C’est dans son bureau au 11ème étage d’une tour d’affaires, située en plein cœur de Tel Aviv qu’ Edouard Cukierman m’accueille. La vue offre un panorama magnifique sur toute la ville avec la mer au loin. C’est à l’occasion de la sortie de son livre ‘ »Israël Valley, le bouclier technologique de l’innovation » dont il est le co-auteur avec Daniel Rouach que nous nous rencontrons.

Tel-Avivre : Bonjour Edouard, merci de m’accueillir. Tout d’abord quelques mots sur vous. Vous avez fait votre Aliyah il y a près de 30 ans. Diplômé du Technion et de l’INSEAD, vous créez votre premier fond de capital-risque en 1993 et dirigez aujourd’hui Catalyst, et la banque d’affaires CUKIERMAN & Co. Vous êtes également Président du Comité européen du « High-Tech Industry Association» en Israël depuis mai 2011 et Vice-Président de la Fondation France Israël, sans oublier votre fonction de porte-parole pour l’armée. Votre parcours déjà bien rempli, témoigne de votre implication dans le monde de l’innovation et des start-up israéliennes depuis de nombreuses années, alors pourquoi avoir choisi de sortir ce livre seulement aujourd’hui?

Edouard Cukierman : La première fois que nous avons évoqué l’idée de ce livre avec Daniel, c’était il y a dix ans! Mais c’était un peu trop tôt. Aujourd’hui, le modèle a mûri et a démontré son efficacité. Quant à Daniel et moi, nous avons maintenant plus d’expérience et de visibilité sur le fonctionnement et l’évolution de la high-Tech en Israël. Pour vous donner une idée du chemin parcouru, en 1993, il n’y avait que trois sociétés de capital risques aujourd’hui il y a plus de cent acteurs!

Mais au delà de l’explication du succès du modèle israélien, nous avons aussi voulu saisir cette opportunité pour présenter Israël sous un autre angle, sans complaisances ni compromis, puisque nous évoquons aussi les limites du modèle.

Tel-Avivre : Votre association avec Daniel Rouach, professeur d’université, n’est ce pas déjà en soi un indice sur une des raisons du succès du modèle israélien, un modèle qui favorise le lien entre le monde de l’enseignement et le secteur privé ?

Edouard Cukierman : Nos expériences et nos analyses se complètent et donnent une vision exhaustive du modèle car elles combinent l’approche analytique et la vision du terrain.

Mais pour répondre à votre question, il est vrai qu’en Israël il n’y a pas d’antagonisme entre l’université et le monde des affaires. Il existe d’ailleurs un business modèle efficace entre les chercheurs et l’université qui favorise l’innovation.

Tel-Avivre : Pourquoi avoir choisi le bouclier pour illustrer l’écosystème israélien?

Edouard Cukierman : Parce que c’est à la fois un schéma simple et complet de ses différentes composantes qui permet d’en visualiser et d’en comprendre facilement ses spécificités. Nous utilisons ce schéma pour permettre à nos investisseurs de visualiser rapidement ses spécificités par rapport à leur modèles nationaux.

Tel-Avivre : Sans dévoiler le contenu de votre ouvrage, pouvez-vous me citer quelques éléments déterminants dans la réussite du modèle israélien?

Edouard Cukierman : Il y en a beaucoup! Un état d’esprit qui permet de transformer les épreuves en challenge, une répartition efficace entre fonds publics et fonds privés, la qualité de l’immigration, la politique fiscale sans oublier l’importance du domaine militaire.

Tel-Avivre : Merci Edouard pour votre accueil. Et pour tous ceux qui ont toujours tout voulu savoir sur la sillicon valley israelienne …votre livre est disponible en France et en Israël

Nina Sitbon pour Tel-Avivre.com

* Daniel Rouach, Professeur Associé à l’ESCP Europe et au Technion et actuel Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Israël-France (Tel-Aviv).

Extrait du livre

Sur la route côtière bordée de verdure de Tel-Aviv à Herzliya, à quelques kilomètres au nord, la Méditerranée déploie ses vagues en rythme. ouverte sur un bassin traditionnellement porteur de richesses et d’échanges, elle raconte à qui sait entendre les premiers pas de ce petit État sexagénaire.

Aussi, nul ne sera surpris de voir apparaître, curieusement érigé sur un tonneau, un portrait sculpté de Theodor Herzl, le père du sionisme. Un premier pôle créé dans les années 1980 ressemble de prime abord à un parc industriel comme il en existe partout dans le monde, hérissé de panneaux et d’affiches indiquant les noms et adresses des sociétés qui y sont implantées.

Voyage au cœur du «village high-tech»

On y découvre un centre vibrionnant, où s’activent hommes et femmes d’une moyenne d’âge de 20 à 30 ans qui se connaissent et communiquent beaucoup. Avec sa multitude de petits lieux de rencontre, son parc étonnant de modernité et ses restaurants branchés, le centre-ville truffé de cabinets d’avocats et de « venture capitalistes » nous projette irrévocablement dans le futur. Le pôle d’Herzliya est un mélange florissant de grandes sociétés internationales et de start-up, illustrant ce que le professeur américain Michael Porter a analysé comme l’ « effet de grappe » : à la manière des grains de raisin, de nombreuses petites start-ups s’agglomèrent autour d’un grand groupe industriel international.

En continuant la route le long de la côte, encore plus vers le nord, du côté de Haïfa, un deuxième pôle high-tech très différent est celui de Matam. Il abrite de grands groupes comme Intel dans un imposant bâtiment et reçoit les meilleurs étudiants du fameux Technion de Haïfa – l’Institut polytechnique israélien, pendant du Massachusetts Institute of Technology (MIT) – pour des stages, des doctorats, des travaux de recherche et d’ingénierie. En son sein existe une proximité très affirmée entre le monde du high-tech, du venture et des jeunes créateurs d’entreprise.

Le troisième pôle se situe à Rehovot, à 20 kilomètres au sud de Tel-Aviv, c’est l’Institut Weizmann. Considéré en 2011 par la revue The Scientist comme l’un des dix plus grands centres les plus agréables au monde pour les conditions de travail, il occupe une position stratégique à proximité de la «biotech valley», avec laquelle il entretient des échanges permanents. Des fils invisibles relient industriels, professeurs et chercheurs de l’Institut dont les activités universitaires sont souvent compatibles avec le développement de start-up. Pourtant, et malgré l’étude de ces facteurs objectifs, la réussite et l’alchimie particulière de l’État hébreu restent une énigme pour tous. Des chercheurs, des journalistes tentent de percer le mystère de la créativité et du dynamisme de ce pays si minuscule.

Innovation dans l’ADN israélien

Tout au long du présent ouvrage, nous nous sommes donc attachés à répondre aux questions clés suivantes :

Pourquoi et comment Israël a-t-il créé et maintenu une avance technologique dans un environnement géopolitique hostile (maillage de l’innovation et de la r&D, politiques publiques, éducation, soutien aux «teens start-up»)?

Quels éléments inhérents à la culture israélienne ont permis l’éclosion d’une économie de haute technologie aussi florissante et performante (gestion de l’immigration et du capital humain dans les entreprises, esprit israélien de «chutzpah» : mélange de culot et d’audace)? Quel est l’impact du secteur militaire et des hautes technologies sur la survie et le développement d’Israël (transfert technologique du militaire au civil encouragé, unité d’excellence 8200 du renseignement israélien)?

Quels enseignements utiles les autres pays et leurs entreprises peuvent-ils tirer de l’expérience israélienne (désenclavement université-industrie, encouragement des jeunes talents, incubateurs)? Nous avons également tenté de conceptualiser un modèle apte à décrire les raisons du succès du high-tech israélien : le bouclier, épicentre actif ouvert sur le monde.

Dès la proclamation de l’État, voire dès sa conception moderne par les pères du sionisme, les plus grands leaders ont compris que sa survie reposerait sur un principe essentiel : la présence et le développement d’un bouclier technologique et scientifique capable de protéger et de renforcer la sécurité du pays face aux attaques extérieures.

Éducation, recherche, innovation, transfert technologique, armée, intelligence, réseaux et culture d’entreprise en sont les maîtres mots. Ils impriment leur marque de manière transversale aux valeurs clés d’Israël Valley : le bouclier humain, le bouclier informationnel, le bouclier entrepreneurial, le bouclier des start-up (incubateur), le bouclier de l’anticipation, le bouclier technologique de Tsahal, l’armée de défense d’Israël.Ces facteurs assemblés constituent et nourrissent le bouclier de l’indépendance et de la haute technicité d’Israël : son bouclier technologique.

L’idée même de bouclier est omniprésente dans l’inconscient collectif de la société israélienne. Elle se réfère aux grands moments de l’histoire du peuple juif, marquée au fer rouge des exils et des maltraitances, des pogroms et de la Shoah, de l’histoire de la nébuleuse antisémite et ses expressions radicales, criminelles. Le bouclier est l’un des plus grands symboles de l’État hébreu : il figure sur son drapeau, rappelle l’étoile de David (magen David, littéralement «bouclier de David»), et s’exprime dans la devise d’une institution comme Tsahal (acronyme de Tsva Haganah LeIsrael, traduit en français par «armée de défense d’Israël») qui mentionne explicitement l’idée de protection. Cette philosophie représente un trait caractéristique de la société israélienne. Un bouclier (valeur défensive) protège des agressions, mais également (valeur positive) permet de s’organiser, de se développer, et de s’ouvrir sans crainte au monde extérieur, de même qu’en psychologie, un être humain ne peut assumer sa part de sociabilité que s’il est centré, construit et assuré sur ses bases.

30 septembre 2013 |

tel-avivre.com Article original

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