Oui, hier soir, la France entière retenait son souffle. Je puis vous dire que juste avant ma conférence à la mairie du XVIe arrondissement, vers 19 heures, tous les présents arboraient un large sourire et commentaient la bonne décision de la plus haute juridiction administrative française.

J’avoue que je nourrissais quelques doutes en repensant aux jugements à la Salomon rendus par les Sages du Palais Royal au sujet du voile islamique ou de l’accompagnement des sorties scolaires.. Mais cette fois ci le Conseil a bien agi et a pris ses responsabilités. Il faut reconnaître que la circulaire Valls n’était pas très bien calée juridiquement : on ne peut pas interdire un «spectacle» avant qu’il ne se produise, même lorsqu’on sait qu’il s’agit d’un multiple récidiviste. Mais là, les Sages ont pris leurs responsabilités et ont cassé la décision du tribunal administratif de Nantes.

Mais notre joie, notre soulagement risquent d’être de bien courte durée, et même si, comme je l’espère, les juridictions administratives des villes concernées, devaient suivre la jurisprudence du Conseil d’Etat, le spectacle offert au monde est affligeant. D’où un certain nombre de questions qui se posent et auxquelles il convient que les autorités compétentes apportent des réponses :

1/ Comment se fait-il que l’Etat ait attendu si longtemps pour réagir ? Comment se fait-il que toutes les condamnations de D. M’bala M’bala n’aient pas exécutées et que les amendes n’aient pas perçues ? Comment se fait il que l’on réalise tardivement que Diedonné a organisé son insolvabilité ?

2/ On ne s’explique pas vraiment que le ministère de l’intérieur soi seul à la manœuvre et que le ministère de la justice observe un silence assourdissant. Pourquoi avoir recouru à une circulaire adressée aux préfets alors que le ministère de la justice dispose d’un arsenal complet pour s’en prendre à un hommes qui se vautre dans des diatribes antisémites inqualifiables ?

3/ Il est très difficile de comprendre que dans un pays comme la France, plus de 5000 personnes se pressent pour assister à un spectacle qui n’en est pas un et veulent rire de choses qui ne sont guère risibles ? C’est probablement ici la plus grave défaite morale jamais essuyée par ce pays.

Je sais bien que le niveau d’exigence éthique de la population baisse, surtout en cette période de désarroi économique et d’affaissement social, mais tout de même ! La France, matrice de la Révolution, pays des droits de l’homme, qui laisse un type qui n’est même pas amusant, monopoliser son attention depuis des jours, au point d’oser se mesurer au ministère de l’intérieur, symbole de la puissance de tout l’appreil sécuritaire de l’Etat ?

4/ Toute cette affaire a mis à nu les dessous des batailles politiques internes. Il se murmure dans les milieux dits informés que certains au sein de la majorité actuelle n’auraient pas vraiment pleuré toutes les larmes de leur corps si l’actuel ministre de l’intérieur avait mordu la poussière… Cela aurait contribué à éloigner le spectre de mutations politiques internes et même servi les intérêts des plus hautes autorités de l’Etat dont le désamour est inversement proportionnel à la popularité du ministre de l’intérieur… Si de telles rumeurs devaient s’avérer, cela n’augure rien de bon pour le pouvoir.

5/ Enfin, et c’est le plus important, la situation des juifs de ce pays ne ressort pas mieux garantie. En s’attaquant à la mémoire de la Shoah, en tournant en dérision les souffrances et le sacrifice suprême d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants durant la seconde guerre mondiale, et ayant pu le faire impunément (puisque toutes les condamnations de D. M’bala M’bala) n’ont rien donné, le pouvoir a éveillé le doute et le soupçon dans l’esprit des juifs de France : comment la République peut elle rester inerte face à un homme qui agit de la sorte et récidive impunément ? Il est à craindre qu’un nouvel exode ne reprenne comme du temps où les agressions antisémites en France étaient quasi-quotidiennes.

En conclusion, ceux qui ont osé se prévaloir de la liberté d’expression pour donner raison à ce polémiste de bas étage, ceux qui ont osé avancer qu’il fallait attendre qu’il commette un nouveau délit pour agir, alors que nous avons affaire à un multiple récidiviste, oui, ceux là se trompent lourdement..

Jamais je n’aurais imaginé qu’une telle honte pouvait s’abattre sur ce pays. Heureusement que les Sages du Palais Royal sont là..

Maurice Ruben Hayoun.
TDG du 10 janvier 2014

Interdiction Dieudonné : le Conseil d’Etat réplique aux critiques

Après les deux ordonnances confirmant l’interdiction des spectacles de Dieudonné à Nantes et Tours, le vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, répond aux critiques sur la limitation de la liberté d’expression.

La rapidité de l’intervention du Conseil d’Etat, quelques heures après la décision du tribunal administratif de Nantes, jeudi 9 janvier, a semblé à beaucoup étonnante.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé dans ces affaires en appel, dans le cadre d’une procédure d’extrême urgence, le référé-liberté, où il doit statuer en moins de quarante-huit heures lorsqu’est invoquée une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Si le juge laisse passer l’événement à l’occasion duquel cette atteinte est alléguée, il ne peut que conclure à un non-lieu, c’est-à-dire renoncer à se prononcer et à exercer son office. Le Conseil d’Etat, comme les tribunaux administratifs, refuse par principe de consentir à cette mutilation. Ainsi le juge des référés doit statuer, dès lors que c’est possible, avant que ne se produise l’événement en question. C’est la raison pour laquelle, jeudi, le juge des référés du Conseil était prêt à statuer sur l’appel émanant de toute partie avant l’heure du début du spectacle.

Si l’appel était venu de Dieudonné M’bala M’bala et non du ministère de l’intérieur, cela aurait également été le cas ?

Evidemment ! Et c’est bien ce qui s’est produit vendredi le Conseil d’Etat a prononcé une seconde ordonnance, confirmant l’interdiction du spectacle »>Article original.

Le fait d’interdire un spectacle ne constitue-t-il pas une atteinte inédite à la liberté d’expression ?

Le Conseil d’Etat s’est prononcé en considération de sa jurisprudence, notamment les arrêts « commune de Morsang-sur-Orge » et « Benjamin », qui ont respectivement 18 et 81 ans d’âge. Il a, avec ce spectacle, été confronté à une situation inédite d’articulation entre la liberté d’expression et ses limites nécessaires dans une société démocratique.

Vous me permettrez de ne pas en dire davantage, car si M. M’bala M’bala demande au fond l’annulation des interdictions de son spectacle, je suis susceptible de siéger en cas de pourvoi en cassation, après examen collégial par le tribunal puis la cour administrative d’appel.

Qu’entendez-vous par « situation inédite » ?

Le Conseil d’Etat n’a jamais été confronté à des dossiers dont les caractéristiques étaient analogues à celles du spectacle qui a justifié les mesures d’interdiction. En particulier, c’est la première fois que se pose la question de savoir comment prévenir des provocations répétées à la haine et à la discrimination raciale et des propos portant atteinte à la dignité humaine.

Je voudrais d’ailleurs couper court à des insinuations malveillantes : c’est la loi qui dispose que le juge des référés du Conseil d’Etat est le président de la section du contentieux ainsi que les conseillers d’Etat qu’il désigne à cet effet. En outre, ceux qui critiquent aujourd’hui pour des raisons ignominieuses l’ordonnance rendue jeudi se sont bien gardés de critiquer celle qui a enjoint de ne pas faire obstacle à l’université d’été du Front national à Annecy en 2002. Et pourtant ces deux décisions ont le même auteur. On serait avisé d’y réfléchir.

Quelle est la portée jurisprudentielle de ces décisions ?

Elles sont de nature à éclairer les juges des référés des tribunaux administratifs, pour autant que les circonstances soumises à ces juges soient identiques ou très semblables. Elles concernent un spectacle, tel qu’il a été conçu et précédemment interprété, ainsi que des circonstances locales déterminées.

Avez-vous conscience du trouble qu’ont engendré ces décisions du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative traditionnellement attachée à la défense des libertés ?

Le juge n’est pas dans une tour d’ivoire. Mais il exerce son office en droit et en toute impartialité. Dans ces affaires, il s’est situé dans la continuité de sa jurisprudence, qui est protectrice des libertés, mais qui a aussi intégré la dignité humaine comme composante de l’ordre public. Lorsqu’il se prononce, il le fait aussi au regard de la convention européenne des droits de l’homme, dont les articles 10 et 11 assortissent les libertés d’expression et de réunion de restrictions nécessaires et proportionnées.

Cette notion fait écho aux valeurs et principes essentiels de notre société, sans lesquels le lien social serait rompu.

Que répondez-vous aux critiques qui assurent que le Conseil d’Etat est une institution politique ?

Cela est parfaitement injustifié et ne rend compte en aucune manière de la réalité du travail du Conseil et de l’éthique de ses membres, qui constituent une référence en Europe. On ne peut approuver une décision du juge lorsqu’elle vous est favorable, et la stigmatiser pour de prétendues raisons politiques lorsqu’elle est défavorable.

Par ailleurs, en réponse au Défenseur des droits qui souhaitait voir clarifié le statut des parents accompagnant les sorties scolaires, le Conseil d’Etat a estimé que l’on pouvait restreindre l’expression des convictions religieuses. Cette position ne rompt-elle pas avec sa tradition « libérale » en matière de liberté d’expression ?

Il n’y a pas plus en cette matière que dans l’affaire Dieudonné d’inflexion ou de revirement par rapport aux principes qui gouvernent notre jurisprudence depuis plus d’un siècle. Nous nous sommes efforcés de dissiper toute incertitude : en l’état actuel du droit, il est possible d’interdire la manifestation de convictions religieuses, politiques, syndicales ou philosophiques des parents accompagnateurs des sorties scolaires, même si ces parents ne sont pas des agents du service public. La base de cette interdiction peut résider dans le bon fonctionnement du service ou le respect de l’ordre public. Il en résulte que la circulaire Chatel ancien ministre de l’éducation »>Article original de 2012 ne pose pas sur ce point de problème de droit.

Elle avance pourtant comme principe que les parents sont soumis au principe de neutralité du service public. N’y a-t-il pas là une contradiction avec votre approche ?

La « cohésion nationale », visée par la première ordonnance, fait-elle partie de la jurisprudence classique du Conseil ?

Les raisonnements sont un peu différents, mais leurs conclusions convergent. Le Conseil d’Etat défend une conception claire et constante du principe de laïcité qui repose à la fois sur la neutralité religieuse de l’Etat et des services publics, la garantie de la liberté de conscience, de religion et d’exercice du culte et l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction de religion. Dans les services publics, nous définissons un équilibre qui doit notamment concilier liberté religieuse et neutralité du service.

Franck Johannès Stéphanie Le Bars Luc Bronner / Le Monde Article original

TAGS: France Antisémitisme Dieudonné Conseil d’Etat Nantes

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marman68

ils font tout un cirque médiatique autour de Dieudonné bla…. bla…. bla…mais quand des juifs sont assassinés dans la banlieue parisienne là et ailleurs, il n’y en a pas UN QUI BOUGE OU DIT QUOI QUE CE SOIT
Ce qui montre bien que les socialistes sont des charlots QUI JOUENT LES REDRESSEURS DE TORDS
mais quand aux choses politiques, choses du chômage chose de la pauvreté, et bien d’autres encore là personne n’en parlent, personnes ne bougent ils sont en train de noyer le poisson comme on dit avec des conneries, car tous le monde a les yeux fixés sur Dieudonné tandis qu’a côté les gens crèvent, les impôts augmentent, les taxes augmentent, les gens s’appauvrissent de plus en plus, et ses messieurs du gouvernement n’ont rien d’autres à foutrent que de jouer les monsieur loyal.
Alors OUI JE LE REDIS CE GOUVERNENT DE GAUCHE EST UNE CATASTROPHE AMBULANTE.
Et pendant que tout le monde aura les yeux fixé sur Dieudonné, eux en profiteront pour faire encore passé des lois débiles, et les gens n’y verront que du feu, et comme ça la pillule passera mieux, alors non seulement ce sont des charlots mais en plus ce sont des hypocrites, je le dit tant que je le peux encore, car bientôt vous verrez que la liberté d’expression sera interdite par la loi, avec ce gouvernement à mon avis ce ne saurait tardé