La municipalité de Cleveland a intenté des actions en justice contre plusieurs banques qui sont, selon elle, les vraies responsables de la crise immobilière. En vain, jusqu’ici.

Joshua Cohen, avocat à Cleveland au cabinet Cohen, Rosenthal et Kramer fait le point de la situation.En tant qu’avocat, vous avez représenté Cleveland dans l’action intentée contre plusieurs banques dans la crise des « subprimes ». Où en est la procédure ?

Joshua Cohen : Nous avons entamé les démarches en janvier 2008 à l’initiative de la municipalité, contre 21 banques et institutions financières pour « nuisance publique ». Dans cette affaire, la ville de Cleveland n’est pour rien dans ce qui est arrivé. Elle doit pourtant faire face à plusieurs milliers de maisons abandonnées, avec tous les coûts liés à ces saisies : propriétés à détruire, risques pour la sécurité, taxes foncières évaporées, etc.

D’après plusieurs études, chaque saisie coûte à une municipalité plusieurs milliers de dollars ! Très tôt, il a été évident que les juges n’étaient pas favorables à notre cause.

Le cas a été rejeté, nous avons fait appel, puis nous avons demandé à la Cour suprême de se prononcer, elle a refusé début 2011. Il s’agit là d’une plainte déposée au niveau fédéral. Nous avons parallèlement entamé une procédure au niveau de la justice de l’État de l’Ohio, notamment contre JP Morgan, mais sans plus de succès, pour l’heure. Nous avons fait appel et attendons la décision.

Sur quoi repose votre argumentation ?

J. C. : Nous estimons que les acteurs de la branche des crédits dits « subprimes » savaient très bien, ou auraient dû savoir, que Cleveland, ville frappée depuis plusieurs décennies par le déclin industriel, ne pouvait supporter cette « bulle ».

Compte tenu des revenus de ses habitants, il était évident que ces pratiques allaient nécessairement conduire à une crise de grande ampleur. La justice, elle, estime, que nous n’avons pas de preuves pour étayer ce que nous affirmons, et que les difficultés à Cleveland peuvent s’expliquer par de nombreuses raisons sans rapport avec nos accusations…

D’autres villes ont-elles porté plainte ?

J. C. : Quelques municipalités ont attaqué en justice une ou plusieurs banques. Certaines de ces actions ont donné lieu à des accords à l’amiable. Baltimore (Maryland), par exemple, a attaqué la banque Wells Fargo pour avoir ciblé délibérément les populations afro-américaines pour proposer des crédits de ce type.

C’est un cas différent du nôtre : le motif de la plainte, ici, est la discrimination raciale. Baltimore demandait le remboursement des coûts générés par les saisies.

En juillet 2012, un accord est intervenu, dans le cadre d’un dossier plus large, à la suite de l’intervention du ministère fédéral de la justice : Wells Fargo a versé 175 millions de dollars, dont 7,5 millions à Baltimore. Même chose pour la ville de Memphis, dans le Tennessee. Mais c’est à peu près tout.

Et au niveau fédéral ?

J. C. : Le gouvernement américain a entrepris deux autres actions. Il y a quelques semaines, le ministère de la justice a attaqué Wells Fargo pour malversations, de fausses déclarations ayant entraîné des centaines de millions de dollars de pertes pour le gouvernement.

Le gouvernement américain poursuit aussi Bank of America : il l’accuse d’avoir sciemment créé et vendu des milliers de prêts toxiques qui ont provoqué les défauts de paiement de Fannie Mae et Freddie Mac, organismes semi-publics de refinancement des prêts immobiliers que l’administration a dû renflouer ensuite.

Enfin, en début d’année, un accord à l’amiable de 25 milliards de dollars a été trouvé entre l’État fédéral et 49 États, d’une part, et cinq grandes banques, d’autre part. Certes, il s’agit d’une somme record. Mais, pour l’essentiel, il ne s’agit pas de cash – seulement d’allègement de dettes d’emprunteurs, qui de toute façon ne pourront pas rembourser quoi que ce soit…

À voir : le documentaire franco-suisse Cleveland contre Wall Street, réalisé par Jean-Stéphane Bron, dans lequel est mis en scène le procès de banques poursuivies par la municipalité de Cleveland. Joshua Cohen défend cette dernière dans ce procès fictif.

RECUEILLI PAR Gilles Biasette, à Cleveland (Ohio) – La Croix Article original

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La crise de l’immobilier américain n’est pas terminée

Si les prix des logements ont regagné 3 % au cours des sept derniers mois, les transactions sont reparties à la baisse depuis le début de l’année.

L’immobilier chan­celle de nouveau aux États-Unis. L’amélioration de l’activité constatée depuis le printemps 2009 s’estompe. Si cette tendance se confirme, il s’agit d’une inquiétante nouvelle pour la reprise économique. La récession brutale traversée par le monde l’an dernier est partie de ce secteur clé de l’activité américaine dont la bulle a éclaté au printemps 2006.

Depuis mai 2006, les prix moyens des propriétés aux États-Unis ont plongé de 30 %. Dans certaines régions, la chute a été deux fois plus marquée. Au cours des sept derniers mois, toutefois, un rebond a été observé : la valeur moyenne des maisons américaines a grimpé de 3 %, selon l’indice Case-Shiller.

Mais les signes de rechute se multiplient. En janvier, et pour le troisième mois consécutif, les ventes de maisons neuves ont baissé. Durant l’hiver, les États-Unis ont renoué avec les plus bas niveaux de transaction jamais observés. De leur côté, les ventes de maisons anciennes ont, contre toute attente, replongé en janvier au plus bas depuis sept mois. «En termes de prix… le rythme de la détérioration s’est stabilisé pour le moment. Pour autant, le redressement observé au cours de l’été 2009 n’a pas duré», résume David M. Blitzer, qui calcule cet indice pour l’agence Standard & Poor’s.

L’amélioration de 2009 s’explique en grande partie par les interventions massives des autorités fédérales. Au pays du capitalisme, 90 % des crédits immobiliers américains se retrouvent garantis de fait par le Trésor. Ce dernier est en effet le propriétaire de facto de Fannie Mae et Freddie Mac, deux institutions financières spécialisées dans le rachat et la garantie de prêts bancaires au logement. Ces agences, nationalisées en septembre 2008, ont reçu une nouvelle mission explicite de l’Administration Obama : «Tout faire pour que les foyers qui ne peuvent payer leurs échéances de crédit immobilier puissent rester dans leur maison.»

L’oncle Sam a déjà dépensé 111 milliards de dollars pour renflouer les deux institutions. Ce n’est qu’un début. Fannie Mae demande 15,3 milliards de dollars de plus, après avoir annoncé ses dixièmes pertes trimestrielles consécutives la semaine dernière. Et la facture pourrait être bien plus lourde au final : discrètement, à la veille de Noël, le Trésor a indiqué que le plafond d’aides directes de l’État fédéral de 200 milliards fixé initialement pour Fannie et Freddie était levé.

Les classes aisées touchées

L’autre facteur de soutien à l’activité sur le point de disparaître est le crédit d’impôt d’un montant compris entre 6 500 à 8 000 dollars actuellement proposé aux acheteurs de logements. La fin de ces aides était initialement programmée à l’automne dernier. Par crainte d’un retournement trop brutal, ces incitations fiscales ont été prorogées jusque fin avril. Rien ne dit que l’Administration pourra continuer au-delà.

Sur le terrain, la réalité reste difficile pour les ménages. Le nombre de propriétés saisies par les banques auprès d’emprunteurs tombés en défaut continue de grimper. 2,8 millions de logements ont ainsi été repris l’an dernier. Cette année, le record sera battu. Le cabinet RealtyTrac anticipe 4,5 millions de saisies en 2010. Les optimistes soulignent la stabilisation à 9,5 % «du taux de retard de paiement» des crédits hypothécaires au quatrième trimestre. Cela n’empêche pas la hausse continue des défauts qui se terminent par des saisies. Le taux de défaut dépasse désormais 5 %. Tout aussi alarmant : la forte détérioration des retards de paiement des ménages appartenant pourtant à une catégorie jugée moins risquée. Le pire de la vague de défaut sur le créneau du subprime (foyers surendettés) est certes passé. Mais le défaut des classes plus aisées atteint des records et approche désormais 10 %.

Cette situation est tout aussi problématique pour les banques dont les bilans ne reflètent pas encore pleinement la montée des défauts de paiement des foyers américains pris au piège du chômage et de l’effondrement de leur patrimoine. «Dans l’ensemble, nous estimons que les banques américaines n’ont réalisé qu’un tiers de leurs pertes sur leurs prêts immobiliers résidentiels», estime Robert McNatt de l’agence Standard & Poor’s. Les établissements financiers ont beau retarder le plus possible les saisies de logements, le chômage élevé et la multiplication des «défauts stratégiques» (voir lexique ci-contre) continuent de plomber leurs bilans.

LEXIQUE

• Hamp (ou Home Affordable Modification Program)

Programme fédéral incitant les banques à réduire les taux et rallonger la durée des crédits immobiliers aux foyers qui ont au moins 60 jours de retard de paiement de leurs mensualités.

Le Trésor a mis de côté 75 milliards de dollars d’ici à 2012 pour modifier les prêts de 3 à 4 millions de foyers et éviter la saisie de leur propriété et leur expulsion. Depuis un an, 830 000 emprunteurs ont essayé ce programme à titre expérimental. Mais 25 % sont à nouveau en retard de paiement.

• Strategic Default

Il s’agit d’une pratique qui conduit un emprunteur à cesser de payer ses mensualités de crédit immobilier par choix ou calcul personnel, et non pas pour des raisons de pertes de ressources. Le «défaut stratégique» est rendu moins dangereux dans des États comme la Californie ou l’Arizona, où la banque ne peut saisir que la maison de l’emprunteur et non pas ses autres actifs.

• Under Water

Pour un foyer, c’est se retrouver «sous l’eau» lorsque la valeur de marché de sa propriété est tombée en dessous du montant de sa dette auprès de la banque. C’est le cas de près de 10 % des foyers aux États-Unis qui ont souscrit à un emprunt immobilier.

Par Pierre-Yves Dugua – Le Figaro.fr Article original

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