« Les États-Unis sont dans une espèce de boulimie d’écoutes »

Les États-Unis ont place les présidents Chirac, Hollande et Sarkozy sur écoute, ainsi que plusieurs de leurs collaborateurs.

INTERVIEW – Pour Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, les révélations d’écoutes américaines de présidents français ne sont pas surprenantes et s’inscrivent dans une politique du renseignement américain en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 
 

LE FIGARO. – Qu’apprend-on avec les révélations de Libérationet Mediapart sur les écoutes américaines de présidents français?

Éric DENÉCÉ. – En réalité, il n’y a strictement rien de nouveau. Nous savons que les Américains nous écoutent de manière constante depuis le Général de Gaulle, même s’il y a eu des variations. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, les communistes ont fait leur entrée au gouvernement. Toutes les écoutes étaient dirigées vers la France, pays allié de l’Otan dans lequel des communistes arrivaient au pouvoir! Nous avons également été particulièrement écoutés à partir de 2003 et notre refus de nous engager dans la guerre en Irak. Avec Nicolas Sarkozy, la France est pourtant revenue dans le giron de l’Otan et reste avec François Hollande plus proche des États-Unis qu’elle ne l’était par le passé. Ce qui n’empêche pas les écoutes.

Pourquoi justement écouter des présidents et personnalités politiques françaises alors que la relation franco-américaine s’est renforcée?

Les écoutes des États-Unis visant leurs alliés ne sont pas quelque chose de nouveau. Depuis 1945, les USA sont dans une logique de plus en plus hégémonique, de domination mondiale, ils écoutent tout ce qu’ils peuvent écouter; ils sont en fait dans une espèce de boulimie d’écoute. Cela s’est accentué avec le Patriot Act, qui a engendré, sur le plan intérieur, de nombreuses atteintes aux libertés individuelles. Et au niveau international, il y a eu un accroissement absolument considérable des écoutes. Or, sur le plan intérieur, les possibilités d’actions du Patriot Act sontactuellement retirées petit à petit par le Congrès, avec l’aval de la Maison-Blanche. Mais cela ne s’est, en revanche, pas du tout réduit en ce qui concerne l’international, qui sert en quelque sorte de compensation.

N’y a-t-il pas beaucoup à perdre à écouter des alliés alors qu’aucune révélation fondamentale ne semble avoir été mise au jour?

Ceux qui disent qu’on n’apprend rien de fondamental n’en savent rien, cela dépend de ce qui est révélé. Les États-Unis n’écoutent pas dans le seul intérêt de découvrir des secrets d’État, ils portent également un intérêt dans les affaires personnelles qu’il peut être important de connaître. Ces écoutes peuvent représenter un moyen de pression: imaginez que Thomas Thévenoud ou Jérôme Cahuzac soient encore au gouvernement et que les USA découvrent les affaires dans lesquelles ils sont impliqués, alors que le gouvernement français les ignore. Ces informations peuvent constituer un moyen de pression important dans des réunions très officielles telles que le G7.

Si la révélation d’écoutes ne constitue pas une surprise, est-ce à dire que tous les pays s’écoutent mutuellement de la même manière, y compris la France?

Non, aucun pays n’a de politique d’écoute comparable à celle des États-Unis. Cela ne veut pas dire qu’ils sont les seuls à disposer des méthodes qu’ils utilisent. Nous avons par exemple les mêmes moyens techniques, mais pas les mêmes moyens matériels. Les États-Unis interceptent beaucoup de choses car ils ont les capacités de décrypter et de stocker. Ils ne traitent pas nécessairement toutes les données mais ils sont en mesure de le faire. Pour résumer, ils écoutent partout, tout le temps, tout le monde. De notre côté, nous n’avons heureusement pas les moyens d’écouter toute notre population. Les prises de renseignement sont ciblées: sur le terrorisme, les conflits, le Sahel…

En ce qui concerne nos alliés, nous ne les suivons pas en permanence comme le font les USA, ce qui ne veut pas dire qu’aucun dispositif d’écoute n’est mis en place. Certains existent afin de permettre un déploiement plus important de façon rapide en cas de besoin, en connaissant déjà les fréquences, les modes de communications utilisés… En-dehors des États-Unis, on peut chiffrer à une petite dizaine le nombre de pays capables de mettre en place les mêmes techniques d’écoute, parmi lesquels la Grande-Bretagne, la Russie, l’Inde, le Japon ou l’Allemagne. Encore une fois, cela n’est pas nouveau. D’ailleurs, de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’en 1940, la France était parmi les leaders des écoutes, si ce n’est le leader mondial.

lefigaro.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires