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Wuhan, tombeau d’empire

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Wuhan, tombeau d’empire

OPINION. Comme la bombe des révolutionnaires de 1911, le coronavirus apparu à Wuhan pourrait bien mettre à plat les rêves d’empire de Xi Jinping, écrit notre journaliste Frédéric Koller

Cérémonie du deuil pour les victimes du Covid-19 lors de la fête des morts (Qingming). Wuhan, Chine, 4 avril 2020. — © REUTERS

C’est l’explosion accidentelle d’une bombe à Wuchang, le 9 octobre 1911, qui va précipiter l’action des révolutionnaires chinois. Dès le lendemain, le gouverneur général de la ville doit s’enfuir et c’est la Chine entière qui entre dans un cycle de contestation nationaliste dont l’aboutissement sera l’instauration d’une république en 1912. Wuchang? C’est alors l’une des trois villes arrimées sur le cours moyen du Yang-Tsé qui formeront par la suite l’agglomération de Wuhan. La révolte de Wuhan, dans le monde chinois, est ainsi devenue synonyme de la fin d’un empire de 2000 ans.

Jusqu’à plus ample informé, c’est courant décembre 2019 qu’un nouveau coronavirus – nommé par la suite SARS-CoV-2 – a émergé dans un marché d’animaux de cette même ville de Wuhan avant de se diffuser sur l’ensemble de la planète pour provoquer la première crise véritablement globale de l’histoire humaine: en l’espace de trois mois, l’économie-monde était à l’arrêt, et plus une personne, sur les cinq continents, ne pouvait dire qu’elle n’était pas affectée par l’impact du virus.

Une dépendance problématique

Ce parallèle historique n’est pas fait pour suggérer la fin prochaine de la République populaire – issue d’une seconde révolution, communiste celle-là, en 1949. Mais la malencontreuse «rencontre» d’une chauve-souris et d’un pangolin qui serait à l’origine du virus, comme le suggère un scénario à confirmer, pourrait bien marquer la fin d’un autre cycle pour la Chine, celui d’une globalisation dont elle fut la principale bénéficiaire. Celui d’une période où le monde ne demandait qu’à s’engager avec la Chine dans l’espoir d’un mutuel bénéfice au nom de l’idéologie marchande. Durant ce dernier quart de siècle, la Chine était en effet parvenue non seulement à devenir la locomotive de l’économie mondiale, mais aussi, plus récemment, à promouvoir une nouvelle architecture du multilatéralisme avec son programme de Routes de la soie. Pékin cachait de moins en moins son ambition d’imposer une autre gouvernance mondiale – désoccidentalisée – correspondant mieux à la défense de ses intérêts.

La bombe du Covid-19, déclenchée par accident, aurait alors refermé une parenthèse heureuse pour Pékin

Si le coronavirus ne va pas provoquer la fin de la globalisation économique, il pourrait par contre mettre un frein brutal à ce programme chinois. Il y a deux raisons à cela. La première est économique. Au fur et à mesure que la pandémie gagnait du terrain, la dépendance à l’égard du marché chinois est apparue de plus en plus problématique, la question de l’approvisionnement en masques de protection en étant la caricature. Quand la Chine s’arrête de produire, toute la planète en souffre. Et ce sont des pans entiers de l’économie qui doivent se réorganiser ou sont menacés de disparaître avec leurs fournisseurs. Il y a là un risque systémique et la leçon est claire: on va vers une relocalisation de la production de certains biens stratégiques, à commencer par ceux du secteur de la santé.

Dire non au pouvoir chinois

La seconde raison est politique. La concentration d’industries sur son territoire offre un levier bien trop important à Pékin pour avancer son agenda. Il est devenu presque impossible de dire non au pouvoir chinois. Le malaise n’est pas que national – quel pays fait encore le poids face à la Chine, hormis les Etats-Unis? – mais se vérifie dans l’ensemble du système multilatéral, l’exemple le plus frappant étant celui de l’OMS dont le directeur est sous très forte pression. Le monde va-t-il accepter de dépendre principalement d’un Etat qui promeut un modèle autoritaire? La leçon à tirer ici est qu’il faut réinvestir dans les organes internationaux pour faire contrepoids à la Chine. L’Europe, et son union toujours en construction, en sera-t-elle capable?

Il ne s’agit pas de se couper de la Chine, mais bien d’aborder son marché de façon moins naïve. Il ne pourra plus être question que d’engagement avec Pékin. Il faudra aussi réfléchir à contrer son influence lorsqu’elle nous est contraire. Voilà le changement qui pourrait s’opérer. Si tel était le cas, la bombe du Covid-19, déclenchée par accident, aurait alors refermé une parenthèse heureuse pour l’empire que rêvait de recréer Xi Jinping.

Lire également: Pour une enquête sur le coronavirus, avec les Chinois

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