Les transformations de la condition juive en France depuis 1940, et au cours de la décennie écoulée – celle qui s’étend de l’assassinat d’Ilan Halimi à celui de Mireille Knoll – ont fait l’objet d’innombrables articles de presse, mais de peu d’analyses sociologiques et politiques  de fond récentes.

Le livre de Danny Trom vient combler cette lacune. L’auteur, chercheur au CNRS, a publié plusieurs livres, à la croisée de la sociologie et de la science politique, parmi lesquels Persévérance du fait juif. Une politique de la survie (2018). “Tout point de vue est toujours aussi et déjà un exercice de description de soi et du monde”.

Cette phrase extraite du préambule de son livre permet de comprendre la motivation de l’auteur.

Son analyse n’est pas tant celle de l’observateur extérieur, que celle du “spectateur engagé”, pour citer Raymond Aron, dont la réflexion est très présente dans le livre de Trom.

Un livre passionnant

Le flux des juifs quittant la France a pris une ampleur et une régularité telles qu’il faut bien parler d’émigration de masse. Cela ne se dit jamais dans des termes aussi abrupts, parce qu’ils la quittent imperceptiblement, un à un. Et parce que l’on hésite: est-ce quelque chose qui arrive aux juifs ou à la France?

Pour comprendre ce qui “arrive aux Juifs” et à la France, Trom commence par interroger la place spéciale qu’occupent les juifs dans l’histoire et dans la constitution de la nation française, reprenant à son compte la définition de Pierre Manent : la France est une “nation de marque chrétienne où les juifs jouent un rôle éminent”.

Il remonte à l’époque de l’émancipation des juifs, par laquelle ceux-ci se trouvent “intriqués dans la définition moderne de la France”. On pense à l’ouvrage de Pierre Birnbaum sur les “fous de la République’.

Tout change avec la défaite de 1940 et la trahison que représente le Statut des Juifs. A la trahison du Statut des juifs d’octobre 1940 fait écho celle de 1967, quand la France gaullienne, non contente d’avoir reproché à Israël son attaque préventive, fait le procès des juifs, “peuple sûr de lui et dominateur”.

Le départ des juifs de France n’est pas tant, dans cette perspective et comme l’explique Danny Trom, la conséquence d’une adhésion au projet sioniste – laquelle a longtemps été marginale chez les juifs français – que celle d’un amour déçu envers la France.

Ben Gourion et De Gaulle en 1967

Dans des pages très convaincantes, Trom compare l’attitude de Raymond Aron et celle d’Hannah Arendt, tous deux juifs assimilés, le premier farouchement Français et républicain, la seconde attachée à sa culture allemande et brièvement sioniste.

Nous voici donc au coeur d’une énigme : l’Etat d’Israël fait subitement intrusion, s’impose à l’expérience d’Aron et d’Arendt”.

Citant les propos d’Aron, empreints d’un  pathos inhabituel sous sa plume : “Si les grandes puissances selon le calcul froid de leurs intérêts laissent détruire le petit Etat qui n’est pas le mien, ce crime… m’enlèverait la force de vivre”), Trom montre ce que le “moment 1967” signifie dans la pensée et dans l’expérience de ces deux penseurs.

L’auteur affirme avec lucidité que “les conseils insistants prodigués par l’Europe à l’Etat d’Israël en vue du règlement du conflit territorial sont peu crédibles, si ce n’est risibles”. Dans son chapitre consacré à l’Europe, aux fondements de laquelle se trouvent “la défaite” (de 1945) et “le crime” (de la Shoah), il soutient pourtant que l’Europe, “résolument technocratique et pacifiste”, aurait renoncé d’emblée à la politique.

Or, rien n’est moins évident quand on analyse l’attitude de l’Union européenne à l’endroit d’Israël. Car l’Europe ne se contente pas de conseils, elle mène une politique pro-palestinienne agressive.

Celle-ci se traduit notamment par le financement d’une multitude d’associations radicales, luttant avec acharnement pour influer sur la politique et pour modeler le visage de la démocratie israélienne, en soutenant sans la moindre retenue les terroristes palestiniens et en leur donnant accès à la Cour suprême, pour y attaquer les décisions législatives, exécutives et administratives à tous les niveaux de l’Etat.

Eurabia : l’élément manquant

Sur ce point crucial, l’analyse de l’auteur est insuffisante pour comprendre et analyser la politique de l’Union européenne envers Israël (et, par ricochet, envers les juifs, accusés de soutenir Israël). L’Union européenne incarne aujourd’hui la “nouvelle église du totalitarisme”, pour reprendre l’expression de la politologue israélienne Raya Epstein, et le discours pacifiste et technocrate qu’elle adopte n’est que le masque trompeur de ses visées impérialistes et totalitaires.

La politique arabe de la France (et de l’Europe) est l’élément manquant du puzzle , qui permet de comprendre comment la “guerre contre les juifs” a pu prendre une telle ampleur ces dernières années en France, au point que l’antisémitisme, longtemps inabordé et quasiment tabou, est devenu aujourd’hui un sujet important de la vie publique française.

L’autre élément absent de son analyse est celui du sionisme et de l’attitude des institutions juives. Le premier, même marginal, est néanmoins présent dans l’histoire des Juifs en France depuis 1945 (et avant). Son histoire demeure à écrire.

Quant à la seconde, comment comprendre l’attitude pusillanime de la plupart des dirigeants des institutions juives de France (rabbinat et Consistoire notamment), face aux enjeux et aux menaces sans précédent que les juifs affrontent?

Au lieu d’accompagner et d’encourager le départ des juifs vers Israël – seule solution à long-terme – ils se contentent le plus souvent de “dénoncer” l’antisémitisme dans une attitude incantatoire et, pour le reste, de faire comme si de rien n’était. “Business as usual”… Un livre passionnant.

Pierre Lurçat

vudejerusalem.over-blog.com

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William

Il faut bien comprendre que les juifs sont un rempart pour la démocratie et la liberté comme ils l ont toujours été.
Les musulmans veulent faire disparaître ce rempart pour mieux construire l Eurabia et la construire plus vite.
L Europe est trop orgueilleuse pour s en rendre compte. Qd elle le fera il sera trop tard pour elle.

Shmoulik

Et MERDE les Juifs sont depuis 2000 ans en France.. Les musulmans depuis 50 ans ya pas photos… On va pas se faire dégager ou faire la morale par ce remplacement de population qui amène son antisémitisme et haine d’Israël ✡️☀️

Bonaparte

Je suis fatigué d’entendre toujours les mêmes conneries .

Cela fait 2000 ans qu’on nous ballade .

Celui qui veut rester , reste et celui qui veut partir , part .

Mais ne comptons que sur nous mêmes .

sj jkl

tout à fait d’accord

Élie de Paris

La grande majorité des Juifs de France aujourd’hui est issue de la dhimmitude de leurs parents,dont la culture de  »ne pas faire de bruit » est entrée dans l’ADN socioculturel juif.
Ces traits sont exacerbés chez les anciens…,pour qui pousser à l’installation en terre consacrée sera une trahison envers la terre française qui les a accueillis…
Mais les jeunes ont été formatés par celà.
Ne reste que la Alliah, montée en Ysraël, soit par idéologie religieuse, soit par la contrainte antisémite.
Telles sont les raisons du peu d’empressement, plus la sécurité dite sociale,qui s’effiloche un peu plus chaque jour…
On traîne les pieds, mais il faudra bien, bientôt, … très bientôt.

thierry amouyal

si les faibles institutions juives françaises ont definitivement decidé de mettre la tete dans le sable et d avaler les boniments du pouvoir en place en France , il reste a expliquer l etrange attitude d Israel qui oscille entre les appels a l alya intempestifs de Nethanayaou au lendemain des attentats parisiens et l ignorance crasse de la veritable situation des juifs de France .