Dans l’affaire du crash de l’A320, l’enquête a révélé que le copilote resté aux commandes avait souffert d’une grave dépression. En tant que psychiatre, que cela vous inspire-t-il?

En tant que psychiatre je sais bien que le comportement des individus est essentiellement imprévisible et que l’on peut être confronté à un acte suicidaire qu’on ne pouvait pas anticiper. Les pilotes ne sont pas à l’abri des dépressions et des tentations suicidaires. Leur recrutement se fait sur des critères d’aptitudes techniques, intellectuelles et également sur des tests de personnalité. Mais même avec toutes ces données, un individu qui a été considéré comme parfaitement équilibré à un moment donné peut passer par une phase de son existence où il a une tentation suicidaire, pour des raisons très variées.

Qu’est-ce qui peut pousser un individu à se donner la mort?

Il y a plusieurs formes de suicide:

Le suicide philosophique. Ces sont des gens qui se suicident car ils considèrent que la vie est absurde et qu’il est incohérent de la poursuivre. C’est une forme que je n’ai pas rencontrée: certains philosophes l’auraient fait pour être cohérents par rapport à leurs idées. Ce suicide philosophique alimente plus des œuvres philosophiques que des actes.

Puis il y a le suicide existentiel qui est assez proche du suicide philosophique. Il s’agit du suicide de personnes d’un certain âge qui considèrent avoir accompli ce qu’elles devaient accomplir et qu’elles doivent tirer leur révérence. Leurs décisions sont mûries. Je ne rencontre également pas ce genre de cas.

Il y a ensuite le suicide narcissique, qui ne concerne qu’un nombre limité de suicides. Malraux disait: «on se suicide pour exister». Il s’agit en effet de personnes qui ont le sentiment de ne pas avoir la reconnaissance qu’elles méritent et qui ressentent cette ignorance de leur personne comme une violence. Elles répondent à cette violence par une autre: celle de se donner la mort. Il s’agit principalement de tentatives qui aboutissent pour certaines à un «succès», disparaitre réellement. Cela correspond à une faille narcissique de personnes qui n’ont pas été aimées et comprises comme elles le devraient, ou qui possèdent une avidité excessive dans le domaine affectif. Ces personnes peuvent alors décider de se suicider pour faire comprendre à ceux qui les ignorent que ceux-ci les ont fait énormément souffrir au point de les faire mourir. C’est une manière de ne plus se faire oublier.

La dernière forme de suicide est celle à laquelle je suis le plus souvent confronté. Il s’agit du suicide mélancolique, des personnes profondément dépressives. C’est une maladie qui transforme complètement le rapport à l’existence. Chaque instant qui s’écoule devient un effort insurmontable. Face à cette douleur dont elles se sentent prisonniers jusqu’à la fin de leurs jours, les personnes qui en souffrent estiment qu’il vaut mieux se donner la mort. Ainsi, certains envisagent la mort comme l’unique moyen d’échapper à une situation épouvantable.

Ces catégories ne sont évidemment pas étanches, d’autant plus que chaque cas est unique.

Est-il possible d’avoir une poussée suicidaire brutale? Qu’une personne qui ne manifestait jusque-là pas ou plus de signes d’une dépression ou d’une mélancolie aient brusquement envie de se donner la mort?

La dépression est une maladie. Elle peut parfois avoir un début extrêmement brutal sans signes qui permettent d’en annoncer le début. Il peut donc y avoir des suicides totalement incompréhensibles en apparence et qui marquent en fait la personne est tombé très brutalement dans un état de dépression avec des idées obsédantes de mort. Ce sont des cas rares mais qui existent.

Il peut y avoir des dépressions masquées: malgré ses idées noires, le patient parvient à donner le change, tromper l’entourage jusqu’à la révélation brutale par l’acte suicidaire.

Il y a déjà eu au moins quatre cas de suicides de pilotes ayant abouti au crash d’avions commerciaux. Le suicide est en général un acte solitaire, pourquoi certains individus suicidaires décident d’entraîner d’autres personnes dans leur mort?

Le suicide est un acte où la personne a décidé de mourir, sa vie personnelle ne compte désormais plus. Si elle est prête à cette violence-là, elle n’a évidemment plus les mêmes rapports à l’existence. On peut imaginer que pour certaines de ces personnes-là, y entrainer les autres ça n’est jamais que faire disparaitre le reste du monde avec soi. Ça ne compte pas plus que se supprimer soi-même.

Il y a d’ailleurs des cas où certaines personnes se suicident sans tenir compte des risques que cela entraine pour les autres comme, par exemple, les suicides au gaz.

La manière de se suicider peut donc varier selon l’empathie et le sentiment de responsabilité de la personne suicidaire. Certains seront très inquiets des dommages qu’ils risquent d’occasionner aux autres, d’autres s’en moquent pas mal. La plupart des personnes suicidaires conservent cependant cette conscience de l’autre.

Certains suicidaires sont enfermés dans un univers délirant. On peut citer un cas particulier: le suicide dit «altruiste». Il s’agit de personnes suicidaires qui entrainent dans la mort les gens qu’ils aiment car ils estiment que la vie est devenue un tel enfer qu’ils veulent y soustraire leurs proches. Ce sont des cas dont on entend parfois parler dans les faits divers. Mais je pense que ceux qui mettent fin à leur vie en crashant un avion ne le font pas par amour des passagers. Ils le font parce qu’ils sont obsédés par leur propre désir de mort et qu’ils en oublient leurs responsabilités.

La psychiatrie peut-elle tout expliquer? Reste-t-il une part de mystère dans la psychologie humaine?

La psychiatrie ne peut pas expliquer complètement le mystère du passage à l’acte. Dans un contexte dépressif, la tentation de l’acte s’explique, compte tenu du bouleversement mental, mais sa réalisation reste énigmatique: pourquoi tel dépressif se suicidera et non tel autre, tout aussi profondément atteint?

Une de mes patientes était sujette à des dépressions mélancoliques répétitifs. Lors d’une rechute profonde, elle m‘a rapportée qu’elle était asseoir sur son balcon, au 15° étage, jambes ballantes dans le vide. C’était la nuit, son mari dormait, elle avait déplacé un tabouret pour grimper sur le rebord. Le désir de mourir était intense. Après un moment, elle a décidé qu’elle ne sauterait pas. Elle ignorait pourquoi: que s’était-elle dit à ce moment-là?

La maladie dépressive est donc une transformation profonde de la pensée et du ressenti qui s’accompagne quelquefois d’une volonté farouche de se donner la mort. Elle est liée à un bouleversement chimique du fonctionnement cérébral, ce qui rend les traitements antidépresseurs, très efficaces, Contrairement à ce que l’on croit, cette maladie n’a rien à voir avec le caractère: elle peut survenir chez des gens parfaitement équilibrés, au caractère heureux et au tempérament volontaire. Elle n’est pas un simple accès de faiblesse ou de désespoir. Elle représente plutôt un effondrement complet et profond de la motivation et de l’élan vital, comme on n’en expérimente jamais en dehors de ce mal. Ces troubles débutent volontiers vers l’âge de 35 ans ; ils sont souvent familiaux ; ils se manifestent surtout à certaines saisons: printemps et automne, et sont aggravés par les irrégularités de rythme de vie. Il est certain que les changements de fuseau horaires auxquels sont exposés en permanence les personnels navigants ne peuvent qu’aggraver le mal.

Dans cette tragédie du crash A320, il ne faut cependant pas perdre de vue qu’il s’agit d’un évènement exceptionnel: il n’y a pas tant de suicidaires que cela qui passent à l’acte, et encore moins de pilotes, surtout en plein vol. Il s’agit d’une conjugaison de facteurs rarissime.

Jean-Paul Mialet, psychiatre, est l’auteur de Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel (2011).

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jacqueline1

IL NE FAUT PAS TERGIVERSER CE COPILOTE EST UN ASSASSIN AVANT TOUT,

ARRETONS DE METTRE SON GESTE IGNOBLE SUR UNE QUELCONQUE MALADIE MENTALE