Les deux tiers des Africains souffrant de l’insécurité alimentaire vivent dans le Sahel. Une solution pointe son nez : la sève de l’acacia, présente dans les produits manufacturés de tous les jours, est une filière en pleine expansion.Créer des filières structurées, là où il n’y avait que constellations de petits producteurs désorganisés. C’est peut-être par là que passe la sécurité alimentaire en Afrique. L’Union Africaine (UA) a décrété 2014 « année de l’Agriculture ». En préparation du prochain sommet de Libreville (Gabon), en juillet prochain, l’organisation panafricaine consulte les partenaires locaux. Apprendre des expériences déjà existantes est le maître mot de ces consultations.

Dans le hall du nouveau bâtiment de l’UA, à Addis Abeba, les agriculteurs ont pignon sur rue. Plusieurs stands ont été installés. Une exposition de photographies attire l’oeil. Accrochés aux murs, les clichés de cueilleurs de gomme arabique font des clins d’oeil à la salle plénière Nelson Mandela. Perdus au milieu des forêts sèches d’acacias, en plein désert tchadien, ils saignent l’écorce de ces arbres pour en tirer la sève. La gomme arabique extraite, ils avaient pour coutume de la vendre aux commerçants ambulants pour une bouchée de pain.

Mais la logique économique et quelques ONG sont passées par là. « Lorsque SOS Sahel s’est installée au Tchad, en 2009, les producteurs n’avaient pas de place dans la filière. Alors nous avons commencé par les aider à mettre en place des regroupements de producteurs par village, et des unions régionales », explique Guillaume Doulkom, un agent de terrain tout droit venu de N’Djamena pour expliquer aux partenaires de l’Union Africaine l’importance de la logique de filière. Plus forts ensemble qu’isolés, les producteurs de gomme arabique sont mieux à même de répondre à une demande mondiale grandissante.

Le potentiel sahélien n’est exploité qu’à 40%

La gomme arabique n’assurera pas la sécurité alimentaire à elle toute seule dans le Sahel. Mais l’argent issu de son exploitation permet de mettre à profit la saison sèche et de diversifier les revenus des paysans en cas de mauvaise récolte. « Rien que sur l’Union Européenne, la demande de gomme arabique est de 150 000 tonnes par an », explique Rémy Hemeryck, directeur général de SOS Sahel. Le potentiel sahélien, lui, n’est exploité qu’à 40%.

La faute à une exploitation anarchique et de mauvaises techniques de cueillette. Une fois regroupés en unions, les petits producteurs se sont penchés sur la formation. S’équiper d’entonnoirs pour ne pas perdre ni souiller une partie de la récolte. Apprendre à élaguer les arbres. A entretenir ces forêts. Savoir, enfin, qu’il est possible de cultiver des céréales sur ces mêmes surfaces, sans avoir à couper la forêt. « Le Bere Bere, une sorte de sorgho blanc que cultivent les paysans au Tchad, est parfaitement compatible avec l’acacia. Les deux ne poussent qu’en saison sèche. L’acacia capte l’azote et rejette du nitrate nécessaire à la pousse du Bere Bere. Il est inutile de couper les arbres pour cultiver », explique Guillaume Doulkoum.

« Il y a encore cinq ans, un producteur récoltait environ 2,5 kg de gomme Seyal par semaine. La récolte était de mauvaise qualité. Aujourd’hui, ils sont à 5 kg d’une gomme de bonne qualité », continue-t-il. Le kilogramme de gomme Seyal se vend environ 0,5€ chez le producteur. Celui de gomme Senegal, 1,5€. « Les regroupements stockent et sèchent la gomme en attendant que les prix soient intéressants », ajoute-t-il.

La filière de la gomme arabique est une source d’emplois

A ces regroupements s’est ajoutée une association d’exportateurs, mieux connue au Tchad sous le nom d’Action tchadienne pour la promotion de la gomme arabique (ATPGA). Albachir Ahmat Albougui, son président, se félicite de l’emploi qu’est capable de générer la filière aujourd’hui. « Avant de vendre la gomme, nous la trions, l’empaquetons et la séchons. Ce qui permet d’employer du monde à notre échelle aussi. Les femmes sont parfaitement qualifiées pour ce travail. J’emploie près de 300 trieuses dans mon entreprise ».

Et le gouvernement a pris conscience de ce potentiel. « Il y a 15 ans, nous devions payer des taxes à l’exportation. Maintenant, c’est fini. On devait aussi payer des taxes aux frontières à l’intérieur du pays. Ça aussi, c’est fini. Et quand nous avons un problème, c’est très facile d’en discuter directement avec le ministre », explique Youssouf Tahirou Djonouma, dirigeant d’une autre entreprise d’export de gomme.

Plus la qualité de la gomme sera bonne, plus les prix seront intéressants. Et les acheteurs européens et américains sont regardants. La gomme arabique, aussi connue sous le dénominateur E414, est utilisée pour ses propriétés pharmaceutiques, et comme émulsifiant.

Elle est incolore et inodore, tout en étant naturelle. Avec l’intérêt grandissant pour les produits « bio » et « naturels », elle a un avantage marketing certain sur les produits de synthèse, qui eux sont moins coûteux.

« En 1986, lorsque j’ai créé ma compagnie, continue Albachir Ahmat Albougui. Nous exportions par avion, tellement les quantités étaient petites. Aujourd’hui nous achetons la gomme à la tonne, et nous l’expédions par bateaux. Mon entreprise exporte près de 2500 tonnes par an », poursuit-il. 30% vers l’Europe, 50% vers les Etats-Unis et 20% vers l’Inde.

Au total, la gomme arabique fait vivre près d’un demi million de familles au Tchad. C’est la troisième mamelle du pays, après le pétrole et l’agriculture. Si seulement 20 000 tonnes de gomme y sont produites par an, le potentiel est énorme. 70% des Africains souffrant de l’insécurité alimentaire sont Sahéliens. Et la gomme a cet avantage de pousser en périodes de stress hydrique.

Elle n’est certainement pas la solution à tous les maux de la région. Mais elle représente un exemple de la capacité du continent africain à s’adapter aux conditions extrêmes de certains de ses climats.

Antoine Galindo (Addis-Abbeba)

06-05-2014/ Le Point.fr Article original

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