C’est une alliance qui, de prime abord, peut paraître surprenante, voire déroutante. D’un côté, Israël, Etat juif, puissance économique et militaire incontournable du Moyen-Orient ; de l’autre, l’Azerbaïdjan, Etat postsoviétique à majorité musulmane (70 % de chiites) richement doté en hydrocarbures, mais sans réelle aura géopolitique. Difficile, a priori, d’imaginer une quelconque proximité entre ces deux nations que tout semble opposer, encore moins une convergence d’intérêts, fût-elle de circonstance.

Le président israélien Shimon Peres (à gauche) et son homologue azerbaïdjanais Ilham Aliyev posent pour la presse, le 28 juin 2009 à Bakou, à l’occasion d’une rencontre officielle destinée à renforcer la coopération stratégique entre les deux pays. | AFP/NAMIK

Ces derniers mois, pourtant, les deux pays, engagés dans un délicat pas de deux depuis avril 1992, au lendemain de la chute de l’URSS, n’ont cessé de consolider leur union. Avec la même discrétion coutumière qui, en 2009 déjà, faisait dire au président Ilham Aliyev, à propos de cette relation si singulière : « Comme un iceberg, neuf dixièmes se situent sous la surface. » Une métaphore plus qu’explicite…

Ce raffermissement des liens bilatéraux n’est pas sans rapport avec les ambitions exacerbées de l’Iran dans un contexte régional en pleine mutation. Confronté aux pressions occidentales en raison de son programme nucléaire controversé, et déstabilisé par la montée en puissance de l’islam sunnite consécutive aux révolutions arabes, Téhéran aspire plus que tout à rassembler derrière son oriflamme l’ensemble du monde chiite.

Or, l’Azerbaïdjan a, jusqu’ici, toujours regimbé à cette perspective. Et cela en dépit de liens culturels étroits, la communauté azérie d’Iran – à laquelle appartient le Guide suprême Ali Khamenei – représentant entre 14 et 17 millions de personnes, soit plus de 20 % de la population du pays. Une résistance farouche qui peut se lire à l’aune du fantasme, particulièrement prégnant dans les années 1990, d’un « Grand Azerbaïdjan » unifié.

PRESSIONS ET TRAHISON

Signe de son insoumission, la petite République des bords de la mer Caspienne n’a pas hésité à conclure, à la fin février, un contrat d’armement de 1,6 milliard de dollars (environ 1,2 milliard d’euros) avec Israël, ennemi juré des mollahs. Cet accord, prévoyant la livraison de drones hautement sophistiqués et de systèmes de défense antimissile, a été vécu comme une trahison en Iran. Même si l’Azerbaïdjan a soutenu sans ambages que son objectif premier était de « libérer » le Haut-Karabakh territoire peuplé majoritairement d’Arméniens et situé en Azerbaïdjan »>Article original, « occupé » par les forces arméniennes depuis le conflit de 1988-1994.

« L’Azerbaïdjan dispose d’importantes liquidités et vit dans une sorte d’obsession permanente : celle de récupérer le Haut-Karabakh. Cela lui tient lieu de programme politique, mais aussi social et stratégique », pointe Charles Urjewicz, historien et professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

Le coup, en tout cas, a été d’autant plus durement ressenti à Téhéran qu’à peu près au même moment, la République islamique accusait ouvertement Bakou d’avoir permis à des tueurs israéliens d’éliminer certains de ses scientifiques – une accusation qualifiée par le pouvoir azerbaïdjanais de « calomnieuse ».

L’arrestation à Bakou à la mi-mars de vingt-deux agents iraniens prétendument missionnés par les Gardiens de la révolution pour « commettre des actes terroristes contre les ambassades américaine, israélienne et d’autres pays occidentaux » dans la capitale n’a pas non plus contribué à désamorcer les tensions.

Il faut dire que l’Azerbaïdjan a de quoi être échaudé : depuis l’arrivée au pouvoir d’Ilham Aliyev, en octobre 2003, la campagne d’intimidation menée par l’Iran s’est renforcée. Au point que les autorités ont été amenées, à plusieurs reprises, à expulser des Iraniens qui prêchaient dans les mosquées et tentaient de saper le modèle séculier national.

Considérant l’exportation de la révolution islamique comme une menace, l’Azerbaïdjan s’est donc tourné vers Israël. Un choix par défaut ? Loin s’en faut. Economiquement, Israël est le deuxième plus gros consommateur de pétrole azerbaïdjanais : 20 % de sa consommation d’or noir provient de Bakou. A cela s’ajoute une dimension militaire non négligeable. « L’Azerbaïdjan compte sur la puissance d’Israël, non seulement pour repousser l’ingérence iranienne, mais aussi pour prendre l’ascendant sur son voisin et ennemi arménien. De ce point de vue, il est évident que le contrat d’armement scellé en février est plus que bienvenu », souligne Philippe Kalfayan, spécialiste du Caucase du Sud.

SPÉCULATIONS MILITAIRES

Pour Israël, jouer la carte azerbaïdjanaise présente aussi des avantages. « Surtout depuis que l’Etat juif s’est éloigné de la Turquie, en juin 2010 à la suite du raid israélien mené le 31 mai contre une flottille à destination de Gaza, qui avait coûté la vie à neuf militants turcs propalestiniens »>Article original, se retrouvant de fait dépourvu d’allié dans la région », note M. Kalfayan. Outre le fait qu’une vaste communauté juive réside dans le pays – estimée, en 2010, à environ 25 000 personnes -, c’est surtout la position géographique stratégique de son partenaire, à la frontière septentrionale de l’Iran, qui suscite l’intérêt d’Israël.

Dans le cas de frappes ciblées contre les installations nucléaires iraniennes, l’Azerbaïdjan pourrait potentiellement représenter une solution de repli utile pour les chasseurs-bombardiers F-15 et F-16 israéliens, en leur permettant d’atterrir une fois leur mission accomplie. De là à imaginer que Bakou mette à disposition de l’Etat juif plusieurs bases aériennes sur son territoire, il n’y a qu’un pas. Qu’ont allègrement franchi la semaine dernière, sous couvert d’anonymat, plusieurs hauts diplomates et officiers du renseignement américains.

Est-ce à dire que l’hypothèse est crédible ? Philippe Kalfayan en doute : « Ce serait très audacieux de la part de l’Azerbaïdjan, alors que la Turquie, dont elle a besoin pour contrer l’Arménie, s’oppose à une attaque contre l’Iran, craignant ses retombées négatives au plan régional. » Charles Urjewicz abonde dans ce sens : « Je ne crois pas que la direction azérie, quelles que soient ses rodomontades, puisse aller aussi loin dans une alliance avec Israël. D’autant qu’Ilham Aliyev est un homme réaliste et prudent, qui veut aussi conserver de bons rapports avec la Russie alliée de l’Iran »>Article original« . En visite à Téhéran, le 13 mars, le ministre de la défense azerbaïdjanais, Safar Abiyev, avait en tout cas clairement déclaré : « Nous n’autoriserons personne à utiliser notre sol et notre espace aérien contre la République islamique d’Iran, dans la mesure où nous considérons l’Iran comme un ami et un frère. »

Etroite, et vraisemblablement appelée à le rester si la crise iranienne perdure, la relation entre Israël et l’Azerbaïdjan n’en est pas moins imparfaite. En vingt ans, les deux pays n’ont signé aucun traité officiel. En outre, si l’Etat juif a ouvert dès février 1993 une ambassade à Bakou, la réciproque n’est pas (encore) vraie. Preuve supplémentaire qu’au-delà de certaines contorsions diplomatiques, le régime autoritaire d’Ilham Aliyev n’est pas encore disposé à franchir le Rubicon vis-à-vis de ses partenaires musulmans de l’Organisation de la Conférence islamique, et plus particulièrement de l’Iran…

Aymeric Janier Article original le Monde.fr

Repères chronologiques
25 décembre 1991 : reconnaissance officielle, par Israël, de l’indépendance de la République d’Azerbaïdjan.
7 avril 1992 : établissement des relations diplomatiques entre Israël et l’Azerbaïdjan.
22 mars 1994 : réception, par le président Heydar Aliyev, du premier ambassadeur israélien en Azerbaïdjan, Eliezer Yotvat.
29 août 1997 : visite du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à Bakou.
28-29 juin 2009 : rencontre en Azerbaïdjan entre Heydar Aliyev et son homologue israélien, Shimon Peres.

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