Torah
Shemot (5774) –

La Paracha de cette semaine pourrait s’appeler : “La Naissance d’un Leader” avant celle d’une Nation »>Article original. Nous voyons Moïse, adopté par la fille de Pharaon, grandir en tant que ¨Prince d’Egypte. Nous le voyons devenir un jeune homme, qui, pour la première fois, réalise ce que sont les implications de sa véritable identité. Il est, et sait qu’il est, le membre d’un peuple souffrant et réduit en esclavage. « En grandissant, il sortit vers là où se trouvait son peuple et les observait accomplir leur dur labeur. Il vit un Egyptien qui fouettait un Hébreu, l’un de ceux appartenant à son propre peuple » (Ex. 2: 10).

Il intervient. Il agit : c’est la marque d’un véritable futur Chef. Nous le voyons intervenir trois fois, deux en Egypte, une fois à Midiane, pour secourir des victimes de violence. Nous sommes, ensuite, témoin de la grande scène du Buisson Ardent , à laquelle D. le convoque pour présider aux destinées de son peuple et le conduire vers la liberté. Moïse hésite quatre fois jusqu’à ce que D. se mette en colère et que Moïse comprenne qu’il n’a pas d’autre choix. C’est le récit classique de l’enfance d’un Héros.

Mais ce n’est là que la surface des choses. La Torah est un Livre subtil et profond, et il ne fait pas toujours remonter son message à la surface. Juste au-dessous coule une autre et non moins remarquable histoire, non pas tant autour de ce héros, mais autour de six héroïnes, six femmes courageuses sans lesquelles il n’y aurait pu y avoir un Moïse.

La première, c’est Yocheved, la femme d’Amram et la mère des trois personnes qui allaient devenir les grands dirigeants du peuple juif : Myriam, Aaron et Moïse lui-même. C’est Yocheved qui, au plus fort des persécutions égyptiennes, a eu le courage d’avoir un enfant, de le cacher durant trois mois et ensuite, de concevoir un plan pour lui donner une chance d’être secouru. Nous en savons tous trop peu sur Yocheved. Dans sa première apparition dans la Torah, elle n’est même pas nommée. Pourtant, en lisant le narratif, on n’a plus aucun doute sur son courage ni qu’on a vraiment affaire à une femme pleine de ressources. Ce n’est vraiment pas par accident que ses enfants sont tous devenus de grands chefs.

La seconde, c’est Myriam, la fille de Yocheved et la sœur aînée de Moïse. C’est elle qui a veillé sur l’enfant, alors que la corbeille flottait en descendant le fleuve, et qui a approché la fille de Pharaon, en lui faisant la suggestion qu’on puisse prendre soin de lui au sein de son propre peuple. Le texte biblique dépeint le portrait de la jeune Myriam comme un personnage doté d’une présence d’esprit et d’une absence de crainte hors du commun. La tradition rabbinique va plus loin. Dans un midrach remarquable, nous apprenons comment la jeune Myriam a affronté son propre père Amram et l’a persuadé de changer d’état d’esprit. Entendant parler du décret disait que tout enfant israélite mâle serait jeté dans le fleuve, Amram a conduit les Israélites à divorcer de leurs femmes pour qu’elles n’aient ainsi plus d’enfant. La logique était de son côté. Etait-il juste de mettre des enfants au monde, s’il existait 50% de risque qu’ils soient tués à la naissance ? Pourtant, Myriam, ainsi va la tradition, a su lui en remontrer : « Ton décret », lui dit-elle, est « pire que celui de Pharaon. Il n’affecte que les garçons et le tien affecte tous les enfants. Il prive les enfants de vie en ce monde ; le tien les privera de vie même dans le monde à venir ». Amram a fléchi, et, en conséquence, Moïse a pu naître 1″>Article original . L’implication est claire : Myriam avait une foi plus grande que celle de son père.

La troisième et la quatrième sont des femmes moyennes : Shifrah et Puah, qui ont contrarié la première tentative de génocide de Pharaon. Appelées à tuer les enfants Israélites mâles à la naissance, elles « se mirent à craindre D. et ne firent pas ce que le Roi d’Egypte leur demandait de faire ; elles ont, finalement, laissé vivre les garçons » (Ex. 1: 17). Convoquées et accusées de désobéissance, elles se montrent plus malignes que Pharaon en échafaudant un récit aussi mystérieux qu’ingénieux : les femmes des Hébreux, disent-elles, sont vigoureuses et donnent naissance avant que nous n’arrivions. Elles ont échappé à la punition et ont continué à sauver des vies humaines.

La signification de cette histoire nous est donnée par le fait qu’il s’agit du premier exemple jamais écrit de l’une des plus hautes contributions du Judaïsme à la Civilisation : l’idée qu’il existe des limites morales à tout pouvoir. Il ya des ordres auxquels il ne faut pas obéir. Il se commet des crimes contre l’humanité qui ne peuvent être excusés par la prétention que « je ne faisais qu’obéir aux ordres ». Ce concept, connu d’ordinaire sous le nom de « désobéissance civile » est communément attribué à l’écrivain américain du XIXè siècle David Thoreau et il a pénétré la conscience internationale après la Shoah et les procès de Nuremberg. Mais sa véritable origine, cependant, remonte à des milliers d’années plus tôt, dans les actes de deux femmes, Shifra et Puah. A travers leur courage tant mésestimé, elles ont mérité une très haute place parmi les héros historiques de la morale universelle, en nous enseignant la primauté de la conscience sur la conformité, la loi de Justice sur la loi du pays 2″>Article original
.
La cinquième est Zipporah, la femme de Moshé Rabbinou. Fille d’un prêtre midianite, elle était, néanmoins, déterminée à accompagner Moïse dans sa mission en Egypte, en dépit du fait qu’elle n’avait aucune raison de risquer sa vie dans une aventure aussi hasardeuse. Dans un passage profondément énigmatique, c’est elle qui a sauvé la vie de Moïse, en pratiquant la circoncision sur leur fils (Ex. 4: 24-26). L’impression que nous avons d’elle est qu’elle incarne une détermination absolument monumentale, qui, à un moment crucial, a un sens bien plus affiné que Moïse lui-même sur ce que D. attend d’eux.

J’ai gardé pour la fin la plus intrigante d’entre toutes : la fille de Pharaon. C’est elle et personne d’autre qui a eu le courage de sauver un enfant israélite et de l’emmener chez elle, dans le Palais même, depuis lequel son père complotait à la destruction du peuple d’Israël. Pourrions-nous imaginer la fille d’Hitler, d’Eichmann ou de Staline, faire la même chose ? Il y a quelque chose de fondamentalement héroïque et grâcieux, qui émane de ce personnage qui n’est que brièvement esquissé, la femme qui a donné son nom à Moïse. Qui était-elle ? La Torah ne lui donne pas de nom. Cependant, le Premier Livre de Chroniques (4: 18) mentionne bien une fille de Pharaon, appellée Bitya et c’est elle que les sages identifient comme la femme qui a sauvé Moïse. Le nom de Bitya (certaines fois prononcé comme Batya) signifie : « La fille de D. ». De là, les Sages nous enseignent l’une de leurs leçons les plus surprenantes :

« Le Saint béni soit-Il, lui a dit : « Moïse n’était pas ton fils, pourtant tu l’as appelé comme ton fils. Tu n’es pas Ma fille, mais Je t’ appellerai Ma fille » 3″>Article original
.

Et ils ajoutent qu’elle fut l’une des très rares (la Tradition en énumère neuf) qui étaient si Justes qu’elles sont entrées au paradis de leur Vivant 4″>Article original

Aussi, en surface, la Paracha traite de l’initiation au commandement d’un homme remarquable, mais, juste au-dessous de la surface surgit un contre-récit de six femmes extraordinaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais eu de Moïse. Elles appartiennent à une longue tradition de femmes fortes, à travers toute l’histoire juive, de Deborah, Hannah, Ruth et Esther, dans la Bible, à des personnages plus modernes, comme Sarah Scheniner et Nechama Leibowitz, à d’autres personnalités plus séculières, comme Anne Frank, Hanah Senesh et Golda Méïr.

Comment se fait-il, alors, si les femmes s’en sortent comme aussi puissantes, en tant que cheffes de file, qu’elles aient pu à ce point être exclues, par la loi juive, de certains rôles de commandement ? Si nous y prêtons attention, avec un peu plus de minutie, nous verrons que les femmes ont, dans l’histoire, étaient exclues de deux domaines. L’un correspond à la « couronne de la Prêtrise », qui est allée à Aaron et ses fils. L’autre a été « la couronne de royauté », qui est allée à David et à ses fils. Il s’agissait là de deux rôles construits sur le principe de la succession dynastique. De l’accès à la troisième couronne, -la « couronne de la Torah » – cependant, jamais les femmes n’en ont été exclues. Il y eut des Prophétesses, et pas seulement des Prophètes. Les Sages énumèrent sept d’entre elles. Il y a eu de grandes érudites en Torah, depuis la période Mishnaïque (Beruriah, Ima Shalom), jusqu’à nos jours.

L’enjeu est une distinction plus générale. Rabbi Eliyahu Bakshi-Doron, dans sa Responsa, Binyan Av, différencie entre l’autorité formelle ou officielle (samchut) et l’autorité réelle (hanhagah). 5″>Article original. Il existe des personnalités qui occupent des positions d’autorité –Premiers Ministres, Présidents, PDG – qui pourraient bien ne pas être du tout des chefs. Ils peuvent avoir le pouvoir de forcer les gens à faire ce qu’ils disent, mais ils n’ont pas de disciples. Ils ne suscitent aucune admiration. Ils n’inspirent aucune émulation. Et il peut y avoir des leaders qui ne détiennent aucune position du tout, mais vers lesquels on se tourne pour recueillir un conseil et qu’on tient pour des rôles de modèles. Ils n’ont aucun pouvoir mais une grande influence. Les prophètes d’Israël appartiennent à cette catégorie. Aussi, souvent, sont-ce les gedolei Yisrael, les Grands Sages de chaque génération. Pas plus Rachi que Maïmonide ne détenaient de position officielle (certains érudits disent que Maïmonide était Grand Rabbin d’Egypte, mais la plupart pensent qu’il ne l’était pas, alors que ses descendants le sont devenus). Partout où le commandement dépend de qualités personnelles – ce que Max Weber appelait l’autorité charismatique – et non sur le poste détenu ou le titre, il n’y aucune distinction entre hommes et femmes.

Yocheved, Myriam, Shifra, Puah, Zipporah et Batya étaient des femmes de tête, non pas en raison de la position officielle qu’elles détenaient (dans le cas de Batya elle préside aux destinées, en dépit de son titre officiel, en tant que Princesse d’Egypte). Ce sont des dirigeantes, parce qu’elles avaient, à la fois, courage et conscience. Elles ont refusé de se laisser intimider par le pouvoir ou d’être vaincues par les circonstances. Elles sont les véritables héro(ïne)s de l’Exode. Leur courage est toujours une source d’inspiration aujourd’hui.

16 Décembre 2013

Rabbin et Lord Jonathan Sacks

rabbisacks.org Article original

Adaptation : Marc Brzustowski.

PS : cette Paracha, et le Livre qu’elle inaugure comportent bien d’autres enseignements. Notamment, elle débute par : vé éleh Chemot Bn’ei Israël (Voici les Noms des enfants d’Israël). Mais, bien au-delà de la révélation de l’identité d’Israël et de ses enfants, il faut se reporter à l’épisode du Buisson Ardent, où Hachem révèle le Nom à Moshé, celui qui conduira le peuple :

’éheyiéh ’asher ’éheyiéh (Genèse 3,14)

« Je serai Qui Je serai »…

De là, on perçoit que Chemot est, d’abord, le Livre de la Révélation, où seront, entre autres, évoqués les 13 attributs d.ivins…. Il est donc naturel qu’il coïncide avec la libération du peuple, qui se manifeste par la sortie d’Egypte.

Suggestion de Moshe Cohen-Sabban

________________________________________
1″>Article original Shemot Rabbah 1: 13.

2″>Article original Il existe, bien sûr, une tradition midrashique disant que Shifra et Puah sont d’autres noms de Yocheved et Myriam. Dans le texte, je suis l’interprétation donnée par Abarbarnel et Luzzatto.

3″>Article original Vayikra Rabbah 1: 3.

4″>Article original Derekh Eretz Zuta 1.

5″>Article original Rabbi Eliyahu Bakshi-Doron, Responsa Binyan Av, 2nd edn., no. 65.

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