Sur le plateau du Seder, par le Grand rabbin Gilles Bernheim

Sur le plateau du Seder, voici le ‘harosset, rappel de la condition des Hébreux en Égypte : cette pâte brunâtre évoque le mortier que les esclaves utilisaient pour construire les villes, et plus particulièrement les villes fortifiées. Par contraste avec ces dernières, on pourrait penser au Gan Eden biblique, comme le lieu où règne une si parfaite osmose entre l’homme et son environnement que le besoin d’un abri ne se fait jamais sentir. Or, à partir du moment où l’homme a été chassé du Gan Eden, il a dû se préserver d’un milieu extérieur – nature et animaux – hostile. Pour ce faire, il a construit des abris sans cesse améliorés, impliquant l’élaboration de matériaux, la fabrication d’outils et la conquête de nouveaux espaces. Des vêtements aux grandes cités, en passant par les habitations de toutes sortes et les ressources de la médecine, l’homme a cherché à se protéger toujours davantage. Ainsi, le vêtement est devenu une armure, l’outil s’est transformé en arme et les habitations ressemblent à des fortifications.

C’est la vie elle-même, dans toutes ses dimensions, qui en vient à se trouver menacée. Songeons à ce midrash qui évoque la situation de l’homme depuis le Gan Eden où, nous l’avons dit, il vivait en harmonie avec l’univers, jusqu’à l’Égypte biblique : devenus esclaves, les Hébreux ont été acculés à construire des villes fortifiées destinées à servir de réserves. Harassés par cette tâche aliénante, ils auraient perdu le goût de communiquer et, dès lors, seraient devenus prisonniers non seulement du lieu, mais d’eux-mêmes.

La présence du ‘harosset sur le plateau du Seder nous invite ainsi à établir un autre lien : la perdition physique et spirituelle des Hébreux ne nous renvoie-t-elle pas à notre modernité, si peu soucieuse des êtres, à ces sociétés où les gens étouffent, éloignés des forces vives de la vie ? L’homme moderne travaille de plus en plus à sa propre protection, multipliant abris, refuges, assurances, garanties… Et voici qu’il est en train de découvrir que ses abris sont source de nouvelles aliénations et pathologies, terrains fertiles pour toutes sortes de violences et de dangers, pour certains inédits. Tout cela contribue à faire de lui un être de plus en plus étranger à lui-même, qui se heurte, en criant de détresse, de souffrance et de haine, aux frontières du monde et aux siennes propres. « Détresse », conformément à son étymologie, a d’abord signifié « étroitesse », sens premier du mot « Mitsrayim ». On pourrait dire de la sortie d’Égypte qu’elle est ce parcours au long duquel l’homme s’efforce de s’arracher à l’étroitesse du monde, et d’abord à la sienne.

« Bekhol dor vador… » Génération après génération, nous dit le texte de la Haggadah, chacun de nous a le devoir de se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Égypte Chacun de nous, pris par le récit, met ses pas dans ceux des esclaves hébreux et quitte l’Égypte en hâte au milieu de la nuit. La foule immense et silencieuse s’avance alors que résonne « une clameur intense dans tout le pays d’Égypte », écho d’une terrible souffrance. Mais rien ni personne n’entrave plus le départ des Hébreux quittant l’étau de l’Égypte sans même qu’aucun chien n’aboie contre eux. Ils passent les limites de l’Égypte et franchissent les portes du désert, portés par une main puissante et mystérieuse, enfin libres. Délivrés. Nous aussi, ce soir-là, sommes libérés de notre Égypte, de toutes les Égyptes. De tous les asservissements. À nous de nous mettre en marche et de témoigner, de raconter aux enfants. Transmettre le refus de l’aliénation, l’idéal d’une liberté responsable. 

J’ai la joie d’annoncer que j’ai désormais la chance d’écrire mes articles mensuels depuis Jérusalem, où nous avons fait notre alya il y a quelques semaines.

Pessah samea’h !

Article extrait du magazine LPH New :

PESSAH TABLE DE MON PÈRE

Tel le grand prêtre
Drapé dans sa tunique blanche
Couronné d’une tiare de velours brodé
Mon père entonnait le récit
Qui donna un sens à notre vie
« Voici le pain de misère
Qu’en Egypte naguère
Nos ancêtres partagèrent
Quiconque à faim vienne et mange… »
Sur la table dressée en autel
Tout était inhabituel
Les azymes remplaçaient le pain
Les coupes étaient pleines de vin
La vaisselle avait de nouvelles couleurs
Les mets exhalaient d’autres odeurs
Les herbes de l’amertume
Les multiples coutumes
Etaient là pour nous rappeler
Le goût de l’esclavage
Le prix de la Liberté
Le contenu de l’héritage
A notre peuple révélé.

La famille me semblait agrandie
Nous étions douze il est vrai
Comme naguère les tribus
Mais toute la maison d’Israël
Etait présente ce soir-là
Personne n’avait été oublié
Certainement pas la place du Navi
Notre prophète Elie.

Coupe du Prophète Elie
Le chant après chaque verset
S’élevait à un nouveau degré
Quand puisées à la coupe de la joie
Du doigt de mon père
Dix larmes tombaient
En évoquant les dix plaies…
En une nuit
Nous avions remonté le Temps
Entendu Moïse
Réveillé Pharaon
Fuit l’Egypte
Affronté le désert
Cheminé sur la Voie
Où naquit notre Foi
Et les yeux des petits
Si sensibles à l’invisible
N’acceptaient de se fermer
Qu’après avoir écouté
Hadgadia, le chant naïf
Où la justice triomphe de la force
Où L’humilité mène à la lumière.
Pessah, Table de mon père
A. Benchimol

De son livre « Ronde des Fêtes et du Shabbat » en poésies.

Voir aussi: akadem.org/magazine/2018-2019/la-haggada-aux-quatre-visages-

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