QUAND CHAGALL PEIGNAIT NOTRE-DAME, PAR PIERRE LURÇAT

De Victor Hugo à Marc Chagall, Notre-Dame de Paris a inspiré les plus grands artistes de toutes les époques. Elle appartient, selon l’expression consacrée, au “patrimoine de l’humanité”, ce qui signifie qu’elle touche à cette dimension insaisissable qui, sous ses formes religieuses ou artistiques,  concerne la même réalité irréductible de l’être humain.

Ou comme l’écrit ce matin Henri Pena-Ruiz, “en ces temps oublieux de l’unité de tous les êtres humains, saisie par les passions tristes des différences, le sens universel de notre condition commune s’est rappelé à nous… Les monuments… nous font savoir, comme le dit Montaigne, que «chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition».

 

Quand Chagall peignait Notre-Dame, par Pierre Lurçat

C’est précisément cet oubli de l’unité de tous les êtres humains qui m’a frappé, en lisant certains commentaires des médias et notamment les réactions de plusieurs responsables des institutions juives de France.

Les messages de “tristesse” adressés à l’archevêque de Paris et de “soutien à nos frères chrétiens” ont manqué l’essentiel. Comme si la France était une juxtaposition de communautés, qui ne partageraient que des émotions convenues, dictées par le « vivre-ensemble », et où chacun compatirait aux malheurs de l’autre par voie de communiqués et de messages sur les réseaux sociaux.

Quant à Notre-Dame, elle n’est pas une (grande) église! Elle n’appartient pas aux chrétiens de Paris ou de France, comme une simple paroisse de quartier. Notre-Dame, c’est Paris et c’est la France, et à ce titre elle appartient à tous les hommes, y compris les Juifs.

 

Marc Chagall, L’arbre de Jessé

C’est ce qu’avait bien compris un grand Juif du siècle passé, Marc Chagall. Il voyait dans Notre-Dame, au-delà de l’édifice religieux (1), le symbole de la ville et du pays qui l’avaient accueilli, en 1910, alors qu’il était un jeune homme plein d’idées et de rêves, loin de sa Russie natale. Elle est présente dans plusieurs de ses oeuvres, parfois aux côtés de la tour Eiffel, moderne cathédrale d’acier.

Chagall, Vue de Notre-Dame

Paris! Aucun mot n’a résonné aussi doucement à mes oreilles” rapporte Chagall dans son autobiographie. Sous son pinceau, la ville des Lumières devient le théâtre enchanté de l’amour et du bonheur, comme dans son tableau “Vue de Notre-Dame”, où la cathédrale sert de décor à la rencontre entre une jeune femme nue et un personnage mythique, mi-homme mi-oiseau, qui lui tend un bouquet de fleurs.

Les monstres de Notre-Dame: Si seulement je pouvais parvenir, chevauchant l’une des gargouilles de Notre-Dame…”

Amoureux des personnages mythiques et monstrueux, Chagall était évidemment tombé sous le charme des gargouilles de Notre-Dame, qu’il a représentés dans sa lithographie Les monstres de Notre Dame, élément d’une série publiée dans la revue Derrière le miroir.

Les gargouilles figurent aussi dans la “lettre d’amour à Paris” reproduite ci-dessous, où il écrit notamment “si seulement je pouvais parvenir, chevauchant l’une des gargouilles de Notre-Dame,à tracer un chemin à travers cieux…”

Le cri d’amour de Chagall pour Paris, sa seconde patrie, a été partagé par de nombreux émigrés juifs à l’époque, venant de Russie ou d’ailleurs. Parmi ceux-ci, ma mère, née à Jérusalem en Palestine mandataire, et qui a grandi dans le quartier des bords de Seine, face à Notre-Dame, alors un quartier populaire.

Sur les bancs de l’école publique, elle a appris les vers de Victor Hugo, comme des dizaines d’autres enfants venus d’Europe centrale et d’Asie mineure (“Kurtz, Knopf, Kambourakis…” égrenait chaque matin la maîtresse en faisant l’appel des noms).

Enfant, elle jouait au square Viviani et au square Notre-Dame. Adolescente, elle flânait sur les bords de la Seine et chez les bouquinistes. Aujourd’hui très âgée, et aussi vieille, à l’échelle de l’homme, que Notre-Dame, ma mère est restée depuis lors amoureuse de Paris, comme Marc Chagall et comme tant d’autres.

Pierre Lurçat

(1) Ce qui n’épuise évidemment pas le thème des relations entre Chagall et le christianisme, tellement présent dans son oeuvre.

La Lettre d’amour de Chagall à Paris

J’ai quitté ma terre natale en 1910. A cette époque, j’ai décidé que j’avais besoin de Paris.

J’y suis allé car je cherchais sa lumière, sa liberté, sa culture et l’opportunité d’y perfectionner mon art. Paris a illuminé mon monde de ténèbres comme le soleil lui-même l’aurait fait.

J’ai passé mes jours à vagabonder Place de la Concorde ou près des jardins du Luxembourg. J’ai contemplé Danton et Watteau, j’ai arraché quelques feuilles.

Oh, si seulement je pouvais parvenir, chevauchant l’une des gargouilles de Notre-Dame comme s’il s’agissait d’un cheval, à tracer un chemin à travers cieux à la force de mes bras et mes jambes.

Te voilà, Paris. Tu es mon second Vitebsk.

Marc Chagall

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Bonaparte

Comment ne pas avoir une pensée pour celui qui a chanté si bien Paris ? Francis Lemarque .

A Paris
Quand un amour fleurit
Ça fait pendant des semaines
Deux cœurs qui se sourient
Tout ça parce qu´ils s´aiment
A Paris

Francis Lemarque naît, sous le nom de Nathan Korb, dans un petit deux-pièces au second étage du 51 de la rue de Lappe à Paris au-dessus du bal des Trois colonnes. Sa mère, Rosa (Rose) Eidelman, est née le 15 janvier 1893 à Solok1, en Lituanie, tandis que son père, Joseph Korb, tailleur pour dames, a été enrôlé de force dans l’armée du tsar dont il déserte avant de rejoindre Paris. L’enfant grandit avec son frère Maurice et sa sœur cadette Rachel, dans le quartier de la Bastille, bercé par les bals-musettes de la rue de Lappe. Avec son frère, il connaît une enfance délurée et joyeuse avant de quitter l’école dès l’âge de 11 ans pour travailler en usine. Il va garder tout au long de sa vie un véritable amour pour ce quartier et y fêtera ses 75 ans au Balajo.

Chagall peignit Notre Dame et Francis Lemarque chanta Paris : deux Juifs aussi reconnaissants pour le pays qui les a accueilli .

Bonaparte

Depuis l’incendie de Notre Dame , tous les matins je me rends au musée du Louvre pour voir si  » Le Sacre de Napoléon  » par David est toujours à sa place .

Bonaparte

La réaction des Juifs de France a été unanime et…….. c’est formidable .

C’est incroyable , nous avons ressenti spontanément la même émotion pour cette magnifique  » Notre Dame  » car les Juifs de France font partie intégrante de l’Histoire de ce pays malgré tout ce qu’on a pris dans la gueule

Nous sommes ainsi fait et j’en suis fier .