Le Chef des renseignements nationaux, Daniel Coats confirme que Washington envisage de punir le régime Assad pour ses bombes chimiques.

La précédente frappe de 59 Tomahawks contre la base aérienne de Sheyhat n’avait que provisoirement dissuadé Assad : Dorénavant, il emploie des bombes au Chlore, moins meurtrières, plutôt que celles au gaz Sarin. D’autre part, le scandale humanitaire de la Ghouta orientale, prise en otage par Assad et les Islamistes de l’autre, est loin d’être unique, en Syrie : le bras de fer devient multiple, contre l’Iran, mais tout autant, la Turquie -formellement « dans le même camp », mais en fait, pas du tout!-  qui affaiblit considérablement les Kurdes d’Afrin, trop rudimentairement armé pour faire face à l’artillerie, l’aviation et les tanks d’un envahisseur turc employant des milices proches des Islamistes d’Al Qaïda pour progresser. Une ou des frappes américaines circonscrites ne parviendraient pas à « renverser la table » de cette logique infernale, où le terrorisme d’Etat, syrien ou turc, est maître du jeu dans ses zones d’influence.

D’autre part, -non négligeable-, celui qui pose en « Juge de Paix et de Guerre », Poutine, tient les rênes, dans tous les secteurs stratégiques et déploie des forces bien plus conséquentes que celles que s’autorise l’Amérique, à ce stade. Il faut donc une véritable stratégie de long terme pour prétendre sortir de ce bourbier de la surenchère, tout en évitant les pièges de la confrontation directe avec un ou plusieurs des acteurs régionaux. Le concept de dissuasion, dans toutes ses connotations, pourrait-il ici reprendre le service qu’il a tenu, durant les années de « guerre froide », à l’ère atomique, où l’Iran fait briller ses crocs? 

US National Intelligence Chief Confirms Washington Mulls Military Action Against Syrian Government

Un missile de croisière est lancé du pont de l’USS Ross en Mer Méditerranée. Photo de l’U.S. Navy par le Spécialiste de la Communication de Masse de 3 ème Classe, Robert S. Price

Le Directeur des Renseignements Nationaux des Etats-Unis, Daniel Coats, a confirmé mardi, que les Etats-Unis envisagent sérieusement plusieurs scénarios de nouvelles attaques contre le régime syrien, qui se justifient amplement, sur le plan du droit international, du fait de l’emploi constant et incorrigible d’armes chimiques, -qui plus est, contre le peuple qu’il est censé diriger- ce qui est prohibé par les lois de la guerre.

“ Tout comme vous avez pu voir la réplique du Président à l’attaque (à l’arme chimique) l’an dernier, c’est quelque chose qui fait actuellement l’objet de sérieuses discussions et évaluations, à l’heure où nous l’évoquons, mais une fois encore, cela doit être débattu, lors d’une session classée secret-défense », a déclaré Coats devant la commission du sénat, en rappelant les frappes de missiles tomahawks contre la base aérienne de Shairat.

Un peu plus tôt, le Washington Post a réalisé un reportage disant que l’Administration Trump avait commencé à envisager de nouvelles frappes en Syrie la semaine dernière. Initialement, le Pentagone a commencé par démentir le sens de ce reportage. Cependant, il semble, à présent, que la Maison Blanche soit réellement prête à de nouvelles frappes, qui devraient aller bien au-delà de la « frappe symbolique » qui n’aurait que valeur de « rappel », car Assad perd très vite la mémoire, en matière d’armes chimiques, quelles qu’elles soient, tant qu’il garde les coudées franches de la part de la Russie et de l’Iran.

D’autre part, cela ne résout pas le problème de la prise en otage de la population :

  • autant par les forces du régime, -qui tirent désormais des armes chimiques grâce à l’artillerie au sol, ce qui rend ces tirs moins repérables que par avion, grâce aux satellites, et compliquent les enquêtes, qu’on peut ensuite toujours nier ou attribuer à l’ennemi-,
  • que des groupes islamistes comme le Faylaq al-Rahman, lié aux Frères Musulmans syriens et le Jaish al-Islam, assemblage hétéroclite de salafistes.

S’il n’est pas aussi simple de remonter jusqu’aux commanditaires de ce type de milices islamistes, dans le maelstrom qu’est devenue la Syrie, les Frères Musulmans et les Salafistes ont, au moins, deux adresses bien connues : Ankara et Doha au Qatar. Idéalement, ils commenceraient à être de plus en plus marginalisés par les autres pétromonarchies, sous les coups de semonces du jeune Mohammed Bin Salman. Du moins, est-ce ce qui se raconte dans les coulisses des chancelleries.

Or, on peut dire que ces deux pays conservent toutes les apparences trompeuses d’être, nonobstant, des « alliés » de l’Amérique, d’un genre très particulier. La Turquie abrite une des armées réputées les plus « puissantes » de l’OTAN, bien que la réputation semble surfaite-  et garde pignon sur rue sur les étendues les plus dangereuses du Moyen-Orient : la Syrie, précisément, mais aussi l’Irak et l’Iran. Même si Ankara, dans sa propagande, désigne l’Amérique comme l’un de ses pires ennemis et dit affronter les « Kurdes Américains » en Syrie, toutes les dimensions géostratégiques de ces relations ambiguës doivent être disséquées à la loupe.

Il en va de même du Qatar, objet actuel d’un embargo de la part des pays du Golfe, pris de fièvre réformiste, sous l’impulsion des deux Princes MbS et MbZ, considéré comme la bête noire islamiste, qui blanchit l’argent sale du terrorisme en or pour l’achat de ses clubs de football. Doha, incidemment, héberge la Vème Flotte des Etats-Unis et, comme Incirlik, en Turquie, de l’autre côté de la boucle, la Cité-Etat reste une base avancée de l’Armée Américaine.

Trump se trouve donc confronté à un nouvel Axe du Mal qui, comme Cerbère aurait au moins six têtes, si on intègre dans le lointain, la Corée du Nord, qui joue un rôle de stimulateur dans le développement du programme d’armes chimiques syro-iranien.

Comme on le sait, depuis le 20 janvier dernier, la Turquie flanquée de ses sbires islamistes, tous issus des Frères Musulmans syriens ou de groupes proches de l’Hayat Tahrir Al Sham, ex-Jabhat Al Nusra, s’est lancée dans une entreprise de démolition de toute vie démocratique dans l’enclave Kurde d’Afrin. Progressant très faiblement au départ, les Turcs et leurs djihadistes se seraient rendus maîtres d’une centaine de villages, soit selon les rapports, d’environ 22 à bientôt 40% de la superficie de ce secteur nord-ouest de la Syrie. Désormais, avec les Turcs à 9km du centre d’Afrin, la situation est excessivement grave :

Or, ce n’est qu’à ce stade, critique pour ce canton, qu’on sent le Pentagone commencer à se poser des questions sur les risques qu’encourent sa coalition, à lâcher les Kurdes et leurs alliés au sein des FDS. Jusqu’à ce jour, les Etats-Unis n’ont fait que renvoyer des messages rassurants à Erdogan et son gouvernement, en lui faisant comprendre qu’ils « comprenaient » les « inquiétudes » turques, quant à l’installation d’une région autonome kurde, dans son « arrière-cour » courant d’Idlib à la province d’Alep. Mais, au-delà des embuscades et des tués, civils et miliciens dans cette enclave, il convient de ne pas se tromper sur le projet de nettoyage ethnique qu’entreprend Erdogan, dans cette région, ce qui est sa façon de peser, un jour, à nouveau sur le destin de cette partie de Syrie, autrefois sous domination ottomane… En y cultivant un djihadisme proche d’Al Qaïda, il pense qu’ainsi les kurdes et autres minorités seront mieux gardés et éviteront de relever la tête…

Face au projet monomaniaque de la Turquie islamisée, la capacité de résistance à long terme des YPG peut s’amenuiser, confrontés à l’armement lourd d’en face, ce qui pose directement ou indirectement un problème de conscience au Pentagone et à ses alliés : depuis le début, les Occidentaux ont montré patte blanche au grand méchant loup gris turc, en jurant ne pas transférer d’armes aux YPG, autres que pour combattre Daesh sur l’Euphrate. De fait, les Kurdes sont contraints de se fournir des missiles à l’épaule anti-tanks sur le marché noir et leur provenance semble, majoritairement venir de Chine… ou d’Iran. Ce qui n’est pas sans poser un nouveau problème au moins tactique et logistique à l’Amérique : loin de soutenir les Kurdes, militairement, on est en train de les renvoyer, ne serait-ce que pour s’armer, soit vers des concurrents : les Chinois, soit, carrément dans les bras du Diable avec lequel on ne dîne qu’avec de grandes cuillères : l’Iran…

De la part des ennemis de l’Amérique, il semble y avoir là un piège qui serait le suivant : Russes et Syriens, avec l’aval de l’Iran ont ouvert tous grands les cieux d’Afrin aux bombardiers et à l’artillerie d’Ankara. A un moment donné, soit les YPG et leurs alliés se jettent à la rescousse de leurs compatriotes et désertent les troupes des FDS appuyant les Etats-Unis, sur les rives de l’Euphrate, qui seront alors plus libres d’incursion, de la part des milices pro-iraniennes ou employant des mercenaires russes. Soit l’Amérique sera dans l’obligation de faire barrage à la percée des miliciens islamistes pro-turcs en appuyant enfin ses alliés kurdes. Mais alors l’OTAN entrera, de fait, en guerre contre elle-même et ce n’est prévu dans aucun traité de l’alliance, ou on n’imagine pas encore comment. Quoi qu’il en soit, la porte de sortie sera toute trouvée et ce puissant pays, par la taille et l’envergure géostratégique, passera, avec armes et bagages, du côté russe et iranien, si ce n’est déjà fait, sur le plan des hydrocarbures.

De ce point de vue, l’entrée, dernièrement, de troupes irano-syriennes, sous la forme des milices de Défense Nationale arrivant à Afrin, est demeurée un premier avertissement de tentative de détournement de la cause kurde, meilleure alliée de l’Occident contre Daesh, et de prise de contrôle par l’axe syro-iranien. Car il ne faut pas non plus se leurrer : les Kurdes voient encore dans le régime syrien, un centre qui les a laissés prendre leur autonomie, à partir de 2013, à la défaveur de la guerre contre les groupes islamo-rebelles, plus proches des frères musulmans et des islamistes purs et durs. Face à un tel conflit ethnique, les minorités ont toujours tendance à s’aligner plutôt sur les Alaouites d’Assad que sur la majorité sunnite pro-turque ou pro-qatarie. Et celui qui en tire profit c’est l’Iran dont les Kurdes ont tout lieu de se méfier (à cause de la domination exercée contre leurs frères d’Iran). La signature des YPG est pro-occidentale, par aspiration à la liberté et c’est encore ce qui les éloigne d’un ralliement à l’axe irano-syrien, comme cela a pu être le cas, à un moment donné pour le parti frère turc du PKK, dont ils se distancient.

C’est à ce point que, même en frappant très fort du point sur la table sur des bases syriennes censées renfermer des armes chimiques ou préparer de nouvelles frappes, la partie semble bloquée pour l’Amérique, sauf à engranger en Syrie autant, sinon plus de forces et de moyens de frappes que ne l’a fait Poutine en Septembre 2015. C’est-à-dire, en revenir, peu ou prou, à la situation ante avant 2011 en Irak. Jusqu’à présent, les Etats-Unis n’envoient, parcimonieusement, que quelques contingents de forces spéciales former des bataillons entiers de locaux de diverses ethnies, qui s’entraînent autant qu’ils accquièrentun bagage politique ou idéologique à tendance démocratique et transconfessionnelle -(syriaques, Assyriens, Chrétiens, arabes des tirbus de l’Euphrate, etc.-. C’est ce qui renforce le projet fédéraliste kurde pour une Syrie d’après-Assad (avec ou sans lui).  A partir de là, il faudrait revoir toutes les stratégies de non-agression ou de tentative de dissuasion pour repousser des armées comme celles de la Turquie, dès qu’elle dépasserait les bornes. Il faudrait s’inscrire dans une sorte de rôle de shérif du Moyen-Orient, que précisément, l’Amérique d’Obama s’est empressée de cesser d’être.

On peut, avec justesse, se dire qu’un tel scénario serait souhaitable, qui consisterait à faire reculer les Etats-voyous, dans cette Syrie qu’ils ont pris pour leur terrain de jeu, et à permettre, notamment aux Kurdes de reprendre du terrain perdu et aux populations encerclées par le régime et les islamistes, de respirer. Quoi qu’il en soit, les risques d’escalade restent entiers.

Il semblerait que les récentes discussions entre Donald Trump et Binyamin Netanyahu, à la Maison Blanche, ont passé en revue un certain nombre de plans de sortie de crise pour la Syrie, tenant compte de l’ensemble des paramètres d’envenimement qu’on vient à peine d’évoquer. Il se pourrait que l’Amérique ait alors besoin de mobiliser l’ensemble de ses alliés pour parvenir à un résultat tangible. Pour modérer l’avidité, tant de la Turquie que du régime Assad, tout en poussant l’Iran et ses milices à redouter de tomber dans un piège en s’exposant en Syrie, il faudrait, sans doute associer au principe de « guerre entre les guerres » israélien, des forces issues du monde arabe « modéré » ou en voie de modération, comme l’Egypte, la Jordanie et à un autre degré devant toujours faire ses preuves, les armées saoudiennes et émiraties, qui ont encore fort à faire au Yémen.

  Néanmoins, aux yeux de Qassem Soleimani, les deux enjeux yéménite et syrien, sont de valeur équivalente et liés dans un même projet régional. Il en va presque de même en ce qui concerne Erdogan, qui a plusieurs fers au feu, en envoyant un contingent au Qatar, tout autant qu’à Oman ou vers les îles grecques qu’il voudrait aussi s’approprier.

On peut croire que les pays arabes, en phase de rapprochement avec Israël, ont un rôle central à jouer, que ni l’Etat hébreu, ni les fédérateurs kurdes ne peuvent remplir, vis-à-vis des populations arabophones et sunnites de l’Euphrate, de l’Anbar en Irak ou des régions de Raqqa, récemment libérées et à reconstruire.

Les conflits que l’on observe aujourd’hui en Syrie ne représentent qu’une parcelle d’un bras de fer plus vaste, d’une part, entre puissances régionales et ensuite entre les deux super-puissances mondiales que restent la Russie et les Etats-Unis. A partir du moment où Poutine a défié l’Amérique, en lui montrant son engagement auprès d’Assad, il devient assez clair, qu’en terme de prestige et à plus ou moins brève échéance, les Etats-Unis n’ont pas vraiment le choix que de revenir, à un moment ou à un autre, dans l’arène. Cela ne débouchera pas nécessairement sur une guerre « mondiale », mais plutôt sur un round d’observation, et des affrontements par procuration, comme c’est le cas depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Mais, ici, le terme de « guerre froide » paraît plus que galvaudé, puisque les intérêts en jeu concerneront l’extension des zones d’influence respectives…

Le passage du Qatar du côté de l’Iran et de la Turquie ou dans un rôle d’entremetteur entre ces deux puissances régionales et, ensuite, de la Turquie dans une sorte de grande alliance avec l’Iran et la Russie, -d’abord énergétique, puis ensuite, si affinité, militaire hors-OTAN,- sont les indices de ces jeux d’influence, comme un théâtre d’ombres… chinoises. Quoi qu’il en soit, un modèle occidental et démocratique prévaut, autour des pôles magnétiques que représentent Israël, d’une part, et le futur Kurdistan fédérateur encore en projet, à l’intérieur d’une Syrie démocratisée et débarrassée de ses démons alaouites et iraniens… (et au-delà)

C’est l’avenir de ce croissant fertile des minorités, pouvant s’appuyer sur un gigantesque plan Marshall, cofinancé par les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et stimulé par l’inventivité innovante d’Israël, qui peut définir ce nouvel horizon 2030. Ou l’empire de la destruction, une Ghouta orientale géante qui fera du Moyen-Orient un champ de ruine à la Mad Max : c’est ce que souhaitent Assad et son parrain Poutine, qui voit dans le chaos un nouvel équilibre des forces, après la chute du Mur.

Par ©Marc Brzustowski

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[…] La précédente frappe de 59 Tomahawks contre la base aérienne de Sheyhat n’avait que provisoirement dissuadé Assad : Dorénavant, il emploie des bombes au Chlore, moins meurtrières, plutôt que celles au gaz Sarin. D’autre part, le scandale humanitaire de la Ghouta orientale, prise en otage par Assad et les Islamistes de l’autre, est loin d’être unique, en Syrie : le bras de fer devient multiple, contre l’Iran, mais tout autant, la Turquie -formellement “dans le même camp”, mais en fait, pas du tout!-  qui affaiblit considérablement les Kurdes d’Afrin, trop rudimentairement armé pour faire face à l’artillerie, l’aviation et les tanks d’un envahisseur turc employant des milices proches des Islamistes d’Al Qaïda pour progresser. Une ou des frappes américaines circonscrites ne parviendraient pas à “renverser la table” de cette logique infernale, où le terrorisme d’Etat, syrien ou turc, est maître du jeu dans ses zones d’influence. Lire la suite sur jforum.fr […]

alexandra

Seule solution à ce merdier : un découpage en zones ethniques autonomes, débarrassées de toutes les forces étrangères à prétention hégémoniques.

Macronyme-Crimeur-contre-L'Humanité

Les Kurdes n’ont surement pas de pétrole d’où la logique de les abandonner à l’Ogre Turc.