israël s’est vu attribuer un nouveau rôle. Il devient, de plus en plus, un baromètre de l’état d’esprit qui se généralise au sein du monde occidental, fondé sur une moralité plus que douteuse, à travers les opinions émises à l’encontre de l’Etat juif. Les sujets qui concernent Israël et ses interactions avec l’Occident sont si nombreux que l’on peut comprendre « où en est l’Occident » en le déduisant de ses positions, dans de nombreux domaines. Une situation identique a prévalu, lorsqu’on parlait des Juifs, au cours des siècles précédents. C’est encore le cas, en de nombreux endroits.

Finalement, l’idée que les Juifs devraient adopter la culture dominante de leur environnement est très ancienne, et nous dirons antique. Elle remonte à bien longtemps, par-delà l’aspiration et le comportement de beaucoup de Juifs assimilés d’Europe, durant des siècles. Il y a déjà deux millénaires, dans le dernier état juif indépendant, du temps des Maccabées et dans la période qui a suivi immédiatement après eux, il existait des Juifs qui révéraient et imitaient les cultures grecque et romaine. Les contributions de ces Hellénistes à la culture juive sont minimes, si jamais il y en a. L’héritage de ceux qui rêvent d’un Etat d’Israël « normal » pourrait bien subir le même sort.

Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans . Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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